27 juillet 2020 - Avis sur l’aptitude médicale du personnel soignant présentant une BPCO à un poste de travail exposant au risque de Covid-19
Correspondance : Mohamed Hamadouche
CHU de Sétif, service de médecine du travail, Sétif, Algérie
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En décembre 2019, un nouveau coronavirus est apparu dans la ville de Wuhan, en Chine, puis s’est propagé dans le monde, à l’origine d’une pandémie qualifiée de Covid-19 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Ce virus, dénommé SARS-CoV-2 par cette organisation, a causé à ce jour plus de 15 millions de contaminations et plus de 600 000 morts [1].
La broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO) désigne des affections pulmonaires chroniques caractérisées par une obstruction chronique de la circulation de l'air à l'intérieur des poumons, représentées par la bronchite chronique et l’emphysème. La prévalence de cette maladie dans le monde était estimée à 251 millions de cas en 2016 ; plus de 3 millions de personnes en sont décédées en 2015, ce qui correspond à 5 % de l’ensemble des décès survenus dans le monde cette année-là. D’après les prévisions de l'OMS, la BPCO sera la troisième cause de mortalité dans le monde en 2030 [2, 3].
Des institutions internationales telles que l’OMS [4], l’European Center for Disease Prevention and Control (ECDC) [5] et l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC) [6] ont inclus les maladies chroniques respiratoires parmi les facteurs de risque de formes sévères de Covid-19, sans citer nommément la BPCO. Les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) aux États-Unis ont ajouté récemment la BPCO dans la liste des comorbidités faisant courir un risque accru de maladie grave due au SARS-CoV-2 [7]. Le Haut Conseil de la santé publique (HSCP) de France considère comme facteur de risque de formes graves, toute pathologie chronique respiratoire susceptible de décompenser lors d’une infection virale [8] ; c’est aussi le cas duministère de la Santé, de la Population et de la Réforme Hospitalière [9].
Les objectifs de ce travail sont de rechercher l’impact de la BPCO sur la gravité de l’infection Covid-19 et de proposer de s’inspirer des résultats de cette revue pour une aide à la décision d’aptitude médicale du personnel soignant à un poste de travail exposant au SARS-CoV-2.
Méthodes
Dans cette perspective, une revue de la littérature a été menée en ligne en se basant essentiellement sur PubMed en combinant les mots clés « Covid-19 » ou « SARS-CoV-2 » avec « COPD » ou« chronic obstructive pulmonary disease »(BPCO ou broncho-pneumopathie chronique obstructive) et avec les mots clés désignant les formes sévères de la Covid-19 : « severe acute respiratory syndrome » (syndrome respiratoire aigu sévère), « mechanical ventilation »(ventilation mécanique), « admission to the intensive care unit » (admission en unité de soins intensifs - USI) et « death » (décès).
Résultats
Un ensemble de 19 études rétrospectives à forte prédominance chinoises (14) et sept méta-analyses ont été retrouvées et analysées.
Affections respiratoires
La plupart des études ont révélé une association entre les maladies pulmonaires chroniques en général et les formes graves de Covid-19.
Parmi les 122 653 cas américains de Covid-19 signalés aux CDC au 28 mars 2020, 7 162 (5,8 %) patients avaient des données disponibles. Les affections pulmonaires chroniques incluant l’asthme et la BPCO étaient plus fréquentes chez les patients hospitalisés hors USI (15 %) ou en USI (21%), que chez les patients non hospitalisés (7 %) [10].
Des données ont été recueillies jusqu’au 28 février dans un hôpital de Wuhan constituant une cohorte de 799 patients, comprenant 113 décès et 161 guéris [11]. La prévalence des maladies pulmonaires chroniques était plus élevée chez les patients décédés (10 %) que ceux qui ont récupéré (4 %).
Les comorbidités les plus fréquemment retrouvées dans un échantillon de 180 jeunes patients hospitalisés pour la Covid-19 du 1er au 30 mars (États-Unis) étaient l'hypertension artérielle (49,7 %), l'obésité (48,3 %), les maladies pulmonaires chroniques (34,6 %), le diabète sucré (28,3 %) et les maladies cardiovasculaires (27,8 %) [12].
Dans une étude rétrospective portant sur 197 patients atteints d'une infection Covid-19 confirmée et admis dans un centre médical universitaire (Chine), 74 patients (37,6 %) présentaient une forme sévère de l’infection Covid-19 nécessitant une intubation. L'hypertension était la comorbidité sous-jacente la plus courante (70,1 %), suivie du diabète (37,1 %) et des maladies pulmonaires chroniques (19,3 %). Les patients atteints d'une infection grave étaient significativement plus susceptibles d'avoir un diabète (48,6 % versus 30,1 % ; p = 0,009), une maladie rénale (29,7 % versus 9,8 % ; p < 0,0001) ou une maladie pulmonaire chronique (27,0 % versus 14,6 % ; p = 0,03) [13].
Dans une étude de cohorte anglaise menée sur les données provenant des dossiers électroniques entre le 1er et le 25 avril 2020, les maladies respiratoires chroniques, telles que la BPCO, la maladie pulmonaire fibrosante, la bronchectasie, mais non l’asthme, présentaient un rapport de risque (Hazard ratio [HR]) de 1,78 (IC 95 % : 1,67-1,90) du décès à l’hôpital [14].
Parmi les 1 590 patients hospitalisés pour la Covid-19 dans 575 hôpitaux de Chine continentale entre le 11 décembre 2019 et le 31 janvier 2020, 12 cas de BPCO (1,1 %) ont été retrouvés. Après ajustement sur l'âge et le statut tabagique, le HR était de 2,68 (IC 95 % : 1,42-5,05) [15].
Dans une série de 138 patients infectés à la Covid-19, hospitalisés à l'hôpital Zhongnan à Wuhan du 1er janvier au 28 janvier 2020 et suivis jusqu’au 3 février 2020, les admissions en USI ont concerné 36 patients. La BPCO était retrouvée dans les proportions de 8,3 % et 1 % respectivement dans les catégories de patients admis en USI et non admis en USI (p = 0,05) [16].
Seules deux études n’ont pas conclu à une association entre les maladies respiratoires chroniques et le risque de développer une forme grave de l’infection.
Selon une étude rétrospective incluant tous les cas confirmés de Covid-19 dans un hôpital de Wuhan, parmi les 99 patients atteints de pneumonie à SARS-Cov-2, 50 patients (51 %) avaient des maladies chroniques, dominées par les affections cardiovasculaires et vasculocérébrales (40 %). Les affections de l’appareil respiratoire ne représentaient qu’1 % [17].
Parmi les 52 patients (sur 710) atteints de pneumonie à SARS-CoV-2 admis à l’USI de l'hôpital Jin Yin-tan (Wuhan) entre fin décembre 2019 et le 26 janvier 2020, les affections chroniques pulmonaires étaient paradoxalement moins fréquentes dans le groupe des non-survivants (6 %) que dans le groupe des survivants (10 %) [18].
BPCO
Une grande majorité des études ont montré que la BPCO représentait un facteur de risque de formes graves de l’infection à SARS-CoV-2 ou de décès.
Les 548 patients atteints de Covid-19, et admis à l'hôpital de Tongji du 26 janvier 2020 au 5 février 2020, ont été recrutés rétrospectivement et suivis jusqu'au 3 mars 2020. Près de la moitié des patients (49,1 %) a été identifiée comme des cas graves à l'admission. La BPCO était présente chez quatre cas (1,4 %) de formes non sévères contre 13 cas (4,8 %) de formes sévères avec une différence statistiquement significative (p = 0,026) [19].
Dans une étude de cohorte rétrospective multicentrique, tous les patients Covid-19 adultes (≥ 18 ans) hospitalisés à l'hôpital Jin Yin-tan et à l'hôpital des maladies pulmonaires de Wuhan ont été inclus. La BPCO était plus fréquente dans le groupe des non-survivants (7 %) que dans le groupe des survivants (1 %), avec une différence statistiquement significative [20].
Sur les 242 patients admis du 16 janvier au 3 février 2020 au sein d’un hôpital de Wuhan, diagnostiqués cliniquement d’une « pneumonie virale », 140 patients ont été étudiés. Aucun cas de BPCO n’a été noté chez les patients avec formes bénignes, contre 3,4 % parmi les patients avec formes sévères [21].
Les patients, au nombre de 21, atteints d'une infection confirmée par le SARS-CoV-2, admis aux soins intensifs à l'hôpital Evergreen dans l’État de Washington entre le 20 février 2020 et le 5 mars 2020, ont été concernés par l’étude. Des comorbidités ont été identifiées chez 18 cas (86 %) ; la BPCO occupait la 3e position (33,3 %) derrière l’insuffisance rénale chronique (47,6 %) et l’insuffisance cardiaque congestive (42,9 %). Ces proportions élevées s’expliqueraient par l’âge avancé de la population étudiée (âge moyen : 70 ans) [22].
Les 200 premiers patients accueillis aux urgences et admis au service de médecine hospitalière ou à l'USI avec Covid-19 confirmée en laboratoire ont été inclus dans une étude rétrospective. Plus du quart (27,5 %) avait des antécédents d'asthme ou de BPCO. L’odds ratio (OR) chez les patients présentant une BPCO était pour la mortalité de 3,39 (IC 95 % : 1,48-7,80 ; p = 0,004), pour l’augmentation des besoins en oxygène de 1,77 (IC 95 % : 0,79-3,97 ; p = 0,168) et pour l’intubation de 2,00 (IC 95 % : 0,83-4,82 ; p = 0,125) [23].
Zhang et al. ont rapporté les caractéristiques cliniques de 140 cas de Covid-19 survenus à Wuhan, dont 82 cas sont classés comme non graves et 58 comme graves. Seuls deux patients souffraient de BPCO, mais les deux ont évolué vers une forme grave [24].
Une étude rétrospective cas-témoins a inclus tous les adultes infectés par le SARS-CoV-2 dans deux provinces italiennes. L'échantillon était composé de 1 603 sujets : 454 (28,3 %) avaient des symptômes sévères, 192 (12,0 %) une maladie très grave ou mortelle, dont 154 sujets décédés. La prévalence de la BPCO observée dans l'échantillon (6,0 %) était le double de celle observée dans la population générale (3 %). Les prévalences de BPCO dans les groupes de formes légères, graves et très graves/létales sont respectivement de 2,9, 9,2 et 14,1 % (p < 0,001) [25].
Des patients diagnostiqués de la Covid-19, admis dans 26 hôpitaux (1 591 fiches), ont été inclus dans une autre étude italienne transversale, observationnelle, multicentrique et nationale. Au moins une comorbidité préexistante a été observée chez 73,4 % des patients. Chez les non-survivants, l'âge avancé, l'hypertension, le diabète sucré, la BPCO, la maladie rénale chronique, les maladies coronariennes et l'insuffisance cardiaque étaient plus fréquentes que chez les survivants. Après correction par analyse multivariée, seuls l'âge (p = 0,0001), le diabète sucré (p = 0,004), la BPCO (p = 0,011) et la maladie rénale chronique (p = 0,004) ont été retenus comme prédicteurs de la mortalité [26].
Les cas consécutifs de patients Covid-19 de plus de 60 ans, admis à l'hôpital Renmin de l'université de Wuhan du 1er janvier au 6 février 2020, ont été inclus dans une étude portant sur 339 patients. Les comorbidités courantes étaient l'hypertension (40,8 %), le diabète (16,0 %), les maladies cardiovasculaires (15,7 %) et la BPCO (6,2 %). Jusqu'au 5 mars 2020, 91 cas avaient quitté l’hôpital (26,8 %), 183 cas y étaient restés (54,0 %) et 65 cas (19,2 %) étaient décédés. Le taux de mortalité était de 17,2 % dans le groupe BPCO et de 3,7 % dans le groupe indemne de BPCO (p < 0,001). Parmi les comorbidités, les maladies cardiovasculaires (HR : 1,86 ; p = 0,031) et la BPCO (HR : 2,24 ; p = 0,023) prédisaient solidement le décès [27].
Au total, 105 patients ont été inclus dans une étude au 15 février 2020 dans le nord de Shanghai, dont 21 cas confirmés et 84 cas suspects de Covid-19. Moins de 50 % d'entre eux avaient des maladies sous-jacentes ; la BPCO et les maladies cardiovasculaires étaient les plus fréquentes (23,8 %) [28].
L’absence de lien entre la BPCO et l’apparition de formes sévères ou le décès suite à l’infection Covid-19 a été rapportée dans trois études.
Les patients atteints d’une pneumonie induite par le SARS-CoV-2, au nombre de 78, ont été inclus dans une étude menée dans trois hôpitaux tertiaires à Wuhan entre le 30 décembre 2019 et le 15 janvier 2020. L'évaluation de l'efficacité à deux semaines après l'hospitalisation a indiqué que l’état de santé de 11 patients (14,1 %) s'était détérioré et celui de 67 patients (85,9 %) s'était amélioré ou stabilisé. Un cas de BPCO a été observé dans chacun des deux groupes ; la différence n’était pas statistiquement significative [29].
Dans une étude rétrospective russe incluant 1 307 patients admis en USI atteints de pneumonie à SARS-CoV-2 ayant nécessité une ventilation mécanique, la BPCO a été observée chez 41 cas (3,1 %) ; cette prévalence était faible et n'excédait pas celle de la population générale [30].
Sur la base des registres nationaux suédois de la santé et de la population, 9 624 428 personnes incluses dans la population étudiée, 22,1 % avaient au moins un facteur pronostique pour la Covid-19 sévère. La prévalence de la BPCO était de 0,8 %, largement en deçà de celle estimée dans la population suédoise (4 à 10 %) [31].
Méta-analyses
Sept méta-analyses sur le sujet ont été dénombrées, le nombre d’études analysées varie de sept à 15 et celui des patients de 1 592 à 29 909.
Un total de 15 études comprenant 2 473 patients confirmés Covid-19 a été inclus dans la méta-analyse d’Alqahtani et al. La gravité a été définie par l’admission en USI, la souffrance d’une hypoxie, la nécessité d'une ventilation mécanique ou le décès. Le taux de mortalité brut de Covid-19 était de 7,4 %. Les taux de prévalence combinés des patients atteints de BPCO étaient de 2 % (IC 95 % : 1-3). Les patients atteints de BPCO présentaient un risque plus élevé de maladie sévère (63 %) par rapport aux patients sans BPCO (33,4 %) (risque relatif [RR] : 1,88 ; IC 95 % : 1,4-2,4) [32].
Une méta-analyse portant sur 14 études rassemblant 29 909 patients infectés par Covid-19, dont 1 445 cas de décès, a conclu à une association significative entre la BPCO et le risque de décès (OR : 3,53 ; IC 95 % : 1,79-6,96 ; p < 0,001) [33].
Treize études ont fait partie d’une méta-analyse, incluant un nombre total de 3 027 patients infectés par le SARS-CoV-2. La proportion de comorbidités sous-jacentes telles que l'hypertension, le diabète, les maladies cardiovasculaires et les maladies respiratoires était statistiquement plus élevée chez les patients avec des formes critiques/mortelles que chez les patients avec des formes non critiques/non mortelles (diabète : OR = 3,68 ; IC 95 % : 2,68- 5,03 ; p < 0,00001 ; hypertension : OR = 2,72 ; IC 95 % : 1,60-4,64 ; p = 0,0002 ; maladie cardiovasculaire : OR = 5,19 ; IC 95 % : 3,25-8,29 ; p < 0,00001 ; maladie respiratoire : OR = 5,15 ; IC 95 % : 2,51-10,57 ; p < 0,00001) [34].
Une méta-analyse a concerné 12 études de cohorte et 2 445 patients avec Covid-19. Comparée aux patients non sévères (non admis en USI), la maladie grave (admission en USI) était associée à des antécédents de BPCO (OR : 5,08 ; p < 0,001) [35].
Au total, 11 séries de cas, publiées en chinois ou en anglais avec un total de 2 002 cas, ont été incluses dans cette méta-analyse. Chez les patients présentant une BPCO, l’OR combiné de développer une Covid-19 sévère était de 4,38 (IC 95 % : 2,34-8,20) [36].
Dans une méta-analyse portant sur sept études incluant 1 813 patients Covid-19, la prévalence de la BPCO dans les groupes atteints de maladies graves et admis en USI était respectivement de 4,5 % et 9,7 % ; la BPCO était la comorbidité la plus fortement prédictive à la fois d’une gravité de la maladie (OR : 6,42 ; IC 95 % : 2,44-16,9) et d’une admission en USI (OR : 17,80 ; IC 95 % : 6,56-48,20) [37].
La méta-analyse de Lippi et al. a concerné sept études totalisant 1 592 patients Covid-19, dont 314 (19,7 %) avaient une forme sévère de la maladie. La BPCO s'est révélée être fortement associée et de manière significative à une infection grave (OR : 5,69 ; IC 95 % : 2,49-13,00) [38].
Discussion
Sur les 21 études rétrospectives réalisées sur le sujet, 16 ont rapporté un lien entre la présence d’antécédents de maladies respiratoires chroniques (sept sur neuf) ou BPCO (neuf sur 12), d’une part, et le risque de développer une forme grave de Covid-19, d’autre part.
Les méta-analyses confirment dans leur intégralité ce lien en montrant un risque relatif variant de 1,88 à 6,42.
Dans certaines études, la faible prévalence de la BPCO parmi les patients infectés serait due à une sous-estimation de l’affection. Seuls les cas de BPCO avec un diagnostic connu étaient comptabilisés dans les études [39]. Ce taux serait seulement de 30 %, représenté souvent par les cas les plus graves [31]. Il est possible aussi que les sujets atteints de BPCO se conforment plus aux mesures préventives strictes et sont, de ce fait, souvent épargnés par l’infection [39].
Des hypothèses ont été avancées pour expliquer la vulnérabilité des sujets présentant une BPCO vis-à-vis du SARS-Cov-2.
Les patients atteints de BPCO sont le plus souvent âgés [40] et souffrent d’autres comorbidités [41].
D’autres facteurs de risques sont également présents chez les sujets atteints d’une BPCO, tels que des altérations de la réponse inflammatoire locale et systémique, un trouble immunitaire, un déséquilibre du microbiome, une production persistante de mucus, des dommages structurels et l'utilisation de corticostéroïdes inhalés [42].
Le SARS-CoV-2 se sert de l'enzyme de conversion de l'angiotensine 2 (ACE2) comme récepteur cellulaire [43]. Une expression plus élevée de l’ACE2 observée notamment lors de certains facteurs de risque de formes sévères de Covid-19, tels que le tabagisme, le diabète et l'hypertension artérielle [44], augmente la sensibilité in vitro au SARS-CoV-2 [45].
L’élévation de l'expression de l'ACE2 dans les cellules épithéliales pulmonaires a été rapportée chez les sujets atteints de BPCO [46-48].
De plus, il y a une relation significative entre l'expression du gène ACE2 et le degré d'obstruction du flux d’air mesuré par le volume expiratoire maximal par seconde (VEMS). L'association entre l'expression de l'ACE2 et la BPCO persiste même après ajustement sur le tabagisme [44].
L'ACE2 est une métallocarboxypeptidase transmembranaire ayant une homologie avec l'ACE. Contrairement à l'ACE, qui convertit l'angiotensine I en un vasoconstricteur actif, l'ACE2 décompose l'angiotensine II en ses métabolites [49] favorisant ainsi la vasodilatation et l'augmentation de l'excrétion d'eau [50].
Ces résultats suggèrent que la BPCO peut faciliter l'entrée cellulaire du SARS-CoV-2 en raison de l'accès accru du virus au récepteur ACE2 [50].
Lorsque le SARS-CoV-2 se lie au récepteur ACE2 à la surface des cellules épithéliales alvéolaires, il se produit une réponse inflammatoire et une exsudation des neutrophiles, des macrophages et des fibrineux, entraînant une perte de la fonction ventilatoire pulmonaire et des difficultés à maintenir l'oxygénation. L'infection virale provoquera un déséquilibre des réponses T helper-1 et T helper-2, et entraînera une tempête inflammatoire en augmentant les niveaux de facteurs inflammatoires tels que l'interleukine-4, l'interleukine-6 et l'interleukine-10. La tempête inflammatoire chez les patients critiques libère des cytokines, provoquant des lésions immunitaires systémiques, qui peuvent être une cause importante de défaillance d'organes multiples [34].
La sérine protéase transmembranaire 2 (TMPRSS2), également retrouvée significativement régulée à la hausse chez les patients atteints de BPCO par rapport aux sujets sains, est une autre protéine d'entrée des cellules pour le SARS-CoV-2 [51].
Aptitude médicale du personnel de santé à un poste de travail exposant au risque de Covid-19
En l’absence de données épidémiologiques sur le pronostic de l’infection Covid-19 chez le personnel de santé atteint de BPCO, il paraît légitime de s’inspirer des conclusions de ce travail en vue d’une aide à la décision d’aptitude médicale du personnel de santé à un poste de travail exposant au risque de Covid-19.
La décision d’aptitude se basera sur les capacités sanitaires et physiologiques du travailleur, les caractéristiques du poste de travail, la disponibilité des équipements de protection individuels adaptés, le souhait professionnel du patient et sa qualification et l’existence d’une réserve sanitaire.
Les éléments médicaux et physiologiques à prendre en compte sont : la sévérité des symptômes et le retentissement de la maladie, les résultats des explorations fonctionnelles respiratoires, les traitements suivis et leurs doses notamment les corticostéroïdes, la présence d’autres comorbidités et l’âge [52].
La classification GOLD permet de distinguer quatre stades d’obstruction bronchique de la BPCO (léger, modéré, sévère et très sévère) ; l’intensité des symptômes, notamment de la dyspnée, peut être évaluée à l’aide de l’échelle MRC qui individualise cinq stades (0 à 4) ; la classification GOLD de la sévérité clinique tient compte à la fois des symptômes (dyspnée), du nombre d’exacerbations par an (avec ou sans hospitalisation) et du test CAT (COPD Assessment Test) distinguant quatre catégories (A, B, C et D) [53].
Le risque de formes graves et de décès par la Covid-19 est important dès l’âge de 50 ans et augmente considérablement à partir de 60 à 65 ans [54].
L’étude du poste de travail permettra de préciser le niveau du risque d’exposition au SARS-CoV-2 [55].
Un soignant présentant une BPCO classée au stade sévère ou très sévère (GOLD 3 ou 4, échelle MRC 3 ou 4, GOLD clinique C ou D) ou présentant d’autres comorbidités ou âgé de plus de 60 ans conduira à envisager une inaptitude à son affectation dans les unités ou services dédiés à la Covid-19, particulièrement dans les secteurs à haut risque, c’est-à-dire recevant des cas graves ou réalisant des procédures très exposantes, ou recevant des cas suspects mais pouvant occasionnellement réaliser des procédures très exposantes.
En cas d’absence d’un ou plusieurs de ces critères, la détermination de l’aptitude se fera au cas par cas par le médecin du travail, en tenant compte de l’âge, des autres comorbidités éventuelles, des caractéristiques du poste de travail, de la disponibilité des équipements de protection individuels conformes et de l’effectif du personnel de santé.
Conclusion
Cette revue systématique a montré que la BPCO était associée à un risque accru de développer une forme sévère de Covid-19 ou de décéder des suites de cette infection. Les méta-analyses ont révélé que ce risque est souvent important (dépassant parfois 6).
L’absence de données épidémiologiques sur le pronostic de l’infection Covid-19 chez le personnel de santé atteint de BPCO autorise à nous inspirer des conclusions de ce travail en vue d’une aide à la décision d’aptitude médicale du personnel de santé à un poste de travail exposant au risque de Covid-19.
Un soignant présentant une BPCO sévère à très sévère ou présentant d’autres facteurs de risques conduira à envisager une inaptitude à l’affectation dans les unités ou services dédiés à la Covid-19, particulièrement dans les secteurs à haut risque. Dans les autres situations, la détermination de l’aptitude se fera au cas par cas par le médecin du travail, en tenant compte des autres facteurs de risques de formes graves de la Covid-19, des caractéristiques du poste de travail, de la disponibilité des équipements de protection individuels conformes et de l’effectif du personnel de santé.
Liens d’intérêts
L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt.
Références
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2. Organisation mondiale de la santé. La broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO). https://www.who.int/respiratory/copd/fr/
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5. European Center for Disease Prevention and Control. Coronavirus disease 2019 (Covid-19) pandemic: increased transmission in the EU/EEA and the UK - seventh update. 2020. https://www.ecdc.europa.eu/sites/default/files/documents/RRA-seventh-update-Outbreak-ofcoronavirus-disease-COVID-19.pdf
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