30 juin 2020 - Pendant le confinement, les violences faites aux femmes et aux enfants
Correspondance : Gilles Lazimi
Médecin généraliste, Centre municipal de santé de Romainville, 93230 Romainville, France ; Département de Médecine générale, Médecine Sorbonne Université ; Membre de SOS FEMMES 93 et du Collectif Féministe Contre le Viol
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COVID-19 : le confinement
Du fait des mesures de confinement décrétées par nos institutions pour lutter contre la pandémie du COVID-19, l'homme violent se retrouve en permanence avec sa victime et ses enfants.
Ce lieu devenu clos renferme l’homme violent et ses victimes en limitant encore les possibilités de fuir ou de rechercher du secours.
Isolement, confinement, menace, face-à-face permanent laissent l’agresseur dans une toute puissance pour instrumentaliser, humilier, blesser, frapper, agresser sexuellement et asseoir sa domination sur sa conjointe et ses enfants.
Les éléments déclenchants, s’il en faut, s’appuieront comme justification sur la promiscuité, le bruit des enfants, la pandémie ou tout autre élément l’entraînant dans sa spirale destructrice et de passage à l’acte.
Être victime de violence, c'est perdre l'estime de soi, avoir honte, avoir peur pour soi, pour ses enfants, être dans l'incapacité de comprendre ce qui se passe, rester dans la sidération. C’est développer une crainte permanente et diffuse envers les autres, perdre son autonomie d’agir et de penser du fait de la peur qui contraint et qui peu à peu réduit encore le peu d’espace de liberté et anesthésie.
Cette vie cauchemardesque tente de trouver des réponses s’attribuant souvent une responsabilité qui est le fruit de la vampirisation de l’agresseur au-delà de l’acte. L’agression se poursuivant donc au-delà de l’acte pour blesser physiquement et mentalement durablement, elle touche également les processus cognitifs plus élaborés en piratant les commandes réflexives de la victime, ses repères et en utilisant les fragilités constitutives présentes chez chacun mais qui là sont exploités pour fragiliser, humilier et contrôler.
Le retentissement des violences est majeur sur la santé des femmes et de leurs enfants
Les pathologies induites en lien avec les violences peuvent recouvrir tous les champs de la médecine avec des tableaux cliniques divers [1-4], notamment :
– Santé mentale : de nombreuses pathologies psychiques, anxiété, dépression, notamment 50 % des femmes victimes de violences conjugales sont dépressives.
– Gynécologique-obstétrique : grossesse non désirée, grossesse à risque, fausse couche, retard de suivi de grossesse, dépression post-partum, douleurs pelviennes, infections sexuellement transmissibles, interruption volontaire de grossesse, etc.
– Troubles physiques : arthralgies, myalgies, fibromyalgies, etc.
– Les agressions sexuelles, les viols, sont les violences les plus graves en termes de retentissement sur la santé, et les plus fréquemment accompagnées de stress post-traumatique.
Les enfants sont co-victimes
Les enfants et les adolescents sont les co-victimes de la violence dans le couple.
Celles-ci peuvent avoir des conséquences graves sur leur développement physique, psychologique, leurs acquisitions et leurs relations futures.
Sans pandémie, les victimes sont insuffisamment protégées
En temps normal, sans pandémie, les victimes sont insuffisamment protégées car le plus souvent non entendues, non secourues, non crues. Pour preuve, le dernier rapport d'études des féminicides de 2018 : 65 % des victimes étaient connues des forces de police et 80 % des plaintes avaient été classées. Les victimes sont rarement questionnées sur les violences subies [5]. Cependant, s'il est très difficile d'être aidée, écoutée, crue, accompagnée et protégée comme victime de violences conjugales, il existe des instants de répit, d'isolement, des moments possibles de dialogue avec les médecins, notamment grâce aux numéros d'appels tels que le 39 19 ou le 0800 05 95 95.
Avec le confinement, nul répit, nulle possibilité de s'isoler. Ces femmes sont en permanence sous la surveillance et le joug de leur agresseur ; elles sont en grand danger ainsi que leurs enfants.
Une augmentation des signalements de violences intrafamiliales
En France, on a noté une augmentation très importante des signalements des violences envers les femmes
Plus de 5 200 appels, soit deux fois plus sur la plateforme téléphonique 3919, le numéro d’appel gratuit et anonyme contre les violences conjugales, par rapport à l’année passée1.
Les signalements des violences conjugales et intrafamiliales ont augmenté pendant le confinement : une augmentation de 44 % des interventions des forces de l’ordre pour différends familiaux par rapport à la même période en 2019 a été rapportée par le secrétariat d'État à l'Égalité entre les femmes et les hommes2.
La fréquentation de la plateforme sur les violences conjugales arretonslesviolences.gouv.fr a doublé2.
La question se pose d’une augmentation de femmes victimes des violences ou l’augmentation des signalements de violences par des femmes déjà victimes de violences.
Des signalements en hausse mais des plaintes en baisse
Paradoxalement, on note pour nombre de juridictions un nombre de dépôts de plaintes en baisse d’environ 20 %3.
Pendant le confinement, des victimes ont rencontré des difficultés dans certains commissariats pour déposer leur plainte, en raison notamment de la réduction des heures d’ouvertures et de la difficulté à s’y rendre.
Des dispositifs nouveaux ont été mis en place : la possibilité de se signaler en danger dans les pharmacies, dans des points rencontres dans des surfaces commerciales, ou encore la possibilité d’envoyer un texto au 114 ou sur la plateforme gouvernementale de signalement des violences.
Bien que ces initiatives soient très intéressantes, le bilan pour l’heure semble décevant. Elles n’ont pas eu le résultat escompté.
Cette situation est paradoxale et peut s’expliquer par le confinement qui a rendu plus difficile le dépôt des plaintes, et dans le même temps, une augmentation d’appels et d’interventions de Police secours pour différends familiaux, à la demande des voisins qui entendaient des cris et appelaient la police.
Une prise de conscience collective nouvelle
Un effet positif avec une tolérance moins importante de la société et l’intervention plus importante des voisins pour signaler les cris et les violences à la police. Il y a eu une véritable prise de conscience collective.
Violences sexuelles et grossesses non désirées [6]
Nous craignons de nombreuses situations avec des violences sexuelles exercées pendant le confinement, en plus des violences physiques et psychologiques : le risque de grossesses non désirées et l’impossibilité de pouvoir bénéficier d’une IVG le délai légal pouvant être dépassé4.
À noter une prise de décision du gouvernement de permettre d’allonger le délai de 7 à 9 semaines d’aménorrhée pour les IVG médicamenteuses en ville et leur réalisation possible partielle consultation. Nous commençons depuis le déconfinement à recevoir des femmes en délai limite ou dépassé.
Dans nos cabinets médicaux
L’impossibilité pour ces femmes de se rendre dans nos consultations c’est moins de soin, moins de possibilités pour questionner, moins de révélations et moins de possibilités pour accompagner les femmes victimes et leurs enfants.
Croire et accompagner
Nous, professionnels de santé, savons à quel point les victimes ont besoin de soutien, d'écoute, de savoir qu'on les croit et de réponse individualisée. Elles n'attendent qu'une chose : être accompagnées tout en respectant leur temps de décision lié au remaniement profond qu’elles ont subi dans leur psyché et dans leur insécurité au monde. Une simple question sur les violences qu'elles peuvent subir dans un espace protégé et confidentielle, posée avec empathie et avec une attention sincère, suffit souvent à leur permettre de mettre des mots sur leurs souffrances et de débuter déjà un processus de reconstruction mentale. Ces questions simples permettent de révéler des violences subies et de faire le lien avec les tableaux cliniques qui sont la conséquence du psycho-traumatisme, et ayant parfois débutés de nombreuses années auparavant. La victime prend conscience de ce qu'elle subit ; elle acceptera la mise en place d'aides et soutiens pour sortir des violences, notamment d'établir un lien essentiel avec les associations et les professionnels du psycho-traumatisme. Elle n'est plus seule, elle est enfin reconnue comme victime, elle peut enfin être aidée, soignée, prise en charge.
Dans cette période de confinement, il nous faut être encore plus vigilants et ne pas hésiter à poser de façon systématique la question des violences aux patientes : « Êtes-vous victimes de violences verbales, psychologiques, physiques, et/ou sexuelles ? » [2-4, 7, 8].
1 Selon Francoise Brié, directrice générale de la Fédération Nationale Solidarité femmes.
2 Selon L. Cherel et la Cellule investigation de Radio France. Violences faites aux femmes : les réponses aux signalements pendant le confinement. 15/05/2020 : https://www.franceculture.fr/societe/violences-faites-aux-femmes-quelles-reponses-aux-faits-signales-pendant-le-confinement
3 Selon E. Corbaux. Procureur de la république du tribunal de grande instance de Pontoise (Val-d’Oise).https://www.franceculture.fr/societe/violences-faites-aux-femmes-quelles-reponses-aux-faits-signales-pendant-le-confinement
4 Selon Sarah Durocher, co-présidente du Planning familial : https://www.europe1.fr/sante/ivg-pendant-le-confinement-une-augmentation-du-nombre-dappels-sur-le-numero-vert-3962312
Liens d'intérêts
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d'intérêts en rapport avec l’article.
Références
1. Duguet A, Lazimi G, Hervé C, et al, Les violences sexuelles, autres violences faites aux femmes. Médecine 2014 ; 10 (6) : 262-8.
2. Lazimi G. Repérage et accompagnement par le médecin généraliste des femmes victimes de violences. Revue l’infirmière 2014 ; 63 (205) : 25-27.
3. Lazimi G. Permettre de parler. Pratiques 2016 ; (75) : 36-8.
4. Lazimi G, Violences faites aux femmes. Revue du Praticien Médecine Générale 2005 ; 19 : 1180.
5. Ministère de la Justice. Rapport missions sur les homicides conjugaux. http://www.justice.gouv.fr/publication/Rapport%20HC%20Publication%2017%20novembre%202019.pdf
6. Pelizzari M, Lazimi G, Ibanez G. Interruptions volontaires de grossesse et violences: étude qualitative auprès de médecins généralistes d’Île-de-France. Cliniques méditerranéennes 2013 ; 2 (88) : 69-78.
7. Estrada J, Lazimi G. La vulnérabilité des femmes migrantes en situation de précarité face aux violences en France. Les cahiers de santé publique et de protection sociale, juin 2013. https://medecine-generale.sorbonne-universite.fr/wp-content/uploads/2019/02/Fondation-Gabriel-Peri.pdf
8. Lazimi G, Duguet A, Auslender V, Granger B, Catoire P, Ronai E, Les violences faites aux femmes, Enquête nationale auprès des étudiants en médecine. Médecine 2014 ; 10 (2) : 83-8.