29 avril 2020 - Quelles conséquences du Covid-19 sur notre vie psychique ? Métamorphose et transformations liées au coronavirus
Correspondance : Patrick Bantman
Psychiatre honoraire des Hôpitaux
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« Quand nous acceptons nos métamorphoses intérieures, nous cessons d’être aveugles devant l’immensité qui s’ouvre devant nous »
Jean Monnet
« Le confinement auquel ce virus nous contraint nous donne une magnifique occasion de connaître la vertu (la force) ouverte au sage »
Anonyme
Depuis la mise en place du confinement le 17 mars, qui concerne maintenant plus de 3 milliards d’habitants sur la planète, nous assistons à la métamorphose de beaucoup d’aspects de notre vie et de notre écosystème.
Nos modes d’échanges et de communications ont profondément changé. Nous communiquons désormais par téléphone et écran interposé. Les personnes âgées confinées ont particulièrement souffert de cette absence de contact avec les proches…
Mais surtout, la crise sanitaire occupe depuis cinq semaines le devant de la scène médiatique. Elle est au centre de toutes les préoccupations avec ses conséquences médicales, sociales et économiques. Les rendez-vous des informations régulières égrènent les statistiques des patients hospitalisés, en réanimation et de ceux décédés.
L’activité humaine s’est presque complètement figée et des millions de personnes sont au chômage.
La crise du Covid-19 vient nous interpeller dans notre intimité en insérant la peur de la contamination pour nous ou notre famille.
Ainsi nous sommes confrontés à notre capacité de sur(vivre) et à l’incertitude sur le futur de notre vie.
Qu’en est-il des effets que cette métamorphose d’un point de vue psychopathologique, voire psychiatrique, concernant l’individu et son groupe familial ? Comment réagissent-ils ?
Cette expérience du confinement met à l’épreuve notre psychisme probablement pour une longue durée.
J’évoquerai ici les aspects de ces transformations sur notre équilibre psychique et relationnel après sept semaines de confinement.
Notre expérience vient de la clinique de nos patients, des cellules de crise qui ont rapidement été mises en place, des écoutes téléphoniques et des réflexions publiées sur les réseaux.
Avec cette crise, il nous a fallu transformer notre pratique. Nous sommes habitués au face à face et à l’entretien direct. Dans cette crise sanitaire nous avons découvert d’autres modalités de relations avec les patients, en particulier le téléphone, ce qui n’est pas sans poser aussi des questions.
Le confinement est une expérience exceptionnelle qui a des conséquences. Plusieurs facteurs peuvent changer la façon dont nous réagissons à cette situation, positivement ou négativement. Un article paru dans le Lancet au début du confinement montrait que cette expérience peut, par exemple, avoir un impact psychologique délétère, avec des troubles de l’humeur, des confusions, voire un syndrome de stress post-traumatique. Le risque d’apparition de ces manifestations augmente avec la durée d’isolement, mais aussi avec d’autres facteurs comme les conditions de logement, la perte de revenus, l’absence d’information, ou encore l’ennui. Pour explorer ces différentes conséquences dans le contexte actuel en France, Anne Giersch de l’Inserm vient de lancer une enquête en population générale. Nous en saurons probablement plus après la publication des résultats et dans plusieurs mois.
On peut à la lumière de notre expérience clinique, d’études et de réflexions diverses affirmer que de nombreux aspects du confinement peuvent accroître la détresse psychologique chez la population générale et les professionnels de santé. Quelques études ont montré les facteurs de vulnérabilité individuelle, notamment la présence antérieure de troubles psychologiques/psychiatriques et le fait de travailler en tant que professionnel de santé. Les facteurs liés au confinement étaient les suivants : la durée de la quarantaine, des provisions insuffisantes, une information incomplète, un isolement social ou familial, une peur de la contamination, un stress financier…
Les auteurs suggèrent des stratégies d’atténuation : la minimisation du temps de confinement, l’apport d’informations claires et détaillées sur la maladie et les risques de transmissions, la facilitation des communications électroniques entre les proches, l’apport de provisions suffisantes et nécessaires pour supporter la quarantaine (téléphone, wifi, livre, nourriture, jeux…) et l’incitation à la solidarité pour poursuivre les efforts de la population cofinée. D’autres publications grand public évoquent les effets positifs du confinement[1]. On peut aussi remarquer que des amis un peu perdus de vue se recontactent, prennent des nouvelles. Curieusement : on n’a plus le droit de se toucher, mais les liens se resserrent. En ce qui nous concerne, les témoignages que nous avons pu recueillir auprès de certains de nos patients montrent que les réactions sont diverses. Pour certains, il y a un aspect de protection et de parenthèse qui est lié au fait qu’on n’a plus à se rendre au travail par exemple, ou bien qu’on reste chez soi, dans un cadre rassurant même parfois dans des conditions difficiles. Il faut penser au quotidien, et les autres difficultés sont remises à plus tard. Le temps du confinement est assez « vertueux » (c’est le terme d’un patient) car on se retrouve avec les siens, ou face à soi-même… Parfois on peut se plaindre du manque d’intimité, et pour un autre patient qui avait décidé de se séparer, il a pu mettre pas mal d’interrogations de côté pour le moment, tout en redoutant le moment où elles reviendront… D’autres découvrent l’intimité et le plaisir de leur couple, voire des enfants, alors qu’ils nous décrivaient le mal de vivre ensemble. Ils ne sont pas pressés que le confinement s’arrête. C’est la peur de la sortie de crise qui s’impose à beaucoup, le retour au travail, à la vie d’avant… Beaucoup mettent ainsi les questionnements de côté, car la réalité du risque de Covid-19 est déjà assez inquiétante en soi… Dans cette expérience du confinement on se retrouve face à soi-même et à de nombreuses incertitudes répétées tous les jours, sur la maladie, le risque de contamination, la prévention et sur comment on va s’en sortir…
Pour d’autres, la situation est plus préoccupante. La prolongation du confinement entraîne actuellement une recrudescence de manifestations psychiatriques, après une baisse notable des urgences psychiatriques. Les patients, surtout psychotiques, où encore ceux présentant un stress aigu, vont aux urgences psychiatriques, alors que jusqu’à là, la peur de la contamination avait eu un impact sur la fréquence des urgences… « L’isolement, le manque d’interactions commencent vraiment à se faire sentir » (propos d’un psychiatre de l’hôpital Saint-Antoine). Des personnes confinées avec des patients psychotiques à domicile ressentent cette situation à la limite de l’intolérable. Beaucoup de personnes ont peur de l’avenir, de perdre leur travail, de ne pas pouvoir payer leur loyer suite à la prolongation du confinement. Un patient m’a parlé de préparer le déconfinement afin d’éviter de rechuter. Ce déconfinement fait l’objet de beaucoup d’angoisses, par la crainte de la 2e vague, des problèmes économiques qui vont suivre…, et des incertitudes sur les conditions concrètes de l’organisation de la sortie du domicile… Les différents sondages évoquent la diversité des situations : la perte de repères et la diversité des émotions ressentis. Certains ressentent de l’angoisse d’être seuls, ou la peur d’être contaminés. D’autres exprimeront toute leur colère devant la gestion politique de cette crise sanitaire, l’absence de masque, de tests fiables. Et derrière cette colère se cache une angoisse liée à trop d’incertitude… D’autres encore évoqueront la Deuxième Guerre mondiale et l’occupation allemande, « comment ont fait les juifs pour supporter le confinement » ? Ou encore « ce n’est pas un virus qui va nous tuer, alors que les nazis n’ont pas réussi… »
Progressivement, au fil des jours et de l’évolution du Covid-19, la crainte de l’avenir l’emporte contre la peur du virus. Au début, l’anxiété de la contamination s’ajustait au calme des jours progressivement découvert, des ressources s’exprimaient et on retrouvait une intimité perdue un plaisir d’être en famille, de s’occuper des enfants.
L’absence d’évaluation du danger auquel on était exposé nous a mis en difficulté pour trouver la mesure de protection la meilleure, d’autant que les pouvoirs publics ont eu un retard pour affirmer le danger représenté...
Pour aborder la question du déconfinement, un ensemble de critères peuvent être pris en compte pour éclairer les conditions de prolongement du confinement et de sa levée progressive. Je n’évoquerai que les critères psychologiques et la souffrance psychique. Parmi les effets délétères, on mentionne des effets psychologiques et psychiques, qu’ils soient actuels (troubles anxieux, dépression…) ou différés (troubles post-traumatiques, décompensation…), des violences, aussi bien envers autrui (violences sexistes et sexuelles, violences sur enfants) qu’envers soi-même (suicides), ainsi que d’éléments relatifs à la morbidité induite, aux difficultés de prise en charge médicale, psychiatrique et psychologique en contexte de confinement, et de la surmortalité provoquée par le confinement.
Les institutions psychiatriques et médico-sociales ont nécessité le confinement de leurs patients, avec des mesures de précaution décuplées, vu la fragilité des personnes prises en charge. Certains personnels ont été jusqu’à se confiner avec les patients comme dans certains Ehpad, ou des lieux de vie pour autistes. Les visites et les sorties indispensables ont manqué. Des structures pour personnes handicapés ou âgées ont beaucoup souffert de l’impact du Covid-19, des conséquences mortelles et des contraintes d’isolement. Elles ont su mettre en place les dispositions nécessaires pour éviter la contamination des plus fragiles. Il y a eu des patients touchés par le virus et parfois des deuils, surtout dans les Ehpad. Des personnels souvent en difficulté ont dû se dévouer parfois jusqu’à l’épuisement. Eux-mêmes ont été nombreux à être contaminés dans ce cadre professionnel. Que dire de ceux qui, au fil des jours, sont en première ligne, particulièrement exposés : tous les commerçants ouverts, les caissiers, les manutentionnaires, les gardiens d’immeubles, les éboueurs portés aux nues, mais qui ne le seront plus la suite (moins pris en compte que les soignants…) ?
Tout cet ensemble complexe va conditionner la manière dont se mettra en place les étapes du déconfinement.
Dans ce domaine, beaucoup d’incertitudes dominent malgré les assurances du Premier ministre Edouard Philippe qui s’engage dans un déconfinement « à pas prudents » et en mode progressif. On peut s’interroger sur la réouverture des classes, en particulier les écoles maternelles et élémentaires à compter du 11 mai, partout sur le territoire, à la différence de nos voisins, l’Espagne et l’Italie, où la rentrée se fera en septembre. On accorde le premier plan à la reprise de la vie économique… S’agissant des « conditions sanitaires strictes », le port du masque sera obligatoire dans les collèges et les transports… L’Académie de médecine avait recommandé de rendre le port du masque « obligatoire dans l’espace public ». Cela ne sera pas encore le cas, car on peut craindre que malgré ces engagements du gouvernement, il sera encore difficile de se procurer des masques. Le prix risque d’être prohibitif. Comment faire devant ces grandes inégalités du traitement social de la crise sanitaire, où peu est fait pour les personnes en grande précarité, et où la psychiatrie publique a été la grande absente… ?
Beaucoup d’incertitudes quant à la capacité des administrations à mettre en place toutes ces mesures .
Actuellement les espoirs mis dans cette date du 11 mai risquent d’être contrariés… Le retour à la liberté sera progressif et au mieux par étapes…
Face au dilemme de la nécessité de reprise de la vie économique, il faut éviter la deuxième vague et permettre progressivement la restauration des liens sociaux et familiaux, ainsi que les manifestations culturelles.
Il faudra réparer les manques symboliques et les effets délétères des annulations de toutes les manifestations familiales, religieuses, culturelles et sportives.
Reprendre la vie ordinaire ne sera pas facile pour tout le monde, et il faut s’attendre à ce que la demande soit forte d’écoutes et d’aides de toutes sortes …
Non les choses de la vie d’avant ne reprendront pas, en tout cas pas toute de suite.
Paris le 29 avril 2020
Liens d’intérêt
L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.
[1] Avoir plus de temps pour soi, pouvoir s’organiser librement, accorder du temps à des activités nouvelles : apprentissage d’une langue, cuisine, musique, etc. Accorder du temps aux activités qui vous tiennent à cœur : passions diverses, lectures, réflexions personnelles. Donner plus de temps aux activités sportives. Consacrer plus de temps aux proches en leur téléphonant et en donnant des nouvelles.