16 octobre 2020 - Covid-19, septembre 2020 : avis de tempête automnale
Henri Agut
Professeur honoraire, Paris, France
Membre fondateur de la revue Virologie
https://www.jle.com/fr/revues/vir/comite
Correspondance : Henri Agut
Mots-clés : Covid-19, virose respiratoire, superdissémination, geste barrière, diagnostic virologique
⇐ Retour au dossier "Actualités COVID-19"
Dix mois après l’apparition de la Covid-19 en Chine et six mois après l’instauration d’un confinement national en France, la situation de l’infection à SARS-CoV-2 dans notre pays suscite encore beaucoup d’interrogations. Depuis quelques semaines, nous assistons, après un reflux de l’épidémie en avril et une accalmie estivale, à une recrudescence des cas d’infection en France. L’augmentation confirmée du pourcentage de positivité des tests diagnostiques directs est un indicateur sans équivoque de cette reprise épidémique qui trouve un écho dans de nombreux autres pays du monde [1]. Cette augmentation correspond probablement plus à un mouvement de fond de la pandémie qu’à un relâchement circonstanciel des mesures de prévention dans certains groupes de population. Il ne s’agit plus d’avoir peur, il faut maintenant nous résoudre à vivre avec le SARS-CoV-2 et sa dynamique propre pendant plusieurs années. La vague épidémique d’automne – qu’on la qualifie de rebond, de deuxième vague ou, déjà, de vague saisonnière – incite à dresser des constats, poser des questions et envisager des réponses, les uns comme les autres ne se voulant ni exhaustifs ni définitifs.
Où en sommes-nous ?
Depuis peu, il semble que nous disposions enfin d’une image globale, du moins en termes d’ordre de grandeur, de la première vague épidémique dans notre pays grâce aux données convergentes des relevés épidémiques, d’estimations statistiques et d’études ponctuelles virologiques sur des groupes de malades ou de sujets contacts : approximativement, plus de 30 000 morts, 3 à 4 millions de personnes infectées, 50 % de formes asymptomatiques [1-3]. Que peut-on en conclure ?
D’abord, la bénignité du SARS-CoV-2, évoquée initialement, est à relativiser. La mortalité de la première vague de la Covid-19 est celle d’une pandémie grippale sévère, telle que la grippe asiatique de 1957-58 ou la grippe de Hong-Kong de 1968-1969, et non pas celle d’une grippe saisonnière banale. On retrouve peu ou prou cette caractéristique dans tous les pays occidentaux. Cette mortalité touche en majorité les sujets âgés et/ou atteints de comorbidités, une caractéristique que la Covid-19 partage avec d’autres infections virales respiratoires sévères. Les données plutôt rassurantes du début de l’année 2020 concernant la faible mortalité de la pandémie résultent donc probablement de situations sanitaires, sociétales et géographiques exceptionnellement favorables pour le moins, sinon d’erreurs de décompte, au pire de tentatives de dissimulation [4]. La question est de savoir si la vague épidémique d’automne aura la même sévérité ou si, face à une société mieux préparée et informée, la proportion de formes graves et de décès va notablement diminuer.
Ensuite, le SARS-CoV-2 n’est peut-être pas aussi contagieux qu’on le pensait. Qu’on me pardonne de le dire ainsi mais environ 5 % de la population française atteints par le virus jusqu’à présent avec 50 % de formes asymptomatiques, ce n’est pas beaucoup. Certes, le virus a réussi son émergence dans l’espèce humaine en quelques mois, les 30 millions (au moins) de cas d’infection déclarés sur l’ensemble de la planète en étant une preuve incontestable. Dans ce contexte pandémique, il était tentant de percevoir cette épidémie comme une vague unique déferlant massivement et successivement sur l’ensemble des territoires (modèle « tsunamique ») avec, au sommet de la vague, un très grand nombre d’infections, pour la plupart asymptomatiques [4, 5]. L’ensemble de ces infections, en grande majorité asymptomatiques mais toutes susceptibles de transmettre le virus, serait le puissant moteur de la propagation épidémique. Il faut manifestement revoir cette hypothèse simpliste et peut-être revenir à celle d’une transmission virale principalement entretenue par des sujets superdisséminateurs créant des foyers ponctuels de cas regroupés selon une répartition plus aléatoire (modèle « saltatoire ») en fonction de leurs déplacements et de circonstances locales favorables [6]. Dans ce modèle, les sujets asymptomatiques faiblement excréteurs du virus seraient beaucoup moins nombreux que dans le modèle « tsunamique » et n’interviendraient que modestement dans la propagation de l’épidémie. Il faut noter que ces deux modèles volontairement schématiques, « tsunamique » et « saltatoire », ne sont pas totalement exclusifs l’un de l’autre, ne peuvent être différenciés au sein d’un foyer de circulation intense du virus et peuvent tous deux manifester une forme de saisonnalité. Rappelons aussi que la transmission par des sujets superdisséminateurs a été bien décrite dans les infections à SARS-CoV-1 et à MERS-CoV mais le succès émergentiel du SARS-CoV-2 par rapport à ses deux prédécesseurs a fait supposer que ce mode de transmission était marginal dans l’épidémie actuelle [7, 8]. Le fait est que le nombre total de personnes infectées à ce jour par le SARS-CoV-2 est faible comparé aux effectifs de la population générale et c’est plutôt une mauvaise nouvelle. La constitution d’une immunité de groupe devient une perspective lointaine et coûteuse en vies humaines, comme vient de le montrer une simulation récente [3]. Par ailleurs, la transmission préférentielle par des sujets superdisséminateurs, si elle est avérée, est un facteur de complexité supplémentaire, imposant d’introduire des paramètres de dispersion, d’hétérogénéité et de répartition aléatoire dans les modélisations, ce dont ne tient pas compte l’omniprésent R0 dans les analyses épidémiques et les modèles actuels [9]. Une question, et non la moindre, est de savoir comment la propagation épidémique du virus, quel qu’en soit son mode effectif, va interférer avec les épidémies attendues des virus respiratoires saisonniers connus (entérovirus, rhinovirus, virus parainfluenza, virus respiratoire syncytial, virus grippaux… et les autres coronavirus) en remarquant que le SARS-CoV-2 vient d’effectuer le redémarrage le plus précoce.
Enfin, on me permettra de revenir sur la question de la pathogénicité propre du SARS-CoV-2. L’expression clinique de l’infection, une fois initiée la réplication virale dans l’épithélium nasal, et son évolution ont été principalement mises en relation avec l’état général antérieur du malade et sa réponse immunitaire au sens large, innée et acquise [10, 11]. Cette relation n’est pas contestable quand on observe que la grande majorité des décès survient chez les personnes âgées et que beaucoup des complications s’inscrivent dans le cadre d’une maladie inflammatoire autant qu’infectieuse. Cependant, au-delà de l’impact possible de la charge virale des sujets disséminateurs sur la capacité de transmission du virus, on pourrait s’interroger aussi sur les effets de la charge virale transmise sur l’apparition de la maladie et son intensité clinique. Hypothèse formulée autrement, plus la quantité de virus reçue par un individu sensible à l’infection serait élevée, plus les signes cliniques de la Covid-19 seraient intenses. On peut évoquer, pour expliquer cela, plusieurs raisons théoriques, par exemple une pénétration plus précoce et plus rapide du virus dans les voies respiratoires inférieures. Cette hypothèse n’est pas nouvelle et a déjà été évoquée par plusieurs auteurs [12, 13]. Elle est conforme aussi aux résultats des expériences du laboratoire où la multiplicité d’infection (le nombre de particules virales inoculées par cellule) détermine la cinétique et l’intensité des altérations cellulaires observées. Dans le cas des infections humaines, il a déjà été rapporté qu’une charge virale à SARS-CoV-2 élevée en cours d’infection est corrélée à une forme sévère de la maladie [14].
Comment lutter ?
Le confinement total et prolongé plusieurs semaines, décrété dans le monde entier à quelques exceptions près, ne devrait plus être considéré comme le recours ultime en cas de situation extrême. Une épidémie virale n’est pas un nuage toxique résultant d’un accident industriel, d’une catastrophe nucléaire ou d’une agression terroriste. L’espèce humaine n’est plus un ensemble de groupes autonomes de chasseurs-cueilleurs, disséminés sur de vastes territoires. Nous vivons dans des sociétés urbaines, à forte densité de population, au sein desquelles se sont créées des interrelations sociales, économiques et culturelles étroites, denses et complexes. Le confinement généralisé a une certaine efficacité sanitaire en termes de prévention de l’infection et de préservation d’un système de soins quand il est au bord de l’implosion. Cette efficacité, affirmée par le bon sens, reste difficile à évaluer précisément. Accessoirement, il a un impact positif sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre mais ce n’est pas l’objectif recherché. En revanche, son coût est assurément démesuré sur le plan sociétal, économique et même médical, tant l’impact négatif sur l’accès à l’offre de soins et à la protection sociale peut être délétère [15-17]. Difficile à supporter dans les pays riches, son effet est dévastateur dans les pays les plus pauvres. Le confinement généralisé sera donc à envisager avec une extrême circonspection dans la lutte contre les futures épidémies virales.
En revanche, la prévention par les gestes barrières au niveau individuel est à pratiquer sans restriction, maintenant que certaines discussions dogmatiques, voire byzantines, ont heureusement pris fin. Un virus présent dans les voies respiratoires comme le SARS-CoV-2 est transmis par voie aérienne selon un continuum qui va des aérosols (microparticules en suspension dans l’air ambiant) à la flaque de morve présente accidentellement sur les mains, elle-même à l’origine du risque de contamination par contact avec des objets inertes, en passant par les gouttelettes respiratoires (les postillons, plus gros et de portée plus limitée que les aérosols). Logiquement un masque respiratoire (porté sur la bouche mais aussi évidemment sur le nez, porte d’entrée principale du virus), l’hygiène des mains par lavage fréquent ou friction avec des solutions hydro-alcooliques et la distanciation sociale sont des procédures efficaces pour diminuer cette transmission. On comprendra tout aussi aisément que chacune de ces procédures n’a pas besoin d’être efficace à 100 % pour avoir un effet notable sur la transmission virale, le but n’étant pas d’annihiler toute trace du virus mais seulement de réduire significativement la charge virale transmise. Intérêt supplémentaire, ces procédures protègent également contre les autres infections virales respiratoires et digestives et leur efficacité s’additionne quand tous les individus d’un groupe les pratiquent simultanément. Certes, pour pasticher une publicité ancienne défendant le port du gilet jaune (ancienne manière), le masque, c’est disgracieux avec n’importe quel habillement, cela gêne un peu la respiration, cela empêche de manger... mais cela peut vous sauver la vie. Il faut aussi adapter le niveau de protection du masque au niveau de risque théorique d’exposition qui n’est pas identique pour un client de supermarché, un mélomane au concert et une infirmière urgentiste confrontée à 30 cas de Covid-19, dont certains en détresse respiratoire aiguë, durant sa nuit de garde. Si un masque textile fabriqué à la maison peut suffire dans un cas, un masque à hautes performances de filtration de type FFP2, voire FFP3, peut être indispensable dans un autre.
Les traitements antiviraux à action directe font défaut actuellement et leur calendrier de développement prévisible (conception, expérimentation, mise sur le marché), même accéléré du fait de l’urgence sanitaire, ne peut être que très retardé par rapport à l’évolution de l’épidémie. Le repositionnement de médicaments déjà commercialisés contre d’autres infections ou maladies a globalement déçu, ce qui n’est pas une surprise quand on connaît l’extrême spécificité des médicaments antiviraux efficaces et la grande pauvreté de l’arsenal thérapeutique actuellement disponible contre les autres infections virales respiratoires. En revanche, le traitement symptomatique de la Covid-19 et de ses complications s’est considérablement amélioré au cours des derniers mois avec l’utilisation optimisée de l’oxygénothérapie, de la ventilation mécanique, des anti-inflammatoires, des anticoagulants et des autres traitements d’appoint dans la prise en charge des formes graves. C’est l’occasion de rappeler que les infections à SARS-CoV-2 sont, dans leur grande majorité, soit asymptomatiques soit à l’origine d’une maladie bénigne d’évolution spontanément favorable. La Covid-19 n’est pas la guerre mais une maladie infectieuse aiguë transmissible qu’il faut maintenant prendre en charge en même temps que la grippe, la tuberculose, l’infarctus du myocarde, l’accident vasculaire cérébral et le cancer du sein [18, 19]. Évidemment le risque d’un débordement du système de santé en situation d’épidémie du fait d’un afflux brutal de malades est bien réel. Ce risque impose une fois encore une collaboration médicale totale et transparente entre médecine de ville et hôpital, entre secteur privé et secteur public, une collaboration qui est sûrement perfectible en France.
L’immunité anti-SARS-CoV-2, individuelle à défaut d’être collective à court terme, existe bel et bien, apparaissant au décours de l’infection et conduisant à l’élimination du virus de l’organisme infecté. Cela ne saurait étonner pour une infection virale aiguë qui, apparemment, dans la majorité des cas évolue spontanément vers la guérison. Elle se matérialise par l’apparition d’anticorps circulants qu’on peut détecter maintenant par des techniques adaptées de diagnostic sérologique et comporte également une composante cellulaire plus difficile à appréhender par des techniques immunologiques largement accessibles [20-23]. Les anticorps ne sont pas toujours détectés par les techniques actuellement utilisées ou peuvent ne plus l’être quelques mois après l’infection aiguë, en particulier si celle-ci a été asymptomatique [24]. Le caractère protecteur de cette réponse immunitaire ne fait guère de doute, du moins à brève échéance. Les publications sporadiques de cas de réinfections peu de temps après le premier épisode, très médiatisées, ne sauraient surprendre, ni remettre en question ce caractère protecteur : après une première élimination, la présence transitoire du virus dans les voies respiratoires réactive rapidement la réponse immunitaire (réponse immune secondaire, dite anamnestique) ce qui inhibe la réplication virale, empêche la réapparition de la maladie et assure ainsi la protection. Les faits qui posent question sont l’évaluation et la durée de cette protection. De fait, la réponse immune vis-à-vis de nombreux virus respiratoires est souvent fugace dans le temps et complexe, avec des marqueurs biologiques qui ne sont que faiblement corrélés à son caractère protecteur : on fait ainsi plusieurs infections par le virus respiratoire syncytial au cours de la vie, ce qui indique un caractère fluctuant et transitoire de la protection immune induite par l’infection naturelle. En dépit de ces réserves et de ces difficultés, l’induction d’une immunité protectrice contre le SARS-CoV-2 par la vaccination serait une formidable solution pour arrêter l’épidémie et suscite un nombre inouï de recherches, non dénuées d’ailleurs d’intérêts politiques et commerciaux. Cependant, les acteurs du domaine qui annoncent un vaccin efficace à l’horizon de quelques mois sont bien imprudents au vu de la difficulté de la tâche. Il suffit d’observer la situation pour deux autres virus respiratoires fréquents, légitimement redoutés et faisant l’objet de recherches intensives depuis plusieurs décennies. Le vaccin antigrippal est efficace mais loin d’être optimal avec une composition quadrivalente, la nécessité d’une réadministration annuelle et un taux de protection de 60 % seulement les meilleures années, illustrant le caractère fugace et incomplet de l’immunité induite [25]. Quant au virus respiratoire syncytial, entraînant des milliers de décès chaque année, les premiers essais de vaccination avaient été néfastes, le vaccin alors proposé induisant des formes graves de la maladie, et les recherches selon d’autres orientations n’ont pas encore abouti à un vaccin commercialisé.
La stratégie de lutte contre la Covid-19 instituée en France et fondée sur la triade « dépister, tracer, isoler » apparaît légitime sur le fond car l’identification précoce des personnes infectées et leur isolement sont essentiels pour briser les chaînes de transmission du virus. La durée d’isolement réduite à une semaine et correspondant à la période de présence maximale du virus dans les voies respiratoires paraît raisonnable. Cette stratégie est soutenue par une large diffusion de la pratique des tests de diagnostic virologique qui relèvent maintenant de deux approches. La RT-PCR pratiquée sur un prélèvement nasopharyngé (auquel on peut substituer maintenant dans certains cas un échantillon de salive) détecte directement le virus et permet le diagnostic à la phase aiguë de l’infection qui est relativement brève (fin de la phase d’incubation et premiers jours de la phase des signes cliniques). Le diagnostic sérologique détecte les anticorps spécifiques à la fin de la phase clinique, pendant la convalescence et longtemps après la guérison. Il faut rappeler qu’aucune de ces deux approches complémentaires n’a, pour diverses raisons, une sensibilité de 100 % mais cette réserve n’affecte pas leur rôle essentiel dans la lutte contre le virus. Le diagnostic sérologique, en cette période de surcharge des laboratoires, devrait être réservé aux seules études épidémiologiques. Ce sont donc essentiellement les résultats de RT-PCR qui permettent de reconnaître et isoler les malades en phase aiguë ainsi que de suivre le devenir des cas contacts de première ligne. Les données récentes montrent hélas que cette procédure est engorgée en France avec des délais très longs aussi bien pour la pratique des prélèvements et la réalisation des examens que pour le rendu des résultats, ce qui compromet grandement son utilité. Une des raisons est que l’on a probablement sous-estimé la technicité élevée de la RT-PCR, qu’il s’agisse de la pratique des prélèvements ou de la réalisation des examens, ce qui n’en fait pas une méthode de dépistage de masse a priori et justifie son coût important. Il faut donc renoncer à une pratique totalement ouverte et non contrôlée de ce dépistage pour revenir aux indications fondamentales du diagnostic virologique : la prise en charge médicale de la personne infectée ou de son entourage proche, familial ou professionnel (traitement, isolement, prévention), avec une attention toute particulière pour le personnel de santé, ainsi que les études épidémiologiques et thérapeutiques (définition et ajustement des stratégies de lutte). Dans le contexte de la triade stratégique qui devrait plutôt s’intituler « diagnostiquer, tracer, isoler », la liste des indications n’inclut pas le « besoin de savoir » dicté par la curiosité ou des angoisses non fondées ; elle ne devrait pas inclure non plus les obligations administratives de présenter un résultat négatif, multiples et pour la plupart non motivées, d’autant plus que la valeur prédictive négative de ce test est plus faible que sa valeur prédictive positive. Des améliorations diagnostiques sont-elles possibles ? Des tests rapides, fondés sur la détection non plus de l’ARN mais des antigènes (c’est-à-dire les protéines) viraux, sont déjà en évaluation et pourraient être utilisés au plus près du terrain, en particulier lors des consultations dans les cabinets médicaux [26]. Au-delà des difficultés possibles dans la mise au point, la validation, la fabrication et la diffusion de ces tests, il faut s’attendre à une sensibilité inférieure à celle de la RT-PCR, comme on l’a observé dans le diagnostic de la grippe ou des infections à virus respiratoire syncytial. Un test quantitatif de RT-PCR permettant une mesure de la charge virale serait utile lui aussi, d’autant plus si les fortes excrétions de virus avaient un rôle pivot dans la transmission et/ou le pronostic de l’infection (lire plus haut) et si des médicaments antiviraux étaient disponibles dans un proche avenir, avec la nécessité de valider leur efficacité thérapeutique contre la réplication virale. Cependant, la mise au point de ce test quantitatif ne sera pas forcément aisée car les prélèvements respiratoires ou salivaires ne sont pas aussi facilement standardisables et manipulables que le sang ou le plasma. Par ailleurs, les indications de ce test devront être bien pesées car son coût prévisible (en temps, en réactifs) sera aussi élevé que celui de la RT-PCR qualitative. On ose à peine évoquer cette question avec le personnel des laboratoires, qui est déjà débordé par le dépistage élargi de l’infection à SARS-CoV-2 et les examens biologiques indispensables pour la prise en charge des autres maladies, et qui va être confronté maintenant au diagnostic des autres viroses respiratoires saisonnières [27].
Que sont nos valeurs devenues ?
L’infection à SARS-CoV-2 et la Covid-19, par leur irruption brutale dans notre vie, mettent à l’épreuve nos certitudes et nos espoirs de vivre « dans le meilleur des mondes possibles ». De fait, nombre des mesures efficaces s’opposant à la transmission du virus et favorisant la prise en charge des malades relèvent du bon sens, du civisme, et de la solidarité, une fois qu’une information raisonnée, incluant les nombreuses incertitudes, a été donnée à l’ensemble de la population. Le port d’un masque et la distanciation sociale dans la sphère publique chaque fois qu’ils s’imposent, l’hygiène des mains, l’auto-exclusion de la communauté pour quelques jours des personnes diagnostiquées comme infectées ou de celles qui ont d’autres bonnes raisons de se croire infectées, l’absence de recours à l’offre de soins ou au diagnostic virologique quand il n’y a pas d’indication à le faire, tout cela n’a pas besoin d’un cadre législatif contraignant pour être appliqué. Pourtant, des textes réglementaires et des recommandations officielles, issus de sources multiples, souvent fluctuants, parfois contradictoires, sont produits par les institutions pour faire appliquer ces procédures avec des sanctions possibles à la clé. Mais beaucoup de citoyens demandent aussi cet encadrement avec force, exigeant une précision inouïe dans les distances, les durées, les heures, les températures, le nombre de personnes qu’aucune connaissance scientifique ne peut actuellement leur donner. D’ailleurs, ces exigences de la population générale concernant les procédures vont parfois de pair avec la volonté de les remettre en question, voire l’intention avouée de les contourner. Le monde scientifique et médical quant à lui s’est souvent mis dans une mauvaise posture en acceptant de conseiller officiellement la politique de lutte contre la pandémie, de la cautionner et de mettre en valeur cette mission devant les micros et les caméras en oubliant de signaler au passage l’étendue de ses ignorances.
Reconnaissons que l’exemple ne vient pas d’en haut et d’ailleurs. Les instances sanitaires internationales n’interviennent pas pour gérer la cacophonie, les méfiances réciproques, les intérêts politiques et nationalistes régnant autour du SARS-CoV-2 qui pourtant ne connaît lui aucune frontière. L’Europe, pour ne citer qu’elle, celle de la démocratie, de la solidarité entre les peuples et de la raison est bien loin. Même si la santé reste une prérogative de chaque État, on aurait aimé soutenir un projet européen de santé publique ambitieux susceptible d’homogénéiser les stratégies, favoriser les coopérations, lever les barrières entre les États dans la lutte contre l’épidémie. Il n’en est rien alors que, par ailleurs, l’Europe a su créer des Agences du médicament et de sécurité alimentaire qui fonctionnent. Les mauvais esprits ne manqueront pas de conclure que cela fonctionne parce qu’il s’agit de questions commerciales et non plus sanitaires.
Le SARS-CoV-2 est une entité biologique sélectionnée lors de l’évolution pour être transmise et répliquée dans la biosphère. Il n’y a ni intelligence maligne ou ni projet pervers dans le fait qu’il provoque le décès de personnes âgées ou fragilisées, pénalise durement les pays les plus pauvres, malmène les libertés individuelles et un confort de vie sociale privilégiant l’accès à l’éducation et à la culture. Il manifeste simplement un opportunisme biologique passif qui lui fait tirer parti de défaillances humaines, et cela dès son émergence. D’autres mammifères, les chauves-souris, soumis eux aussi à la pression de l’évolution, affichent semble-t-il un équilibre plus harmonieux avec leur écosystème viral. Mais cela ne nous apprend pas, du moins pour l’instant, comment combattre les infections à coronavirus pathogènes issus de ce monde animal. Ce sont les êtres humains, et eux seuls, qui pourront donner à la lutte contre la Covid-19 un contenu scientifique et moral conforme à leurs valeurs.
Liens d’intérêt
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec le contenu de cet article.
Remerciements
L’auteur remercie tous les collègues qui lui ont fait part de leurs commentaires après la première diffusion du texte le 20 septembre 2020, en particulier Hélène Peigue-Lafeuille pour sa relecture attentive et amicale.
Références
1. Santé publique France. Covid-19 : Point épidémiologique hebdomadaire du 17 septembre 2020. Consulté le 20 septembre 2020.
2. Études et Résultats. En mai 2020, 4,5 % de la population en France métropolitaine a développé des anticorps contre le SARS-CoV-2. Premiers résultats de l’enquête nationale EpiCov. Consulté le 15 octobre 2020. https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/er1167.pdf.
3. Fontanet A, Cauchemez S. Covid-19 Herd immunity: where are we? Nature Rev Immunol 2020 ; 20 : 583-4.
4. Agut H. Perplexité d’un virologue retraité face au SARS-CoV-2. Virologie 2020 ; 24 : 68‑72.
5. Feaster M, Goh YY. High proportion of asymptomatic SARS-CoV-2 infections in 9 long-term care facilities, Pasadena, California, USA, April 2020. Emerg Infect Dis 2020 ; 26 : 2416-9.
6. Frieden TR, Lee CT. Identifying and interrupting superspreading events implications for control of severe acute respiratory syndrome coronavirus 2. Emerg Infect Dis 2020 ; 26 : 1059-66.
7. Tambyah PA. Severe acute respiratory syndrome from the trenches, at a Singapore University Hospital. Lancet Infect Dis 2004 ; 4 : 690-6.
8. Kim SW, Park JW, Jung HD, Yang JS, Park YS, Lee C, Kim KM, et al. Risk factors for transmission of Middle East respiratory syndrome coronavirus infection during the 2015 outbreak in South Korea. Clin Infect Dis 2017 ; 64 : 551-7.
9. Lloyd-Smith JO, Schreiber SJ, Kopp PE, W. Getz WM. Superspreading and the effect of individual variation on disease emergence. Nature 2005 ; 438 : 355-59.
10. Zhang Q, Bastard P, Liu Z, Le Pen J, Moncada-Velez M, Chen J, Ogishi M, Sabli IKD, et al. Inborn errors of type I IFN immunity in patients with life-threatening covid-19. Science 2020 Sep 24 : eabd4570.
11. Bastard P, Rosen LB, Zhang Q, Michailidis E, Hoffmann HH, Zhang Y, et al. Auto-antibodies against type I IFNs in patients with life-threatening covid-19. Science 2020 ; Sep 24 : eabd4585.
12. Raoult D, Zumla A, Locatelli F, Ippolito G, Kroemer G. Coronavirus infections: epidemiological, clinical and immunological features and hypotheses. Cell Stress 2020 ; 4 : 66-75.
13. Gandhi M, Rutherford GW. Facial masking for covid-19 - Potential for "variolation" as we await a vaccine. N Engl J Med 2020 ; Sep 8. doi: 10.1056/NEJMp2026913.
14. Pujadas E, Chaudhry F, McBride R, Richter F, Zhao S, Wajnberg A, Nadkarni G, et al. SARS-CoV-2 viral load predicts covid-19 mortality. Lancet Respir Med 2020 ; Sep 8 (9) : e70. doi: 10.1016/S2213-2600(20)30354-4.
15. Mesnier J, Cottin Y, Coste P, Ferrari E, Schiele F, Lemesle G, Thuaire C, et al. Hospital admissions for acute myocardial infarction before and after lockdown according to regional prevalence of covid-19 and patient profile in France: a registry study. Lancet Public Health 2020 ; Oct 5 (10) : e536-e542. doi: 10.1016/S2468-2667(20)30188-2.
16. Ricciardiello L, Ferrari C, Cameletti M, Gaiani F, Buttitta F, Bazzoli F, Luigi de Angelis G, et al. Impact of SARS-CoV-2 pandemic on colorectal cancer screening delay: effect on stage shift and increased mortality. Clin Gastroenterol Hepatol 2020 ; Sep 5 : S1542-3565(20)31236-2. doi: 10.1016/j.cgh.2020.09.008.
17. Gopal A, Sharma AJ, Subramanyam MA. Dynamics of psychological responses to covid-19 in India: A longitudinal study.PLoS One 2020 ; Oct 13 ; 15(10) : e0240650. doi: 10.1371/ journal.pone.0240650.
18. Van der Werf S, Peltékian C. Émergence du coronavirus SARS-CoV-2 : faire face à l’épidémie de Covid-19. Virologie 2020 ; 24 (S1) : 3-6.
19. Sansonetti PJ. Covid-19, chronicle of an expected pandemic. EMBO Mol Med 2020 ; May 8 ; 12 (5) : e12463. doi: 10.15252/emmm.202012463
20. Fafi-Kremer S, Bruel T, Madec Y, Grant R, Tondeur L, Grzelak L, Staropoli I, et al. Serologic responses to SARS-CoV-2 infection among hospital staff with mild disease in eastern France. EBioMedicin 2020 ; Sep ; 59 : 102915. doi: 10.1016/j.ebiom.2020.102915. Epub 2020 Jul 31.
21. Grzelak L, Temmam S, Planchais C, Demeret C, Tondeur L, Huon C, Guivel-Benhassine F, et al. A comparison of four serological assays for detecting anti-SARS-CoV-2 antibodies in human serum samples from different populations. S.Sci Transl Med 2020 ; Sep 2 ; 12 (559) : eabc3103. doi: 10.1126/scitranslmed.abc3103. Epub 2020 Aug 17.
22. Gudbjartsson DF, Norddahl GL, Melsted P, Gunnarsdottir K, Holm H, Eythorsson E, Arnthorsson AO, et al. Humoral Immune Response to SARS-CoV-2 in Iceland. N Engl J Med 2020 ; Sep 1 : NEJMoa2026116. doi: 10.1056/NEJMoa2026116.
23. Guihot A, Litvinova E, Autran B, Debré P, Vieillard V. Cell-Mediated Immune Responses to covid-19 Infection. Front Immunol 2020 : Jul 3, 11 : 1662. doi: 10.3389/fimmu.2020.01662.
24. Long QX, Tang XJ, Shi QL, Li Q, Deng HJ, Yuan J, Hu JL, et al. Clinical and immunological assessment of asymptomatic SARS-CoV-2 infections. Nat Med 2020 ; Aug 26 (8) : 1200-4. doi: 10.1038/s41591-020-0965-6.
25. Davis CW, Jackson KJL, McCausland MM, Darce J, Chang C, Linderman SL, Chennareddy C, et al. Influenza vaccine–induced human bone marrow plasma cells decline within a year after vaccination. Science 2020 ; 370 (6513) : 237-41.
26. Haute Autorité de Santé. Covid-19 : la HAS positionne les tests antigéniques dans trois situations. https://www.has-sante.fr/jcms/p_3212125/fr/covid-19-la-has-positionne-les-tests-antigeniques-dans-trois-situations. (Consulté le 14 octobre 2020.)
27. Lévêque N. Testons, testons, il en restera toujours quelque chose. Virologie 2020 ; 24 (4) : 205-7.