7 mai 2020 - Face à Covid-19 : une alliance médecin et vétérinaire !
Correspondance : Comité de Crise de la SFV
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Recueil d’interviews du professeur Astrid Vabret le 21 avril 2020 et du docteur Loïc Legrand le 22 avril 2020, par le Comité de Crise de la SFV
Professeur Astrid Vabret, quelques mots de présentation ?
Astrid Vabret. Après des études de médecine et un début de spécialisation en médecine interne, je suis finalement devenue médecin biologiste. J’ai été nommée PU-PH en virologie en 2009 (professeur des universités-praticien hospitalier) et j’ai pris la direction du laboratoire de virologie du CHU de Caen et du Centre national de référence (CNR) de la rougeole. Ce laboratoire et ce CNR étaient auparavant dirigés par le Pr. François Freymuth, spécialisé en virologie respiratoire. J’ai poursuivi cette thématique, avec une activité plus marquée sur les coronavirus humains et animaux.
Quelle est la charge analytique que vous avez actuellement en lien avec cette épidémie Covid-19 ?
AV. Au CHU de Caen, le diagnostic Covid-19 est installé depuis fin février. Pour nous, cela a commencé avec l’arrivée des rapatriés de Branville et l’installation de la technique de référence envoyée par le CNR de l’Institut Pasteur. Nous avons débuté assez doucement, puis tout s’est accéléré car nous avons effectué tous les tests pour l’ensemble du territoire bas-normand. Au début, nous réalisions entre 150 et 250 tests moléculaires par jour. Ces tests comprennent : 1) la réception des prélèvements ; 2) un enregistrement manuel dans le système informatique – car ce sont pour les trois quarts des demandes venant des hôpitaux périphériques – ; 3) la prise en charge du prélèvement en laboratoire. Nous effectuions cela au départ en P3, puis nous sommes sortis du P3 pour travailler en P2 sous PSM avec un équipement de protection individuelle (EPI). Nous sortons le prélèvement de son triple ensachage, chaque tube est désinfecté, on vérifie l’identito-vigilance, on enregistre toutes les données nécessaires pour le rendu d’un examen de biologie médicale (date et heure du prélèvement, heure d’arrivée, i.e. toute la traçabilité). L’échantillon est ensuite traité – technique d’extraction d’ARN suivie d’une amplification moléculaire – et nous procédons à la validation biologique. Aujourd’hui, nous réalisons à peu près 250 tests voire 300 tests par jour, 7 jours sur 7. Les plages horaires d’ouverture de notre service sont de 7 h à 23 h, donc très élargies par rapport à nos habitudes. Une demande d’aide a été faite auprès des autres laboratoires de notre CHU, qui ont commencé à nous donner du « temps technicien ». Cela s’est avéré possible parce que toute l’activité froide de l’hôpital a été en grande partie stoppée ; seules les urgences ont été maintenues ; beaucoup de consultations de suivi, notamment des patients greffés, ont été maintenues par téléphone. Les autres laboratoires de notre pôle de biologie avaient donc beaucoup moins de travail et nous avons reçu une aide technique grandissante. Dans la configuration actuelle du laboratoire, nous arrivons à saturation.
Dans les semaines précédentes, nous avons eu de grandes difficultés à obtenir des réactifs, en rupture chez les fournisseurs, et nous avons dû recourir à six techniques d’extraction différentes. Nous utilisons les automates de nos collègues des services de génétique humaine. Nous utilisons un kit commercial pour faire le pendant de la technique CNR et augmenter notre activité.
En biologie médicale, celui qui réalise l’analyse doit fournir le matériel de prélèvement. Nous sommes en recherche perpétuelle d’écouvillons et de milieu de transport virologique pour les prélèvements nasopharyngés. La plupart de nos écouvillons venaient de Copan Diagnostics, une entreprise du nord de l’Italie qui a rapidement arrêté sa production. Nous nous sommes mis à produire de nouveau le milieu de transport virologique, comme avant 2015. Nous avions alors opté pour un milieu commercial en raison des difficultés de validation par le Cofrac du milieu fait maison, et de la diminution du temps technique au laboratoire. Pendant trois semaines, nous passions plusieurs heures par jour à chercher des réactifs. Et depuis à peu près 15 jours, le ministère a pris des décisions pour faire des commandes gouvernementales afin de nous faciliter les choses : au niveau de l’extraction et de l’amplification, ça va ; au niveau des écouvillons c’est toujours un peu la course ! Nous attendons maintenant la stratégie de sortie de confinement pour savoir quelle va être la part des tests moléculaires. Rapidement on a su qu’il allait y avoir une montée en puissance des tests moléculaires et le laboratoire Labéo, laboratoire de diagnostic vétérinaire avec un pôle de recherche et développement, s’est proposé pour nous aider car nous avons beaucoup travaillé avec eux. Son Directeur, Guillaume Fortier, avait déjà fait des démarches au niveau de la préfecture et de l’ARS Normandie et m’a contactée. À la fois Guillaume Fortier et moi savions que cela pourrait être une aide très importante. En plus, Labéo possède quatre sites localisés à Saint-Contest, Saint-Lô, Alençon et Evreux. Les deux premiers se sont organisés pour mettre en place une « cellule technique Covid » avec une capacité d’environ 800 tests/jour. L’ouverture d’une troisième unité sur le site d’Alençon est en cours de réflexion. Ce laboratoire dispose d’un format de biologie vétérinaire approprié pour du dépistage assez massif, adapté à la surveillance en élevage (i.e. beaucoup de prélèvements de façon régulière). En biologie humaine, nous privilégions plutôt le random access, c’est-à-dire de pouvoir rendre rapidement au clinicien le résultat pour un patient donné. En fait, on ne fait habituellement pas de dépistage moléculaire de masse en biologie humaine parce que nous n’avons pas les mêmes objectifs qu’en élevage ! Le ministre de la Santé, Olivier Véran, a ensuite annoncé qu’il permettait aux laboratoires départementaux et vétérinaires de pratiquer la phase analytique de l’examen sur les prélèvements humains. Nous avons donc rapidement établi une convention entre le CHU de Caen et Labéo. Pour nous, l’examen consiste en la recherche moléculaire du SARS-CoV-2 dans un prélèvement nasopharyngé. La phase pré-analytique de préparation de l’échantillon et de l’enregistrement dans le système informatique se fait à l’hôpital. Les prélèvements sont ensuite pris en charge par Labéo pour l’extraction et l’amplification. La phase post-analytique de validation et de rendu de résultat est réalisée à l’hôpital, dans la mesure où les vétérinaires n’ont pas d’agrément pour la validation biologique d’examens de biologie humaine. C’est une véritable intrication : l’examen est découpé en trois et se déroule sur deux endroits. Il faut donc que ce soit une chaîne qui fonctionne très bien ! Nous leur donnons les réactifs pour l’amplification : ils utilisent leur plateforme d’extraction que nous n’utilisons pas en biologie humaine.
Labéo a donc validé la technique d’amplification combinée à cette technique d’extraction. Il y a également eu une étude de tous les process et surtout un gros travail des départements d’informatique de Labéo et du CHU pour pouvoir transférer les résultats avec les courbes associées (= résultats analytiques). Cela a été mis en place assez rapidement et nous avons débuté il y a environ huit jours. Nous venons donc de passer huit jours assez intenses.
Nous nous sommes tout de suite entendus parce que l’on se connaît bien et pour ma part, j’ai une entière confiance en eux pour la réalisation analytique des examens de virologie. Nous sommes allés sur leur site. Labéo dispose d’un très grand laboratoire P3 situé dans les locaux de Normandie Équine Vallée (NEV), site dédié à la recherche pour le cheval en Normandie et issu du partenariat de la région Normandie et du département du Calvados, et conçu il y a quelques années et qui était inoccupé au moment de la crise ; Labéo effectue toujours les examens de routine pour les bovins, équins, etc. mais ce qui est réalisé pour le Covid-19 est séparé sur le plan analytique. Nous avons mis en place des navettes pour l’acheminement des échantillons préparés et prêts à être analysés.
Pour la phase pré-analytique, nous avons mis en place un deuxième point de préparation des échantillons, dans un autre laboratoire. Cela devient spatialement compliqué car nous avons multiplié par presque 2,5 nos effectifs. Nous ne sommes pas vraiment dans de bonnes conditions de confinement ici, mais tout le monde porte des masques. Nous avons réalisé les essais vendredi et samedi dernier ; le système est en production actuellement. Certaines difficultés sont relatives au manque de connaissance du nombre de tests que nous devrons effectuer dans les prochains temps. Nous venons d’avoir des informations du ministère pour le déconfinement. Elles s’ajoutent aux recommandations concernant les Ehpad, à savoir que s’il y a une personne positive Covid-19, nous devons tester tous les soignants et quelques résidents. Nous ne savons pas si ces mesures sont vraiment appliquées à la lettre dans les Ehpad. Néanmoins, nous recevons des prélèvements par groupes de 60-80, nous nous adaptons au volume au jour le jour.
Depuis aujourd’hui, les visites sont de nouveau autorisées en Ehpad et je pense qu’il va y avoir ceinture et bretelle sur ce qui s’y passe, ce qui se traduira pour nous par beaucoup d’Ehpad à tester. Sur l’ancienne Basse-Normandie, les trois départements de la Manche, de l’Orne et du Calvados comptent environ 18 500 résidents en Ehpad, auquel il faut ajouter 80 % de personnel.
Les recommandations s’étendent à tout le médico-social – c’est un tissu assez large – et aux centres pénitentiaires. Nous allons assurer l’ensemble de ces tests du territoire avec Labéo. Cela devrait représenter une capacité maximale d’environ 2000 tests/jour. Il y a également l’intervention des laboratoires privés locaux et nationaux, comme par exemple Cerba, qui dépêchent des équipes mobiles de prélèvement. Ce qui manque, c’est une visibilité sur le découpage du territoire, qui pourrait être fait par exemple par la préfecture ou par l’ARS. Pour l’instant, nous avons mis ce système en place, le validons, et chaque jour, des prélèvements sont envoyés pour faire les dernières mises au point, essentiellement des mises au point informatiques (pour le transfert des données). On se demande si l’on va avoir beaucoup de travail ou pas. Quoiqu’il en soit, nous avons voulu monter un système qui nous permet de travailler avec des gens que l’on connaît, qui nous semblent fiables. Cela permet aussi aux laboratoires vétérinaires d’être utiles en cette période de pandémie. Ce n’était jamais arrivé, et je pense que c’est un partenariat qui est vraiment gagnant-gagnant.
Nous avons établi une convention pour le reversement à Labéo d’une certaine somme puisque les tests ont été placés à la nomenclature très rapidement. Leur cote est B200 (B de biologie médicale à 27 centimes d’euros) ce qui représente une prise en charge par la Sécurité sociale à hauteur de 54 euros. Lors de la signature de la convention, il y a eu une discussion sur ce qui serait reversé à Labéo pour sa part de travail (c’est le CHU qui a vu cela). Globalement, nous sommes contents de travailler ensemble et que ce soit au niveau local. Nous n’avons pas voulu du type de plateforme comme la grosse plateforme chinoise GBI proposée par le ministère, sans lien avec l’hôpital et avec une informatique séparée. Nous avons préféré avoir une convention avec un partenaire local car nous savions que ce partenariat avec Guillaume et Labéo permettait une capacité d’analyse assez importante. Globalement, pour l’instant, nous sommes contents et attendons les prélèvements.
Par rapport à la charge que vous aviez en routine, peux-tu estimer à peu près le débit que vous avez actuellement ?
AV. En ce moment, nous avons entre 200 et 300 prélèvements/jour, avec une baisse des demandes le dimanche. Pour l’instant, nous pouvons l’assurer. Ce partenariat avec Labéo est une préparation à la montée en charge du nombre de prélèvements. Il a été mis en place la semaine dernière et on est prêts. Par rapport à notre activité routinière, nous avons dû mettre en place et adapter la technique du CNR de l’Institut Pasteur, technique manuelle donc non automatisée et sans contrôle interne d’amplification, ce qui la rend peu utilisable en diagnostic médical de routine. Cela nous a pris beaucoup de temps car nous avons dû effectuer l’étape d’extraction avec différents kits. Nous prenons également en charge les étapes préanalytiques habituellement effectuées par le pôle de biologie pour gagner du temps et garantir un délai de rendu de résultat en 24 h. J’y tiens beaucoup car la rapidité du diagnostic conditionne notamment l’isolement des patients et leur prise en charge dans les filières qui ont été définies dans les hôpitaux (les unités Covid-19, les unités de soins intensifs, et les unités de réanimation). Le reste de notre activité en biologie a été beaucoup diminuée du fait de l’arrêt des activités froides, de l’arrêt des transplantations notamment. Notre première patientèle en virologie, ce sont les immunodéprimés et les transplantés, ce qui a beaucoup diminué. Au mois de mars-avril, le confinement a stoppé la circulation du SARS-CoV-2 mais aussi des autres virus respiratoires. De ce fait, nous maintenons les deux activités mais elles sont scindées au sein du laboratoire ; nous avons créé deux filières, avec des techniciens et des biologistes qui s’occupent soit de l’un, soit de l’autre.
Nous avons deux inquiétudes liées à la sortie de confinement : 1) il va y avoir une reprise progressive de l’activité de consultation et de l’activité hospitalière, donc une augmentation jusqu’à un retour à la normale de notre activité de routine ; 2) nous ne savons pas ce que nous aurons comme activité pour le diagnostic Covid-19. Nous pourrons nous décharger sur Labéo, ce qui est très bien, mais nous n’avons pas d’horizon. C’est la plus grande difficulté, car je crois que personne ne connaît l’ampleur du nombre de tests que l’on aura à réaliser. On sait que la population générale devra être prélevée (vont être prélevés tous les symptomatiques) et cela va être une très grosse charge. Nos capacités maximales seront de l’ordre de 2000 tests/jours, mais on ne sait pas quelle va être la part de prise de marché des laboratoires privés.
Cette pandémie nous a appris à nous adapter. Tous les jours, il y a quelque chose de nouveau, une annonce gouvernementale, une rupture de stocks de réactifs d’extraction ou d’amplification, de stock d’écouvillons… C’est la plus grande difficulté, on doit être hyper souples ! Ce que l’on a fait avec Labéo, c’est de se préparer pour une augmentation massive des tests – peut-être qu’il y en aura 3000/jour et que nous ne pourrons pas tout assurer.
N’aurait-il pas été utile de faire le lien avec Labéo plus tôt pour soutenir l’activité de diagnostic moléculaire ? Vous étiez-vous capables d’assumer cette charge ?
AV. Jusqu’à présent, oui, on l’a fait avec l’activité de Covid-19 moléculaire. Une activité de routine diminuée puisque dans les hôpitaux, il y avait finalement beaucoup de gens qui ne travaillaient plus ! Les infectiologues, réanimateurs, pneumologues, urgentistes et virologues restent actuellement mobilisés.
De plus, notre région n’a pas vécu l’horreur de la Région parisienne et du Grand Est. Tout le Grand Ouest a eu une épidémie qui n’a jamais dépassé les capacités de réanimation. Nous avons donc pu accepter les transferts de la Région parisienne lorsqu’ils ont été faits. D’après mes contacts avec des personnels en réanimation à Paris, cela les a énormément soulagés. Tout l’ouest de la France a été épargné de l’horreur de la pandémie. Nous avons fait et faisons beaucoup de tests sans avoir eu de surcharge en réanimation comme dans les régions citées.
Donc jusqu’à présent, on faisait 250 à 300 tests par jours, mais comme on nous annonce une augmentation du nombre de tests et que les laboratoires vétérinaires ont eu l’agrément pour faire la partie analytique, nous nous sommes dit, avec Guillaume Fortier, le préfet, l’ARS et la direction du CHU, que l’on mettait cela en place. Depuis 4-5 jours, on envoie quotidiennement des échantillons à Labéo pour parfaire notre système et on attend. À présent, un Ehpad peut nous contacter et nous envoyer 100 prélèvements. Et si on n’est pas en capacité de les traiter dans des délais corrects, on peut décider de les passer dans la filière Labéo. On est donc prêts pour la montée en charge. Elle va se faire progressivement, avec peut-être une accélération à partir du 11 mai. Ce que l’on a fait avec Labéo, c’est de se préparer à une augmentation massive des tests – peut-être qu’il y en aura 3000/jour et que l’on ne pourra pas tout assurer mais on a annoncé un capacitaire analytique (2000/jours) qui est, nous semble-t-il, correct.
Un agrément a-t-il été donné à toutes les plateformes vétérinaires de France ?
AV. C’est une circulaire ou un arrêté ministériel qui autorise les laboratoires départementaux et vétérinaires à réaliser la phase analytique de l’analyse. Ainsi, lorsque nous rendons le résultat au prescripteur, le résultat est formaté comme d’habitude, mais il y a un commentaire indiquant que la phase analytique a été réalisée à Labéo. Il y a donc une traçabilité.
Je ne sais pas comment cela se passe globalement, au niveau de la France ; je ne connais pas bien le tissu des laboratoires vétérinaires, s’il y a beaucoup de petits ou de gros laboratoires dans les différentes régions. Je connaissais celui de notre région car nous sommes particulièrement liés et nous avons effectué de nombreuses études en commun. Par exemple, à Labéo, nous étions dans la même équipe de recherche EA U2RM Université de Caen, de 2011 à 2016. Lorsque nous avons publié sur les coronavirus bovins, c’est eux qui nous ont fourni les prélèvements. La personne en charge de l’analyse, Loïc Legrand, a fait sa thèse d’Université chez nous, et nous étions dans le jury d’HDR de Guillaume Fortier et de Stéphane Pronost, directeur adjoint du pôle recherche, développement et innovation de Labéo. Nous avons des liens en recherche & développement. Cela nous a beaucoup aidé car c’est beaucoup plus facile de travailler avec des gens en qui on a confiance.
Je ne sais pas si c’est comme cela dans toutes les régions. Nous travaillons sur les coronavirus depuis longtemps ce qui nous a permis de connaître les laboratoires vétérinaires car ce sont eux qui connaissaient bien les coronavirus au début. Nous avons eu une ANR Apicorem et nous avons formé un consortium pour lequel nous étions les seuls à faire de la biologie humaine. Les autres partenaires étant l’Anses de Ploufragan, de Maisons-Alfort et de Nancy. En Normandie, le laboratoire de Dozulé qui est dirigé par Aymeric Hans et Stephan Zientara (Anses Maisons-Alfort) nous a dépannés en réactifs au début de la crise. Je connais aussi très bien l’Anses de Ploufragan (Béatrice Grasland, Paul Brown, etc.) qui nous avait proposé son aide, mais Ploufragan n’est pas sur notre territoire.
Je pense qu’il y a une volonté des virologues vétérinaires de participer à cet effort, qui est un effort impressionnant.
Souvent, on nous compare avec désavantage avec l’Allemagne qui a fait plus de tests. Mais la structuration de la biologie médicale humaine n’est pas du tout la même en France et en Allemagne où la profession de médecin biologiste médical n’existe pas. En Allemagne, ils se sont structurés pour la biologie humaine en très gros laboratoires, dirigés par des ingénieurs en général, où tout est centralisé. Alors qu’en France, on est restés sur un modèle que l’on aimerait ne pas perdre complètement, qui est un dialogue entre biologiste médical et l’infectiologue ou le réanimateur.
J’étais beaucoup interrogée par la presse au début de l’épidémie de Covid-19 mais nous n’étions pas très inquiets. Mon sentiment, c’était que ce n’était pas comme la grippe, comme on pouvait l’entendre. On a vu l’horreur de l’affaire lorsque le virus est arrivé en Italie ; les Italiens nous ont dit ce qu’il se passait vraiment. Après, cela été très vite pour la France. Personnellement, je savais que ce serait un choc, mais lorsque tu ne l’as pas vécu, tu ne l’as pas vécu « point barre », et à ce moment-là, je n’envisageais pas que l’on puisse être en confinement. En confinement plus ou moins total, même si ce n’est pas un confinement totalitaire. Cette pandémie « en confinement » est le premier événement de ce type que l’on vit dans notre société, c’est de la découverte. Toujours est-il que pour la virologie, c’est du travail non stop, et du travail qui ne diminuera pas avec le déconfinement ! La question qu’on se pose est « quand cela va t-il s’arrêter ? », parce que les équipes commencent à être épuisées. Il faut qu’elles arrivent à se faire aider, ce qui n’est pas facile en milieu hospitalier.
Tu parles du remplacement éventuel du personnel, quels sont les freins ?
AV. Il est délicat pour un technicien qui travaille en équipe de voir arriver beaucoup de personnes qui doivent être formées très rapidement et qui viennent pour aider mais en créant une espèce d’envahissement spatial. C’est difficile pour les deux côtés, il faut un peu de détente.
Pour le côté biologiste, nous n’avons pas encore demandé d’aide, donc nous travaillons pour l’instant sept jours sur sept. Je ne peux pas vraiment prendre de repos en temps que chef de service, mais le repos va bientôt être nécessaire pour chacun d’entre nous. Lorsque cela montera en puissance, on ne pourra plus assurer seuls l’élargissement des tests avec Labéo, et il faudra donc que l’on ait de l’aide. Nous avons demandé l’aide des biologistes d’autres disciplines que nous pourrions habiliter à la validation de ce test. Nous allons commencer par les généticiens qui sont habitués à valider de la biologie moléculaire, certains bactériologistes et certains hématologistes. Nous avons donc décidé d’élargir la fonction de validation. La difficulté, c’est de déléguer les tâches en ayant toujours un peu peur qu’elles ne soient pas faites comme nous le faisons. C’est-à-dire qu’il faut un lâcher-prise et l’on est tous un peu obsessionnels, c’est clair !
En temps que chef de service, je fais attention avec les cadres que le personnel aille bien. Nous n’avons eu aucun arrêt de travail dans notre service et nous n’avons déploré aucune contamination de laboratoire. Je dis souvent au personnel que je suis très fière de cela. Par exemple, pour toutes les plaques de PCR que nous faisons, les distributions sont manuelles et elles sont faites à deux ; parce que distribuer dans des microplaques, à travers des lunettes et des vitres de hotte, rend fou au bout d’une journée. Nous introduisons beaucoup de témoins, des contrôles, des blancs dans nos plaques et ce faisant, nous n’avons eu aucune contamination. Imaginez que l’on ait une contamination PCR, et on arrête toute l’activité… !
Actuellement, quelles sont vos échelles en terme de débit ? Comment êtes-vous organisés : avez-vous des automates ? Faites-vous un certain nombre de choses obligatoirement à la main (distribution manuelle des échantillons/réactifs) ?
AV. Pour l’étape d’extraction, nous sommes équipés de BioRobots EZ1 (Qiagen) avec les kits du fournisseur. Ce sont des extractions unitaires relativement rapides et complètement automatisées, mais très vite après le début de la flambée épidémique en France, les fournisseurs ont été en rupture de stock. Nous disposons d’un autre automate, QIAsymphony, automate d’extraction simultanée de 96 prélèvements, entièrement automatisé mais beaucoup plus lent, ce qui n’est pas compatible avec notre délai de rendu de résultats. Nous utilisons le QIAsymphony par séries de 22 plutôt que de 96 pour réduire les temps de process, avec un kit dédié au virus ou avec d’autres kits habituellement utilisés par les généticiens et qui fonctionnent aussi très bien. Comme nous n’avions pas assez de débit, nous nous sommes tournés vers les généticiens, qui disposent d’un automate Maxwell que nous avons utilisé avec deux sortes de kits dédiés que nous ne connaissions pas. Face au problème d’approvisionnement en réactifs, nous avons finalement opté pour un robot Ideal 32, robot relativement manuel qui utilise des colonnes d’extraction sur billes Macherey-Nagel. Nous avons acheté ce robot car le fournisseur s’était engagé à fournir les réactifs pour au moins 1000 extractions par semaine. Nous avons donc été obligés de nous diversifier pour pouvoir disposer de suffisamment de réactifs.
Pour l’étape d’amplification, la première technique proposée par le CNR nécessite de préparer les Mix d’amorces, sonde, enzyme… dans une salle dédiée, puis de faire l’amplification de routine sur l’appareil LightCycler (Roche Life Science). Cependant, il faut pouvoir disposer de suffisamment d’automates pour absorber la charge, ce qui n’est pas le cas ici à l’hôpital. Nous avons donc dû utiliser d’autres appareils LightCycler qui n’étaient pas connectés à notre système informatique, ce qui nous a obligés à faire tous les rendus de résultats à la main ; et qui dit transcription en biologie médicale dit vérification des données brutes, donc un énorme travail manuel. Nous sommes ensuite passés au kit Seegen revendu par Eurobio, qui est compatible avec l’appareil Bio-Rad CFX que nous avions et qui était déjà connecté à notre système informatique. C’est plus rapide car la lecture est plus facile, même s’il nous faut vérifier toutes les courbes ! Nous ne sommes pas habitués à travailler comme cela en biologie médicale ! Par exemple, pour l’analyse des charges virales HIV, nous utilisons des automates qui permettent une analyse complètement automatisée : le prélèvement est chargé et on obtient directement le résultat. Dans le cas du Covid-19, la prise en charge du prélèvement est assez lourde (désemballage précautionneux, désinfection et aliquotage des prélèvements qui sont conservés au frais jusqu’à obtention des résultats). Parallèlement, Mériadeg Le Gouil se sert de ces aliquots pour faire des isolements viraux en culture cellulaire. Nous respectons la procédure de « marche en avant » pour toutes ces étapes de PCR (trajet des techniciens). Pour toutes les étapes manuelles, les personnes travaillent en doublon afin de s’assurer que la prise est correcte, que le cône ne touche pas les puits, que tel échantillon est bien déposé dans tel puits selon le plan de plaque. À noter que les diluteurs utilisés en routine pour faire les dépôts sont des Rotor-Gene (Qiagen) qui ne sont pas compatibles avec le format des microplaques et que beaucoup de blancs doivent être intégrés comme témoin de PCR, ce qui ne facilite pas l’automatisation.
Je pense que le Covid-19 sera très probablement là l’hiver prochain et nous aurons toujours les mêmes questions diagnostiques devant les syndromes respiratoires qui se présenteront : fin septembre arrivent les rhinovirus, puis le virus respiratoire syncitial, auxquels s’ajoutent ensuite la grippe, les autres coronavirus, les virus parainfluenza... (enfin, la vie, quoi !). On risque d’avoir une grosse activité dans cette période-là car il y aura encore plus de prescriptions de diagnostics respiratoires. Actuellement, nous avons quasiment arrêté de faire le diagnostic différentiel, mais pendant tout le mois de mars et le début du mois d’avril, on faisait un panel respiratoire en plus du Covid-19, pour tous les patients hospitalisés, qu’ils soient positifs ou négatifs. Ce n’est pas un surplus de travail énorme car ces panels de détection ont l’avantage d’être très automatisés mais c’est une charge analytique supplémentaire. Depuis, nous avons arrêté car le confinement a également un effet sur la transmission des autres virus et on arrive à une période où la circulation est moindre ! En général seuls quelques rhinovirus et quelques virus parainfluenza continuent de circuler au printemps et pendant l’été. L’arrivée de l’été va peut-être aider à la moindre circulation du SARS-CoV-2, sachant que ce n’est pas le facteur principal et que le virus a le champ libre parce qu’il n’y a pas d’immunité de groupe. Le Covid-19 peut réapparaître dès l’automne. On ne va pas pouvoir tenir comme ça plusieurs années avec le système en place dans les laboratoires de virologie hospitaliers, donc il faudrait que cette valence SARS-CoV-2 soit inclue dans les panels respiratoires pour que la charge diagnostique reste la même. Tout va dépendre de la circulation du virus et de la stratégie choisie par le ministère.
Comment va se passer le déconfinement ? Est-ce qu’il va y avoir une seconde vague, puis éventuellement une troisième vague ? Quelles vont être les recommandations de diagnostic ? Les épidémiologistes nous disent que 5 % de la population sont infectés et 10 % dans les régions qui ont été très touchées, ce qui est très faible pour atteindre une immunité de groupe. Cela signifie qu’on est en train d’aplatir la courbe afin d’encaisser en réanimation. Le confinement a été bénéfique pour que l’ensemble la population, – moi comprise ! – (re)prenne conscience du risque infectieux et des modalités de transmission des virus respiratoires. Dans les gestes du quotidien, il a eu une prise de conscience du grand nombre de contacts qu’on peut avoir et de nos mauvaises habitudes (se toucher la bouche, les yeux, etc), ce qui préparera au port du masque plus systématique. J’espère que cette période de confinement a été assez éducative afin d’éviter de futurs gros pics épidémiques. Actuellement, il y a une forte conscience et une bonne connaissance des maladies chroniques (HIV, hépatites B et C…) mais moins des maladies infectieuses aiguës. En tant que CNR de la rougeole, on sait que la transmission d’une infection aiguë va très vite et que le diagnostic doit être adapté.
Rappelons le classement des pathologies liées au Covid-19 : 1) regroupe toutes les formes asymptomatiques ou paucisymptomatiques, ne nécessitant pas d’hospitalisation. Le recueil des signes cliniques respiratoires n’est pas si facile à réaliser, notamment anosmie et agueusie qui sont très peu recherchés et qui ne sont jamais dans les critères des études sur les infections respiratoires. Ils sont donc très sous-estimés et ne sont pas systématiquement déclarés dans notre pays du goût. Dans le Covid-19, les anosmies déclarées seraient plutôt une obstruction inflammatoire qu’une atteinte neurologique des terminaisons nerveuses situées juste au-dessus des fosses nasales ; 2A) atteinte basse : pneumonie non hypoxémiante, hospitalisation avec moins de 3 litres d’oxygène administrés et pas de désaturation ; 2B) pneumonie hypoxémiante, due à l’agression virale, nécessitant plus de 3 litres d’oxygène, avec parfois des décompensations assez brutales, qui vont en soins intensifs en réanimation ; et 3) syndrome très grave ressemblant à ce qu’on a vu dans le SARS et le MERS, ressemblant beaucoup à des syndromes d’activation macrophagique avec une réponse immunitaire complètement inappropriée. Ces formes très graves ont motivé les essais cliniques utilisant des anti-IL1, anti-IL6, anti-récepteur à l’IL6, anti-PD1, etc.
Des projets de recherche vont aussi étudier s’il y a des profils particuliers dans les microbiotes respiratoires associés à l’infection ou aux formes graves (microbiotes élargis, i.e. pas uniquement bactérien 16S). Je n’ai pas vu beaucoup d’études sur l’influence des différents microbiotes respiratoire, digestif... Peut-être que certains microbiotes pourraient être plus résilients que d’autres pour l’accueil de ce nouveau pathogène. Dans le cas de certaines formes graves, les réponses immunologiques inappropriées pourraient être liées aux polymorphismes génétiques comme à la réponse antivirale inappropriée qui sont décrits chez des sujets qui ne sont pas forcément âgés. Il y a plusieurs tableaux cliniques avec probablement plusieurs voies thérapeutiques à considérer.
Des traitements qui baissent la charge virale peuvent avoir un effet sur la transmission. La charge virale SARS-CoV-2 est un des facteurs de l’efficacité de transmission, même si on ne connaît rien de la dose infectante (notion importante dont on ne parle pas). Par exemple, dans le cas de la rougeole qui a un R0 élevé, on observe des échecs vaccinaux secondaires, probablement du fait d’un équilibre non optimal entre des anticorps neutralisants circulants et une dose infectante très faible. Dans le cas du Covid-19, on ne sait pas quelle est la dose infectante, et cette dose peut-être variable d’un sujet à l’autre (immunité locale, état des muqueuses, etc). C’est une notion dont on parle beaucoup en virologie vétérinaire mais qui est assez peu documentée en virologie humaine.
Quid concernant la sérologie Covid-19 ?
AV. Concernant les tests sérologiques, on ne connaît pas encore le positionnement qui sera officiellement adopté du fait de l’arrivée sur le marché d’environ 170 références, dont quasiment deux tiers de TDR avec des évaluations rapides. C’est un travail qui s’ajoutera bientôt à la charge de notre laboratoire de virologie, en plus des tests moléculaires. Tout le monde peut avoir envie de savoir s’il a rencontré Covid-19, et s’il a des anticorps, mais sans savoir s’ils sont protecteurs et pendant combien de temps. Cela varie en fonction de l’état général, de la dose infectante, etc
Le test sérologique va être mis en place au CHU de Caen : le choix de la méthode se portera sur un test qui a été comparé à la séroneutralisation mais ce test est actuellement en rupture de stock. De plus, on attend des recommandations pour savoir qui sera testé. Les recommandations sont définies par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) et la Haute Autorité de santé (HAS). Pour les industriels/fournisseurs, seul l’enregistrement CE est nécessaire pour produire et vendre un test sérologique. Le gouvernement décide si le test bénéficie d’une cotation à la Sécurité sociale et de son remboursement. Pour tout particulier, il est possible de faire une sérologie à ses frais dans des laboratoires privés (50-70 €) et la difficulté est l’interprétation des résultats ainsi obtenus. En France, le gouvernement a la possibilité de restreindre l’utilisation de tests autorisés par le marquage CE. Les premières recommandations sont émises par les sociétés savantes, le CNR et les comités consultatifs : puis les différents conseils de santé publique précités statuent. Les recommandations sont suivies sinon les résultats peuvent être opposables. Pour le moment, il n’y a pas de recommandation de sérologie. Le test EuroImmun a été choisi et commandé. La HAS a fait des recommandations pour les tests sérologiques qui doivent inclure des antigènes qui proviennent de la partie S1 du SARS-CoV-2 ainsi qu’un autre antigène de la protéine N pour la recherche d’IgG. Les IgA croisent avec OC43. J’ai demandé à la direction de mon établissement l’achat de kits pour proposer une sérologie à nos soignants, avec un rendu de résultats expliqué et leur éviter d’aller faire ces tests dans le privé, sans avoir de valeur diagnostic sûre. Par exemple, si les taux d’anticorps sont faibles, ces kits sont-ils réellement spécifiques ? Individuellement, le titre d’anticorps est variable, sans compter d’éventuelles réactivations polyclonales. Le gouvernement a autorisé un rendu des sérologies de cohorte pour les essais cliniques mais il a été très prudent pour les sérologies individuelles car rendre un résultat sérologique est plus complexe que le test moléculaire. La séroneutralisation est le test qui apporterait le plus d’informations sur la spécificité de réponse anticorps. Il a été récemment montré qu’un taux d’anticorps anti-S élevé serait retrouvé lors des flambées cytokiniques pulmonaires et un taux d’anticorps élevé anti-N serait un indicateur pronostic (JCI Insight 2019 ; 4 : e123158. https://doi.org/10.1172/jci.insight.123158). Beaucoup de gens confondent marqueur d’immunisation et protection. La présence d’anticorps est la signature d’avoir rencontré le virus mais par exemple, dans le cas du virus de l’hépatite B les anti-HBs sont protecteurs alors que les anti-HBc ne protègent pas de l’infection. Il est difficile de conclure sur une sérologie si vous ne savez pas quand a été effectué le prélèvement : les notions de timing du prélèvement au cours de maladies aiguës et le type de prélèvement (sang, salive, etc.) doivent être précisés pour éviter/limiter les faux négatifs.
Loïc Legrand, pourriez-vous vous présenter ?
Loïc Legrand. Je me nomme Loïc Legrand. Salarié de Labéo depuis 2006, j’ai pris la direction du service de virologie au laboratoire. Je suis également responsable de l’immunologie depuis trois ans, et maintenant de la cellule de développement biologie, en charge de mettre au point différents tests pour les nombreux services de Labéo. J’ai eu la chance d’avoir fait une bonne partie de ma formation universitaire au sein du laboratoire de virologie du CHU de Caen, dirigé à l’époque par le Pr François Freymuth qui a passé la main au Pr Astrid Vabret. Ainsi, de mon stage de maîtrise à mon PhD, j’ai passé 5 ans de ma vie étudiante dans ces locaux où l’enrichissement des connaissances a été perpétuel. Labéo, à l’époque le laboratoire Frank Duncombe, s’est doté depuis mi-90 d’un pôle de recherche appliquée qui est orienté sur l’activité de diagnostic et les caractérisations de pathologies animales (pathologies infectieuses, prévention, prophylaxie, etc.) mais également en chimie, sur les questions environnementales avec l’unité dirigée par Valérie Bouchart qui a travaillé notamment avec le Dr Pierre Lebailly du centre François Baclesse sur l’exposition des agriculteurs aux pesticides. La virologie est une longue histoire à Labéo puisqu’elle a été mise en place par le Dr Guillaume Fortier, lui-même disciple du Pr Freymuth, qui a pris la forme d’un service à part entière que je suis très heureux de diriger désormais. Cette discipline fait également l’objet de nombreuses recherches au sein de notre pôle R&D et innovation, notamment dans l’unité mécanismes infectieux et émergences du Dr Stéphane Pronost. Romain Paillot, immunologiste et responsable de l’axe de recherche pour la filière équine, nous a rejoint il y a deux ans après avoir passé 10 ans en Angleterre et complète les personnes encadrantes impliquées dans la virologie.
Le laboratoire Labéo ne s’intéresse-t-il qu’à des virus animaux ?
LL. Oui, exactement. À l’heure actuelle, les laboratoires vétérinaires n’ont pas le droit de travailler les prélèvements humains.
Ce sont des restrictions qui sont dues à quoi ?
LL. Les laboratoires vétérinaires n’ont pas le droit de réaliser les analyses sur des prélèvements humains et, ce, depuis la loi du 30 mai 2013 portant réforme de la biologie médicale et dans le respect des dispositions du code de la santé publique (article L. 6211-18 et L. 6211-19). En effet, un biologiste médical est obligatoire pour la validation des résultats d’analyse en général absent des structures vétérinaires. Cela a sans doute été un des freins également pour l’ouverture des flux d’analyses aux laboratoires comme le nôtre. C’est pourquoi, dans le modèle actuellement mis en place avec le laboratoire de virologie du CHU, ils maîtrisent la phase pré-analytique, comportant notamment l’identification du prélèvement, ainsi que la validation de nos analyses à partir des résultats bruts fournis par nos thermocycleurs.
Si on parle de Covid-19, avez-vous pu vous manifester très tôt ? Nous avons appris par les médias qu’un consortium de vétérinaires souhaitait apporter leur force de diagnostic aux besoins des hôpitaux.
LL. Dès le départ, nous nous sommes manifestés, mais pas dans les médias. On a plutôt voulu monter quelque chose de commun avec l’équipe du professeur Astrid Vabret, avec laquelle nous collaborions déjà, pour essayer de faire une demande cohérente auprès de l’Agence régionale de santé (ARS), les organismes gérant la santé au niveau régional. Nous avons la chance d’être équipés pour effectuer de grosses séries d’analyses, applicables à des cheptels de bovins, des élevages entiers de chevaux : 200 analyses d’un coup pour rechercher un virus est pour nous une tâche quotidienne. Nous avions déjà dépanné le CHU de Rouen en termes de kits et réactifs suite aux ruptures de stocks. Dans cette réflexion avec Astrid Vabret, devant la charge diagnostique à venir, nous avons proposé de répondre présent grâce au P3 de la plateforme Normandie Équine Vallée (NEV) destiné aux virus équins. Ce P3 n’était pas dimensionné pour ce type d’analyses mais nous l’avons reformaté pour le dédier à la biologie moléculaire avec des agents totalement volontaires pour travailler sur ce virus-là.
Nous avons fait bloc avec les élus locaux qui nous ont soutenus ; les conseils départementaux sont nos actionnaires pour ce groupement d’intérêt public qu’est Labéo. Dans un premier temps le frein a été politique, au niveau national et non local. Le gouvernement ne voulait pas que des laboratoires vétérinaires fassent du diagnostic.
Pour le diagnostic, vous êtes donc équipés en haut débit ?
LL. Nous avons des robots pipetteurs pour les échantillons sanguins qui permettent des extractions en grand volume, sur de larges cohortes, grâce à des kits d’extraction développés par la société Macherey-Nagel (NucleoMag Pathogen) qui fonctionnent à l’aide de billes magnétiques et, surtout, adaptables sur des plateformes à débit important telles le KingFisher (Thermofisher) qui permet une extraction de 80 échantillons en des temps de 30 à 40 minutes et avec des sensibilités équivalentes à ce qui est proposé par ailleurs. Nous avons un grand nombre de thermocycleurs qui permettent de lancer plusieurs analyses simultanées. Donc tout l’équipement de biologie moléculaire était disponible. Le frein était juste une décision politique et une fois que cela s’est débloqué en haut de l’État, un arrêté préfectoral a été signé puis rapidement une convention avec le CHU de Caen. Dès 1996, nous avons été accrédité Cofrac : les rédactions de procédures étaient donc faciles et l’adaptation a été rapide.
Comment s’est passée l’adoption de cette méthode de virologie moléculaire médicale ?
LL. Au CHU de Caen, nous avons récupéré des échantillons positifs et négatifs pour commencer par effectuer des comparaisons qualitatives et de seuils – nous avons obtenu les mêmes résultats sur les cohortes de validation – puis évaluer répétabilité et reproductibilité. En quelques jours, nous avons été prêts grâce aux matériels apportés par le CHU. Les parallèles entre les méthodes ont été réalisés rapidement. Le pôle recherche a été monopolisé pour leur expertise en biologie moléculaire pour valider la méthode. L’organisation est aussi exceptionnelle : ce sont les thésards, les scientifiques responsables de projet (HDR, etc.) qui participent au diagnostic et qui sont encadrés par les agents techniques qui ont l’habitude des grandes séries et qui coordonnent cette activité. Le personnel en chômage technique s’est montré volontaire pour revenir au laboratoire et prêter main forte.
Pour une gestion de personnel optimale, nous avons adapté les postes, mais de telles situations de réorganisation étaient déjà arrivées. On a eu des cas semblables au moment de la grippe aviaire où nous étions désignés comme laboratoire d’appui pour le Sud-Ouest puisque nous sommes laboratoire agréé pour les analyses de « grippe aviaire ». En 2006/2008, pour le H7N8, il y a eu des astreintes et horaires décalés qui nous permettaient de pouvoir répondre au mieux aux besoins (campagne d’appelants, etc). Nous avions également fait cela de manière plus ludique en 2014 lors des Jeux équestres mondiaux en Normandie (Alltech 2014 FEI World Equestrian Games) avec des chevaux provenant du monde entier. Nous avions démonté notre laboratoire pour équiper des unités mobiles sur les différents sites accueillant les compétitions (Orne, Manche…) afin de répondre au plus près à la filière équine, notre premier axe de recherche en santé animale. Nous avions également travaillé en horaires décalés pour s’adapter aux horaires de la compétition : je me souviens en particulier, le jour d’une compétition où nous avons analysé tous les chevaux et terminé à 3 h du matin !
Quels types de virus étudiez-vous au laboratoire ?
LL. Au laboratoire nous travaillons des virus équins, bovins et aussi aviaires puisque nous sommes agréés. Ces thématiques sont très liées aux filières présentes localement : la filière porcine n’est pas développée à Caen mais sur les autres sites.
Pour revenir au Covid-19, nous restons sur des échantillons animaux (comme l’Homme !) et des techniques d’extraction et de biologie moléculaire qui sont identiques (les mises au point sont légèrement différentes mais la compétence est là). Dès que l’on s’intéresse au virus, la sectorisation par espèces n’existe plus. Si on prend comme exemple le cas du virus du Nil occidental (West Nile virus, WNV) qui atteint le cheval et l’homme, pour extraire et amplifier, on va utiliser les mêmes kits.
D’un point de vue recherche, on travaille beaucoup sur les virus herpétiques équins (EHV) 1 et 4, les plus pathogènes chez les chevaux. Le EHV-1 notamment puisqu’il provoque des avortements et des atteintes neurologiques et un peu de troubles respiratoires. Le EHV-4 provoque des troubles respiratoires. Ils sont assez proches phylogénétiquement mais provoquent des maladies distinctes. Nous travaillons aussi sur le virus de la grippe équine. Nous avons également une valence sur l’hepacivirus équin qui pourrait être un bon modèle d’étude pour le virus de l’hépatite C, que nous évaluons en collaboration avec l’Institut Pasteur de Paris. Ce sont les virus qui impactent le plus la filière. Chez les équins, nous diagnostiquons tous les virus, ce n’est pas limité à ceux décrits pour nos thématiques recherche.
Chez les bovins, en termes de recherche, en association avec d’autres laboratoires, nous étudions principalement le virus de la diarrhée virale bovine (BVDV) en raison de la campagne d’éradication de cette maladie en Normandie. Sinon, nous faisons également des recherches en bactériologie, parasitologie, il n’y a pas que des virologistes au laboratoire mais ils sont tout de même nombreux à avoir fait des études de virologie.
Nous sommes agréés pour faire le diagnostic sérologique du WNV et nous travaillons avec le laboratoire de l’Anses de Maisons-Alfort pour analyser des cohortes d’août à octobre. La filière équine n’est pas organisée comme les autres filières. La gestion sanitaire est réalisée principalement par le Réseau d’épidémiosurveillance en pathologie équine (Respe) qui aide les vétérinaires sur l’ensemble du territoire pour la recherche de pathogènes par grand syndrome. Par exemple, l’herpes virus 1 et WNV sont systématiquement recherchés lors de suspicion neurologiques. Les autres filières (bovines, ovines, caprines, porcines, apicoles…) s’appuient surtout sur les acteurs locaux, les groupements de défense sanitaire (GDS) avec qui nous travaillons quotidiennement et qui organisent la surveillance des maladies de chaque département.
Concernant le Covid-19 et votre activité de routine, quels sont les enjeux quand on passe sur les échantillons humains ? Avez vous modifié vos pratiques ?
LL. D’un point de vue purement technique pas grand-chose, mis à part que l’équipe a été chamboulée. Par contre, nous avons investi le laboratoire P3 mais pas en mode dégradé en gardant pour priorité la protection de nos agents, de manière à ce qu’ils soient le plus à l’aise possible. Ils ne sont pas habitués à travailler sur l’humain et nous voulions éliminer toute crainte de contamination alors que tout était basé sur leur volontariat. Pour travailler en P3, comme illustré dans le reportage sur notre laboratoire diffusé dans les médias, nous travaillons en scaphandre avec extraction d’air. Nous sommes beaucoup mieux ainsi que de travailler avec un masque FFP2 dont les lanières nous coupent le visage et les oreilles. On s’est placé dans des conditions que nous adoptons pour les cas de grippe aviaire. Nous étions déjà équipés de scaphandres et nous avons décuplé le matériel pour plus d’aisance et confort des volontaires. Avec moins de stress, les expérimentations sont mieux conduites et les résultats beaucoup plus fiables.
Êtes vous le seul site Labéo qui participe à l’effort de diagnostique Covid-19 ?
LL. Pour l’instant oui, mais nous sommes en train de dupliquer la plateforme en vue de l’augmentation des tests à venir. Suite aux annonces du ministère prévoyant 700 000 tests/semaine, on a décidé d’équiper la plateforme de Saint-Lô qui possède également un P3. Dans un premier temps, nous avons mis en avant notre plateforme de Saint-Contest en raison de sa proximité avec le CHU de Caen et en raison de la disponibilité du P3. Nous disposons d’un troisième P3 dans l’Orne et s’il y avait besoin, nous pourrions aussi le dédier à l’analyse Covid-19 en cas d’afflux conséquent d’analyses.
Vous disposez d’une force de frappe impressionnante et une capacité à vous réorganiser très rapide !
LL. Oui, merci, je veux souligner que cette capacité à se réorganiser rapidement est liée aux volontaires qui travaillent dans ce que l’on appelé la « cellule Covid-19 » mais aussi grâce à tous les autres qui ont assuré le maintien de service et des analyses de routine. Notre activité ne s’est pas arrêtée ; notre activité bovine continue, c’est la saison de monte pour les chevaux et toutes les analyses nécessaires sont réalisées pour que tout se passe au mieux. Nous recevons jusqu’à 2500 tubes/jour rien que pour cela ; nous pouvons atteindre jusqu’à 5000 tubes/jour. Pour assurer toutes ces autres activités diagnostiques, beaucoup de personnes font des heures supplémentaires pour que les volontaires puissent se dégager pour réaliser les tests Covid-19. C’est une véritable aventure humaine avec des personnes qui se serrent les coudes !
Quels sont les délais de rendus de résultats ? Sont-ils obligatoirement en délai imparti ?
LL. En routine hors Covid-19, il y a des délais contractuels avec les GDS. Pour tous les diagnostics équins, nous répondons en 24 h. Bien entendu, certaines analyses nécessitent 48 ou 72 h, voire plus comme certains isolements viraux qui requièrent parfois trois semaines. Actuellement, nous avons la même pression analytique que le reste de l’année. Nous sommes un laboratoire public : en termes d’environnement et d’alimentation, nous avons des clients du secteur public mais en santé animale, il y a une majorité de clients privés. Nous avons des propriétaires de chevaux avec des animaux qui valent des fortunes. Il y a une petite pression analytique pour que l’on rende les résultats rapidement. Avec le Covid-19, cela ne nous a pas choqués. Un gros travail a été réalisé par nos services informatiques et dans la situation actuelle ils ont réalisé un travail exceptionnel. En deux semaines, ils ont développé des bases qui communiquent en bidirectionnalité avec le CHU de Caen. Nous disposons des listes de travail du CHU avec incrémentation automatique pour travailler au mieux avec nos automates et des rendus de résultats qui s’intègrent également dans leur système de données et qui sont validés systématiquement par un biologiste médical. Cela apporte une fluidité incroyable et seulement en deux semaines !
Comment se fait la gestion des prélèvements Covid-19 ?
LL. Toute la gestion, et l’anonymisation des prélèvements sont faites au CHU. En plus, à Labéo, nous avons tous signé une charte de confidentialité.
Souhaitez vous préciser certains points abordés précédemment ?
LL. Nous partageons un long historique avec le laboratoire de virologie d’Astrid Vabret au CHU de Caen : mon directeur Guillaume Fortier, le directeur de Labéo a été un des disciples du Pr Freymuth, comme moi. L’histoire continue de s’écrire, ce n’est pas une intervention ponctuelle. Elle a débuté avant Covid-19 et continuera. C’est un partenariat qui concernait jusque-là des sujets de recherche et qui a pris une forme de crise à l’heure actuelle. Pour nous, la question ne se posait même pas, on s’est tout de suite manifesté pour les aider et répondre à des besoins pour lesquels ils ne sont pas dimensionnés. Encore une fois, c’est logique, ils n’ont pas 500 analyses pour bovins qui vont tomber d’un coup ! Nous leur avons dit, nous savions faire et ils le savaient. Le seul souci était politique puisque les deux laboratoires étaient d’accord.
Pouvez nous parler de votre activité sérologique à Labéo ?
LL. Nous ne faisons pas de sérologie Covid-19 pour l’instant car le décret ne porte que sur la PCR. Si les choses évoluent, nous suivrons les recommandations du Pr Astrid Vabret. La sérologie est le diagnostic de routine que nous faisons le plus par an avec des techniques qui vont du SRH (hémolyse radiale) pour la grippe, à l’IHA (inhibition de l’hémagglutination) en passant par la RFC (complement fixation test), l’immunodiffusion en gélose, immunofluorescence et bien sûr l’Elisa pour laquelle plusieurs centaines de milliers d’analyses sont réalisées par l’ensemble des sites de Labéo.
Si le décret était donné, seriez-vous prêt à pratiquer la sérologie Covid-19 ?
LL. Oui bien sûr. Mais certains laboratoires de ville sont correctement dimensionnés pour le faire, à l’inverse de la RT-PCR. Quand nous recevons 2500 échantillons bovins par jour, c’est pour faire de la sérologie. Nous avons la chance d’avoir des automates qui peuvent faire une quinzaine d’Elisa différents en totale autonomie par jour. Si besoin, nous pourrions également le faire pour Covid-19 en faisant les démarches nécessaires et quelques mises au point aussi, des heures de sommeil en moins également !
Le développement du lien avec un CHU est-il spécifique de votre région ou cette entraide a également émergé dans d’autres régions ?
LL. J’ai l’impression que cela a émergé un peu partout. Il y a eu localement une prise en main dès que les élus territoriaux ont annoncé que les laboratoires étaient capables de faire que les tests soient décuplés. Le CHU de Nantes s’est rapproché du laboratoire Inovalys par exemple, nos homologues dans d’autres régions. L’Adilva qui est l’association des directeurs de laboratoires vétérinaires d’analyses en France a été le relais de telles entraides.
Par rapport au Grand Est, vous n’avez pas été sollicités, des laboratoires vétérinaires locaux l’ont peut-être été ?
LL. Le laboratoire vétérinaire de Strasbourg a été sollicité pour aider le CHU et je ne serais pas étonné que ce soit l’un des premiers qui l’ait été. Ici en Normandie, nous avons la chance d’être assez peu atteint. Le CHU de Caen et les hôpitaux autour ont accueilli des patients de zones plus touchées.
Le réseau des vétérinaires ne vous informe-t-il pas d’une structuration autour de l’événement Covid-19 ?
LL. L’Adilva a relayé ces informations. En général, les laboratoires vétérinaires, bien qu’ils puissent être concurrents sur certains points, se serrent tout de même les coudes. De manière surprenante, bien que relayé, l’initiative a été locale partout pour organiser le soutien des laboratoires vétérinaires aux laboratoires de biologie humaine.
C’est la période de dépôts de demandes de financements de recherche : comment gérez-vous cela ?
LL. On y travaille, nous avons segmenté les activités. Certaines personnes du pôle recherche sont chargées de réaliser les demandes de financement en parallèle de la « cellule Covid-19 ». Tout le monde est à pied d’œuvre. Nous n’avons pas été freinés de ce côté-là.
Avez vous des projets sur le coronavirus ou Covid-19 en particulier ?
LL. Pas vraiment, nous sommes sollicités mais pas pour des choses abouties. L’idée c’est aussi de continuer de travailler avec Pr Astrid Vabret et si un projet est déposé, ce sera sans doute avec son laboratoire.
Avez vous des demandes d’analyses Covid-19 pour les animaux domestiques ?
LL. Oui mais, pour le moment, nous les refusons. Des laboratoires étrangers font cela sûrement pour des raisons financières. Nous proposons des analyses pour CHU Caen pour les aider et les décharger, c’est tout. De plus, ce n’est pas la priorité actuellement ! En revanche, de nombreux pays ont réalisé des analyses en parallèle sur des animaux et les résultats sont intéressants. Si nous les faisons par la suite, ce sera toujours en collaboration avec le CHU dont les coronavirus sont une thématique de recherche majeure, depuis des années.
Au niveau du laboratoire recherche, est-ce qu’il y a des possibilités d’analyses de transmission entre chats pour répondre aux questions posées. Est-ce que cette question est adressée en France ?
LL. Ce n’est pas notre volonté actuellement malgré l’importance de la question. Si Astrid demandait une telle étude, nous pourrions la réaliser en utilisant le laboratoire P3 en collaboration avec d’autres laboratoires. Nous avons des partenaires qui sont inclus dans les projets et qui nous permettent de réaliser les études. Nous pourrions également, par la suite, faire bénéficier les filières partenaires, comme la filière équine, de notre savoir-faire.
Un grand merci à Astrid Vabret pour son éclairage sur cette problématique et à Loïc Legrand pour avoir partagé cette expérience de terrain, en espérant qu’elle soit inspirante !
Liens d’intérêt
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