31 mai 2021 - Covid-19 - Le miracle vaccinal doit inclure rigueur et prudence
Correspondance : Henri Agut
Professeur honoraire, Paris, France
Mots-clés :
Covid-19, vaccin à ARN messager, vaccin adénovirus recombinant, variant du SARS-CoV-2
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L’arrivée des vaccins anti-Covid-19 est un tournant décisif dans l’évolution de l’épidémie à SARS-CoV-2 qui secoue la planète depuis le début de l’année 2020. Mais la partie est loin d’être gagnée dans la maîtrise de cette pandémie et cela va demander encore beaucoup d’efforts.
Dans le noir
À la fin de l’année 2020, la situation épidémiologique de la Covid-19 apparaît bien sombre dans la majorité des pays. En France métropolitaine, la deuxième vague épidémique de l’automne n’a pas montré d’amélioration notable ni pour la durée et le niveau de circulation du virus, ni pour le nombre de décès [1, 2]. Fait aggravant, le reflux de cette deuxième vague n’a pas conduit à une atténuation majeure de l’épidémie comme ce fut le cas lors de l’été 2020 mais à un plateau de circulation persistante du virus ayant un profil évolutif incertain. Dans les faits, en valeurs approximatives, la France en est alors à 6 à 7 millions de personnes infectées depuis le début de la pandémie, 50 % de formes asymptomatiques et plus de 60 000 décès, soit un décès pour 100 cas d’infection toutes formes cliniques confondues. Les territoires continuent à être touchés de façon hétérogène avec des régions de l’ouest du pays relativement épargnées et d’autres (la Région parisienne, le Nord, la Région lyonnaise, la Région provençale et la Région sud-est) fortement impactées. Cette variabilité dans le temps et dans l’espace n’est toujours pas bien comprise, même si des facteurs climatiques et sociétaux sont fréquemment invoqués. Ce constat d’impuissance sur le plan scientifique et médical est difficile à assumer pour une infection qui se propage sur le sol national depuis dix mois et a déjà provoqué deux vagues épidémiques [3, 4]. Globalement, le virus est transmis par voie respiratoire mais son mode de propagation épidémique, qu’on le qualifie de stochastique, saltatoire, superdisséminant ou complexe faute de mieux, comporte une grande part d’imprévisibilité. Cette propagation résiste aux modélisations des experts, avec une faillite des prédictions qui en découlent. De ce fait, on hésite beaucoup sur la stratégie de lutte à adopter, en ayant comme points de repère deux solutions extrêmes. D’un côté, les préceptes de la stratégie zéro-Covid visent à éliminer toute circulation virale en ayant le moins possible d’infections dans la population générale : fermer les frontières, traquer et isoler tous les cas d’infection et les cas contacts, limiter massivement les déplacements et les regroupements, imposer les gestes barrières et la distanciation physique. Cette stratégie fonctionne d’autant mieux que le nombre initial d’infections est réduit et que le pays concerné a des caractéristiques géographiques et sociétales particulières : situation insulaire, population disciplinée et convaincue, encadrement politique, policier et/ou militaire conséquent. Le but atteint, la situation reste néanmoins instable tant que dure l’épidémie au niveau planétaire et nécessite une surveillance armée de tous les instants, tout nouveau cas importé d’infection devant être détecté et isolé très précocement. À l’opposé du zéro-Covid, la stratégie de l’immunité de groupe vise à éliminer la circulation virale grâce à un rempart suffisant de personnes naturellement infectées et ainsi protégées contre toute réinfection par leur immunité individuelle. Le prix à payer sur le plan sanitaire dans ce cas est lourd. À condition que la protection immunitaire consécutive à l’infection dure au moins plusieurs années, on estime que l’immunité de groupe nécessite un pourcentage de la population infectée de 70 %, une valeur qui reste cependant discutée. Une simple règle de trois sans modélisation particulière indique que, pour la France, cela correspondrait à terme à environ 45 millions de cas d’infection et donc 450 000 décès répartis en une dizaine de vagues épidémiques. Chacune de ces vagues entraînerait le risque d’une submersion du système de santé, longtemps présenté comme insurpassable, et de mesures de sauvetage de type confinement, dévastatrices sur le plan sociétal, pour éviter sa noyade. Par ailleurs la multiplication persistante du virus à un niveau élevé ouvre la voie à la survenue de modifications de son génome par des mutations et/ou des recombinaisons. Ces modifications sont sélectionnées pour leur capacité à augmenter la réplication et la transmissibilité du virus aboutissant à l’émergence puis à la prédominance des variants viraux qui les portent. Ces mutations sont donc susceptibles de modifier certains paramètres dans le mode de propagation initial et mal compris de l’épidémie, par exemple la place des enfants et des écoles dans la transmission du virus. De plus, certains de ces variants peuvent, malencontreusement et indépendamment de leur capacité augmentée à circuler, afficher d’autres propriétés qui compliquent encore plus la situation : difficultés de diagnostic, résistance à l’immunité acquise précédemment, pouvoir pathogène augmenté. La fin de l’année 2020 est effectivement marquée par l’émergence de variants viraux, un événement tout à fait conforme aux prévisions pour un virus épidémique à ARN mais qu’on avait fini par oublier tant l’adaptation du SARS-CoV-2 à son hôte humain paraissait d’emblée optimale. Dans ce contexte, les choix politiques pour lutter contre le virus sont difficiles et louvoyants dans les pays démocratiques et libéraux ayant de longues frontières terrestres et une propension certaine au scepticisme. Fin 2020, la Covid-19, ce n’est pas la guerre mais c’est une crise sanitaire et sociétale majeure et durable. L’évolution au cours des premiers mois de 2021 le confirme amplement [5].
La lumière au bout du tunnel
Au-delà du miracle financier qu’ils représentent pour leurs fabricants, on ne dira jamais assez à quel point les vaccins anti-SARS-CoV-2 efficaces ont été une belle surprise, un cadeau inespéré du Noël 2020. Pour les virologues, immunologues et infectiologues, le passé de la vaccinologie antivirale est en effet jonché d’échecs récents (dengue, bronchiolite, sida, hépatite C), qui font un peu oublier les succès plus anciens (variole, rage, fièvre jaune, poliomyélite, rougeole, rubéole, oreillons, hépatite B, hépatite A, infections à papillomavirus) et même contemporains mais plus discrets (Ebola). L’annonce courant 2020 de vaccins anti-Covid-19 actifs à l’horizon de quelques mois paraissait donc pour le moins prématurée et suspecte de soutenir essentiellement des intérêts politiques ou financiers. Il faut rappeler que l’immunité dirigée contre les maladies virales respiratoires est un phénomène complexe et incomplètement maîtrisé sur le plan conceptuel [6, 7]. Le caractère protecteur de cette immunité s’exerce principalement au niveau des muqueuses respiratoires, apparaît souvent transitoire après infection ou vaccination, et est imparfaitement corrélé aux marqueurs de l’immunité présents dans le sang circulant, notamment les anticorps [8]. Par ailleurs, dans d’autres maladies virales, des essais de vaccination ont conduit à la production d’anticorps dits facilitants qui, loin de protéger, sont associés à des formes plus graves de ces maladies [9-11]. Enfin, les collègues vétérinaires qui ont une expérience antérieure des vaccins développés contre les infections animales à coronavirus dressent un tableau nuancé de leurs réussites vaccinales. Preuve de cette difficulté prévisible à développer les vaccins anti-Covid-19, la FDA, l’agence américaine du médicament, a fixé à 50 % seulement le taux de protection mesuré dans les essais cliniques pour envisager le développement de tels vaccins [12]. Il faut rappeler aussi que, certaines mauvaises années, l’efficacité du vaccin contre la grippe saisonnière n’atteint pas ce seuil de 50 %. Une autre preuve de cette difficulté a posteriori est le nombre de projets vaccinaux anti-Covid-19 qui n’ont pas abouti et ont été abandonnés ces derniers mois.
Pour se limiter aux trois vaccins actuellement autorisés en France, ceux des firmes Pfizer, Moderna et AstraZeneca, les résultats des essais cliniques pivots sont impressionnants, affichant des taux de protection contre les formes symptomatiques de la Covid-19 de 95 %, 94 % et 70 % respectivement, très largement supérieurs au seuil fixé par la FDA [13-15]. Ces résultats, publiés dans des revues médicales prestigieuses et analysés attentivement par la communauté internationale, paraissent exclure toute forme d’hallucination collective ou de fraude scientifique. Ils sont d’ailleurs confirmés actuellement par les premières données remontant du terrain dans trois pays qui ont entrepris et réussi une vaccination de masse (Israël, Royaume-Uni, États-Unis) [16-18].
Ces excellents résultats sont remarquables aussi parce qu’ils ont été obtenus avec des vaccins de conception originale et mis au point très rapidement. Certes, les recherches vaccinales récentes sur d’autres coronavirus humains (en particulier les SARS-CoV-1 et MERS-CoV) et animaux ainsi que sur d’autres virus perçus récemment comme des menaces sanitaires majeures (Ebola, Zika) ont probablement bien préparé le terrain pour le développement des vaccins anti-SARS-CoV-2. Cependant, plusieurs éléments méritent d’être soulignés. En ce qui concerne la cible de la réponse immunitaire induite par le vaccin, le choix des développeurs s’est porté sur la protéine S du virus, celle qui permet la fixation des particules virales sur les récepteurs cellulaires à la première étape du cycle d’infection cellulaire. Ce choix s’est révélé pertinent et surtout suffisant. Chez les sujets immunisés après infection naturelle, la protéine S est bien la cible d’anticorps qui neutralisent l’infection virale. Mais penser que l’administration de protéine S par voie générale induirait une réponse immune protectrice d’une telle efficacité au niveau de la muqueuse respiratoire était audacieux. Autres paris gagnants, ceux concernant le mode d’administration de cette protéine. La méthode la plus conventionnelle est la production et la purification de cette protéine en mode industriel suivie de son injection, éventuellement en association avec un adjuvant. C’est le principe en particulier du vaccin Novavax qui va prochainement arriver sur le marché. Les vaccins Pfizer et Moderna utilisent eux l’ARN messager de la protéine S qui est injecté directement dans les cellules musculaires du sujet vacciné et y fait synthétiser la protéine sur place au contact direct, pourrait-on dire, du système immunitaire. Si ce concept de vaccination a été validé il y a plus de vingt ans, il ne semblait pas jusqu’à présent susciter un intérêt majeur chez la majorité des développeurs et de fait, il n’avait jamais encore été réellement mis en application pour une vaccination chez l’homme [7, 8, 19]. Il faut dire que l’ARN simple brin n’est pas une molécule simple à manipuler : moins stable chimiquement que l’ADN, il est facilement dégradé par des enzymes, les RNases, très présentes dans les milieux biologiques et il pénètre mal dans les cellules d’où la nécessité de l’enrober dans des capsules de molécules lipidiques pour le protéger et faciliter son entrée dans le cytoplasme cellulaire. De plus, à l’intérieur des cellules, l’ARN des agents infectieux a la propriété de réagir avec des récepteurs dits de danger, ce qui stimule les mécanismes de l’immunité innée. Cette stimulation est la bienvenue pour défendre l’organisme aux temps précoces de l’infection mais peut se révéler détonante si elle est mal contrôlée. Faisant fi de ces réserves théoriques et bénéficiant d’une mise au point plus rapide que leurs concurrents, les vaccins Pfizer et Moderna sont arrivés les premiers sur le marché et ont affiché les bons résultats que l’on vient d’évoquer. Pour le vaccin AstraZeneca, le gène de la protéine S a été inséré dans le génome d’un adénovirus de chimpanzé qui infecte les cellules humaines et y fait synthétiser la protéine S mais est défectif, ce qui empêche le cycle de réplication complet du virus et sa multiplication active chez le sujet vacciné. Les adénovirus, virus extrêmement répandus dans le règne animal, ont été longtemps pressentis comme des outils optimaux de thérapie génique pour transporter un gène et faire exprimer la protéine correspondante dans des cellules déficientes pour cette protéine. En revanche, on sait que cet outil n’est pas sans défaut : les fibres de la capside des adénovirus à forte concentration sont connues pour provoquer, indépendamment du processus d’infection cellulaire, des phénomènes toxiques et inflammatoires ; la réponse immunitaire anti-adénovirus, déjà présente chez de nombreux sujets, pourrait aussi interférer avec l’administration ultérieure d’adénovirus à visée thérapeutique [20, 21]. Le point extrême de ces difficultés a été atteint, il y a quelques années, avec la survenue d’un décès lors d’un essai de thérapie génique utilisant un adénovirus aux États-Unis : outre probablement une sensibilité particulière de la personne traitée dans la genèse de cet accident, il mettait en jeu l’administration par voie intraveineuse de doses infectieuses 1000 fois supérieures à celle d’une dose de vaccin AstraZeneca. Ce dernier vaccin, même s’il est associé au risque d’effets indésirables comme beaucoup d’autres vaccins, affiche un rapport bénéfice-risque incontestablement élevé et favorable, une première pour un vaccin adénoviral.
Au total, grâce à des approches novatrices en vaccinologie, on a démontré à la fin de 2020 que l’on peut immuniser les populations humaines contre le SARS-CoV-2 sans payer le prix d’une infection naturelle potentiellement létale. Cela ouvre la voie à une maîtrise de la pandémie grâce à une vaccination de masse, d’autant plus que d’autres vaccins anti-SARS-CoV-2, éventuellement fondés sur des principes différents, sont encore en cours de développement. Avec l’efficacité démontrée des mesures et gestes barrières, qui, elle, n’est pas une surprise mais nécessite d’être rappelée sans cesse, c’est la vraie bonne nouvelle du moment.
Organiser la sortie du tunnel
La maîtrise de l’épidémie actuelle ne va cependant pas de soi car de nombreux facteurs peuvent remettre en question la réussite de l’entreprise.
Une campagne de vaccination de masse n’est pas chose facile. Il n’y a qu’un objectif, obtenir la fin de l’épidémie et la protection durable de la population, mais mille occasions de le manquer, comme l’illustrent malheureusement des exemples français. En 1998, la campagne de vaccination des enfants et adolescents contre l’hépatite B, particulièrement active, est suspendue de façon irresponsable par le gouvernement, laissant la population désemparée et ses médecins traitants face à une responsabilité qu’ils n’ont pas les moyens d’assumer : une erreur et une faute. En 2009, la campagne de vaccination contre la grippe pandémique H1N1 prétend vacciner 65 millions de personnes à deux reprises à trois semaines d’intervalle en quelques mois dans des centres spécifiquement dédiés : une gageure et un échec. De multiples raisons expliquent ces manques de réussite et on citera, sans être du tout exhaustif, l’approvisionnement défectueux en doses vaccinales de l’industrie pharmaceutique, le corporatisme des intervenants, l’application excessive du principe de précaution, les erreurs de communication, la crainte surmédiatisée des effets indésirables, les divergences dans le choix des groupes de population à vacciner en priorité. Pour réussir, une logistique solide est indispensable, impliquant anticipation, consensus et constance dans les décisions ainsi que capacité d’adaptation dans leur exécution. Il faut faire appel à des professionnels du domaine, des ingénieurs et des soignants plutôt que des communicants, pour relever les nombreux défis, connus de longue date ou nouveaux. Par exemple, l’ARN étant une molécule fragile, certains vaccins qui utilisent ce support vaccinant doivent être conservés à très basse température, dans des congélateurs à -70 °C, beaucoup plus coûteux et exigeants en termes de maintenance que de simples réfrigérateurs. Ironiquement, ces congélateurs à très basse température sont des équipements que les virologues médicaux utilisent beaucoup pour protéger de toute dégradation à la fois les stocks de virus infectieux et de nombreux prélèvements effectués à visée diagnostique, les pannes de ces congélateurs, surtout en période estivale et durant les week-ends, étant le cauchemar des équipes. Autre exemple, le conditionnement des vaccins en flacons à doses multiples est une aberration, peut-être due à des impératifs industriels incontournables mais incompréhensible sur le plan médical. Les seringues préremplies monodoses prêtes à l’emploi et à usage unique sont la bonne solution pour éviter les contaminations infectieuses croisées, les erreurs de dosage, la gestion éprouvante des stocks de seringues et d’aiguilles dans les centres et services, les difficultés de planification des séances de vaccination au cabinet des médecins traitants, les erreurs dans la gestion des stocks dans les pharmacies, sans parler de l’épisode pagnolesque de la sixième dose dans le flacon supposé n’en contenir que cinq. Il faut rappeler que ces dispositifs injectables à dose unique ont largement fait la preuve de leur utilité pour les vaccins antiviraux classiques.
La question des effets indésirables des vaccins va rester centrale. Il n’a échappé à personne que les vaccins anti-Covid-19 actuellement utilisés sont très immunogènes, que cette puissance immunitaire est probablement la clé de leur réussite mais qu’elle s’associe à des phénomènes inflammatoires apparemment plus importants qu’avec la plupart des vaccins antiviraux classiques [13-15]. Cela est peut-être dû au principe actif, la protéine S du SARS-CoV-2, mais aussi au support d’expression de ce principe actif, l’ARN messager ou l’adénovirus. Ces deux supports, on vient de le rappeler, pourraient induire directement des manifestations pro-inflammatoires et une stimulation non spécifique de l’immunité innée. Cette stimulation, si elle existe, est d’ailleurs peut-être bénéfique, voire indispensable, pour induire, dans un deuxième temps, une immunité spécifique durable contre la protéine S, analogue à celle des adjuvants que l’on ajoute au principe actif dans d’autres vaccins. Les essais cliniques de ces vaccins ont été menés en faisant la comparaison avec l’administration d’un placebo (sérum physiologique ou vaccin classique anti-méningocoque) conformément à une méthodologie validée et éprouvée [22]. La comparaison avec l’administration d’un vaccin témoin, utilisant le même support mais ne faisant pas exprimer la protéine S chez les sujets vaccinés, aurait été utile pour mieux analyser la physiopathologie des effets indésirables possiblement rattachés à l’ARN messager et son enrobage lipidique, ou aux adénovirus recombinants. Cependant il est vraisemblable que ce vaccin témoin n’aurait pas été conforme aux exigences éthiques d’un essai clinique chez l’homme. Dans le même ordre d’idées, il est vraisemblable que, du fait de l’efficacité à court terme démontrée des vaccins, les personnes incluses dans les essais et ayant reçu le placebo, vont maintenant être vaccinées réellement pour acquérir une vraie protection [23]. En effet, en aucun cas, la participation à ces essais ne peut aboutir à une perte de chance vis-à-vis du risque de survenue de la Covid-19. Cette procédure, parfaitement légitime, privera le suivi à moyen et long terme des sujets vaccinés d’un point de comparaison essentiel. Or le suivi à court, moyen et long terme de la vaccination anti-SARS-CoV-2 est indispensable pour surveiller la survenue éventuelle d’événements indésirables graves, concernant en particulier le fonctionnement de la réponse inflammatoire et du système immunitaire, aussi bien que pour évaluer la durée de la protection induite. L’ensemble de ce suivi constitue ainsi un vrai défi.
En effet, la protection induite par la vaccination n’a pour le moment été démontrée que vis-à-vis des formes symptomatiques de l’infection à SARS-CoV-2, pour une durée maximale de quelques mois et chez certains groupes de population définis par les études cliniques pivots. La maîtrise de l’épidémie implique à terme que la circulation du virus soit éliminée dans la population générale et non pas seulement que les sujets vaccinés ne soient pas malades. Les effets freinateurs de la vaccination sur la circulation asymptomatique du virus sont probables et démontrés de façon préliminaire [24, 25]. On comprendrait d’ailleurs mal que la protection contre la maladie ne s’associe pas, du moins à un certain degré, à une diminution de la réplication du virus chez les sujets vaccinés et donc de sa transmission. Mais cet effet tant espéré sur la circulation du virus doit être vérifié de façon non ambiguë. De même, il est essentiel de valider que la protection immunitaire va concerner tous les âges de la population et pour une durée assez longue, idéalement couvrant plusieurs années. Question connexe, faut-il vacciner les personnes qui ont déjà été infectées ? De prime abord, la réponse est non mais cette idée est débattue. Dans la plupart des maladies virales, l’immunité naturelle acquise après infection est plus solide et durable que celle acquise après vaccination. Dans le cas présent de surcroît, il est peu probable que l’immunité vaccinale dirigée contre la seule protéine S va dépasser en durée et en intensité l’immunité naturelle induite par l’ensemble des protéines du virus [26]. On s’attend donc à ce que le gain de protection induit par la vaccination des personnes déjà infectées soit très modeste, voire inexistant. En ce sens, la recommandation d’administrer une dose de vaccin aux personnes déjà infectées est discutable d’une part parce que cette dose ne constitue un rappel que vis-à-vis de la protéine S et d’autre part parce que son bénéfice immunitaire n’est nullement démontré en regard du risque potentiel d’effets indésirables. À l’appui de la vaccination des personnes déjà infectées, on cite volontiers la description de réinfections, asymptomatiques pour la plupart, chez des personnes ayant déjà eu la Covid-19 et la réponse en anticorps extrêmement élevée observée après une injection de vaccin chez ces personnes [27, 28]. Ces arguments sont loin d’être convaincants : la mémoire immunitaire contre les infections virales est classiquement fondée sur le fait que toute réinfection débutante suscite immédiatement une réaction immunitaire secondaire de grande amplitude qui bloque cette infection débutante. A contrario, l’induction de cette réponse secondaire après vaccination est bien la preuve d’une immunité persistante après l’infection naturelle.
Les questions de la durée de l’immunité naturelle ou vaccinale et de la nécessité de vacciner ou de revacciner vont se poser avec acuité dans deux situations particulières : les personnes immunodéprimées et les infections par des variants du SARS-CoV-2 dont la protéine S, du fait de mutations du génome viral, n’est plus reconnue par la réponse immunitaire. En effet, l’efficacité remarquable de la réponse immunitaire anti-protéine S ne peut occulter le fait que son angle de tir est étroit. Des variants caractérisés par des altérations de cette protéine peuvent être moins sensibles, voire totalement résistants, à la réponse immunitaire induite par le virus originel comme cela vient d’être récemment montré pour le variant dit sud-africain [29]. La surveillance de l’émergence de tels variants résistants est une absolue nécessité car, s’ils devenaient prédominants, ils imposeraient en urgence la modification de la composition des vaccins, une procédure coûteuse en temps et en matériel qu’il faut, dans la mesure du possible, anticiper. Les questions de l’immunité résiduelle, voire de l’inflammation résiduelle, et des réinfections se poseront aussi à plus long terme pour la prise en charge des formes chroniques de Covid-19 (long COVID, post-acute COVID syndrome) [30]. Si, en première intention, ces formes sont à classer dans le cadre général des syndromes inflammatoires chroniques post-infectieux, il conviendra d’en préciser la physiopathologie et d’évaluer l’impact possible des vaccins anti-Covid tant dans leur prévention que dans leur traitement.
D’autres interventions sanitaires doivent soutenir la campagne vaccinale
L’objectif sanitaire est l’élimination de la circulation du virus dans la population générale et l’arrêt de l’épidémie, l’éradication au sens propre de ce virus étant un objectif à très long terme dont la faisabilité n’est pas du tout acquise, quelle que soit l’efficacité des vaccins.
Pour la maîtrise de l’épidémie actuelle, cette efficacité comporte encore de nombreuses incertitudes et il est possible qu’elle ne soit pas suffisante. Les mesures et gestes barrières doivent donc impérativement continuer à être appliqués. On peut essayer de revivre comme avant mais il ne faut laisser tomber ni le masque, ni l’hygiène des mains, ni la distanciation physique. Laisser circuler le virus librement sans lui opposer le moindre obstacle physique en attendant l’hypothétique parapluie vaccinal, c’est laisser émerger les variants, maintenir le système sanitaire au bord de la rupture et accepter la responsabilité de nombreux décès dans la collectivité ; c’est inacceptable et irresponsable. Les efforts de recherche concernant la chimiothérapie antivirale doivent aussi être poursuivis, la mise à disposition d’antiviraux spécifiques étant à terme un complément important de la vaccination pour la maîtrise de l’épidémie. L’arsenal thérapeutique anti-Covid-19 s’est enrichi avec la mise à disposition d’anticorps monoclonaux. On note que ces anticorps anti-protéine S, produits au laboratoire, ont un coût élevé et une fenêtre d’efficacité encore plus étroite que les anticorps naturels induits chez les sujets infectés ou vaccinés puisque leur cible moléculaire peut disparaître en totalité du fait d’une seule mutation du virus. D’où la nécessité de les administrer en association (actuellement c’est une association de deux anticorps monoclonaux différents) pour éviter la sélection trop rapide de variants viraux résistants. Lors de l’administration de ces traitements, la nécessité de caractériser les variants viraux en circulation rejoint donc l’objectif de conserver des vaccins adaptés en permanence à ces variants, du moins ceux ciblant la protéine S.
Les questions nombreuses sur l’efficacité mais aussi les effets indésirables, parfois graves, de la vaccination doivent trouver une réponse. Outre l’indispensable évaluation clinique, il faut utiliser largement et améliorer si nécessaire les outils biologiques pour quantifier le virus chez les personnes infectées et/ou vaccinées ainsi que dans l’environnement [31, 32]. L’évolution génétique du SARS-CoV-2 doit être analysée en temps réel, et bien au-delà du seul gène de la protéine S car on connaît l’importance des interactions entre les différents gènes portés par le même génome pour les virus à ARN, tels que les coronavirus. La surveillance de l’émergence des variants est en effet une nécessité pour piloter au mieux la lutte contre l’épidémie et l’adapter au mieux à la variabilité du virus. Cette analyse génétique peut aussi rétrospectivement aider à comprendre l’origine et l’émergence du SARS-CoV-2 qui restent, à bien des égards, des énigmes [33]. Il faut aussi analyser les effecteurs de la réponse inflammatoire et de la réponse immunitaire tant pour définir des marqueurs de protection, au-delà du seul dosage des anticorps neutralisants sériques, que pour obtenir des indicateurs des complications de la maladie et des effets indésirables de la vaccination. Ces outils et ces informations sont d’autant plus nécessaires que les vaccins anti-Covid-19, qui se sont imposés dans l’urgence mais sont objectivement innovants, ouvrent peut-être la voie à des progrès majeurs dans d’autres domaines de l’infectiologie et de la cancérologie.
Il y a pire qu’une campagne vaccinale qui tarde, c’est une campagne vaccinale qui échoue. L’échec consacre l’inefficacité contre la maladie actuelle et discrédite par avance les vaccinations à venir, d’où un recul prolongé des politiques de prévention et un surcoût énorme en dépenses de santé comme en vies humaines. Il faut des années ensuite pour rétablir la confiance et rattraper le retard, comme l’ont montré les issues défavorables des campagnes de vaccination contre l’hépatite B en 1998 ou contre la grippe pandémique H1N1 en 2010. Nous n’en sommes pas là en ce qui concerne la vaccination contre la Covid-19. Hormis la logistique, les voyants y sont au vert. Il importe que cet élan, qui peut nous faire sortir de l’épidémie actuelle puis nous faire bénéficier de progrès thérapeutiques déterminants dans les années à venir, soit préservé du scepticisme, de considérations purement mercantiles et de décisions irresponsables. Il faut avancer. El que tropieza y no cae, adelanta terreno.*
* Celui qui trébuche mais ne tombe pas, avance (proverbe espagnol).
Remerciements
L’auteur remercie tous les collègues qui lui ont fait part de leurs commentaires après la première diffusion du texte le 25 mars 2021, en particulier Jean-Yves Cesbron, Vincent Thibault, Etienne Decroly, Noël Tordo et Francis Barin.
Liens d’intérêt
L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.
Références
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