26 mars 2020 - Déconfinement : le jour d’après ?
Le Comité de crise COVID-19 de la Société Française de Virologie - Association Loi 1901
Correspondance : Bureau de la Société Française de Virologie - contact@societe-francaise-de-virologie.fr
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L’épidémie de pneumonie virale COVID19 a été classée en Urgence de Santé Publique à Portée Internationale (Public Health Emergency of International Concern, PHEIC) le 30 janvier 2020, moins d’un mois après la découverte de l’agent infectieux associé, le SARS-CoV-2. Seuls cinq cas avaient été identifiés en France à cette date. Le 12 mars, dans son discours d’ouverture [1], le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), faisait le constat que le nombre de cas hors Chine avait augmenté d’au moins 13 fois dans les deux semaines précédentes, et proclamait l’état de pandémie. En France, 495 cas avaient été identifiés à cette date. Le Dr Ghebreyesus encourageait tous les pays à « trouver un juste équilibre entre la protection de la santé, la limitation des perturbations économiques et sociales, et le respect des libertés individuelles » et rappelait les quatre piliers de la stratégie globale mise en place par l’OMS, dont le confinement est le pivot :
1) Se préparer, ceci incluant aussi bien la mise en alerte des populations et la communication des mesures de protection individuelles, que la mise en adéquation des infrastructures hospitalières.
2) Identifier les cas suspects, les isoler, tracer leurs contacts et les tester, tout ceci étant crucial pour bloquer la transmission, et empêcher la formation de clusters de cas, pouvant évoluer en cas communautaires.
3) Réduire la dissémination. Cette étape est complémentaire de la précédente, et son amplitude est évaluée par les pouvoirs publics, conjointement avec les autorités sanitaires nationales. A minima, la proscription des grands rassemblements, la fermeture des centres commerciaux etc. A maxima, le confinement total, avec tous les impacts sociaux et économiques que cela implique.
4) Innover et apprendre. Parce qu’on ne combat pas un incendie les yeux fermés, et qu’un proverbe courant dit : connais ton ennemi. Tout ce que nous pouvons apprendre de cette épidémie nous aidera à réagir efficacement à la prochaine, quelle qu’elle soit.
En France, à ce jour, l’épidémie a eu raison des pares-feux 1) et 2), et nos espoirs de limiter la transmission reposent désormais sur l’application ultime du pare-feu 3), le confinement total. En parallèle, et bien que nous n’ayons toujours pas d’estimation robuste de mortalité, les données épidémiologiques en provenance du Centre Européen de Prévention et de Contrôle des maladies (European Center for Disease Prevention and Control, ECDC [2]), d’Italie (site Bloomberg [3]), ou même d’Inde [4] confirment que l’infection par le SARS-CoV-2 induit chez la majorité des sujets infectés une maladie respiratoire légère, voire asymptomatique, suivie d’une guérison spontanée. Les complications respiratoires, parfois fatales, ont été observées le plus souvent chez des patients âgés (> 60 ans) présentant des comorbidités. Comme dans toute infection, les patients guéris présenteraient une immunité qui leur permettrait de jouer à leur tour le rôle de pare-feu.
Au vu de ces informations, on peut dire que le confinement vise à protéger une toute petite fraction de la population, la plus sensible, ce qui va à l’encontre des stratégies sanitaires usuelles : en effet, sans mesure de détection massive pour diagnostiquer l’ensemble des cas contacts au chevet des individus positifs, l’isolement a été préconisé pour la population générale. Cependant, le confinement se justifie d’un point de vue éthique, compte tenu de la ténuité de nos connaissances sur la prévalence réelle et la transmission de cette infection. La question se pose donc autrement : sur la base de quels critères va-t-on mettre fin au confinement ? On entend parler de « encore quelques semaines », mais sans savoir quels éléments entreront en compte dans cette décision ; plus le temps passe, plus les problèmes économiques et sociaux s’intensifieront. L’annonce d’un durcissement du confinement, la pérennisation d’une situation difficile, censée être temporaire, sans visibilité ni message positif, est génératrice de découragement et d’anxiété chez bon nombre de concitoyens.
Quelles sont les options ?
– Attendre que le nombre de nouveaux cas positifs redescende en dessous d’un seuil à définir pour annoncer la rupture ? Techniquement, cela risque d’être difficile : même en multipliant par trois notre capacité de testing PCR, comme il a été annoncé, l’estimation du nombre réel de transmetteurs potentiels sera sous-estimée du fait de l’inconnu que représente le portage asymptomatique.
– Revenir en arrière à l’étape 2), c’est-à-dire tester largement tous les cas symptomatiques et n’isoler que les cas positifs et leurs contacts ? Malheureusement, nous avons dépassé ce stade pour les raisons énoncées ci-dessus : nous n’avons pas les moyens de tester suffisamment largement, et nous manquerons forcément des cas.
Alors que faire ?
Passer à l’étape 4 de la stratégie globale : innover et apprendre. L’idée que nous souhaitons promouvoir est basée sur l’évaluation de la présence d’anticorps anti-SARS-CoV-2 chez des patients guéris, indépendamment du fait qu’ils aient été testés positifs ou non (cas suspects, formes légères) ainsi que des personnes qui auraient partagé leur confinement.
– Innovant, car ceci permettrait de mettre en place un déconfinement progressif contrôlé. Les individus immuns ne présentent plus de risque pour leur entourage, et sont eux-mêmes protégés contre une réinfection éventuelle. D’un point de vue social, le bénéfice serait énorme, même si les personnes habilitées seront peu nombreuses au début. La possibilité de rendre visite à des proches ou des amis, voire de reprendre une activité professionnelle, amènerait le message d’espoir qui se fait cruellement attendre.
– Instructif, parce que cette approche, nous permettrait d’avoir une estimation plus précise du nombre réel de cas de SARS-CoV-2, ainsi que du taux de fatalité. La persistance des anticorps est meilleure que la persistance de l’antigène ou de l’ARN génomique dans les sécrétions nasales, et le risque de « rater » un cas est donc moindre.
En pratique
Le site finddx.org a répertorié tous les tests sérologiques, commercialisés ou en développement, destinés à la détection spécifique des IgM ou des Ig spécifiques du SARS-CoV-2. Environ 40 compagnies sont sur ce marché, basées principalement en Chine et à Singapour, mais aussi aux États-Unis et en Europe. À noter qu’un certain nombre de compagnies proposent également des Rapid Tests, mais leur capacité de production n’est pas précisée. Enfin, pour ceux qui s’inquiéteraient de la longueur des procédures d’importation, une équipe multi-appartenance a mis en ligne un protocole permettant de développer son propre test [5]. Les sera contrôles positifs et négatifs sont obtenus grâce à des dons des patients hospitalisés et prélevés en début et en fin de phase clinique.
Le testing sérologique n’interfère pas avec le testing PCR : ces tests n’utilisent pas les mêmes équipements, ni les mêmes réactifs, et la capacité de testing et d’analyse (couplées pour les tests automatisés) est élevée. La plupart des systèmes automatisés ou robotisés ne nécessitent qu’un ou deux opérateurs. La collecte d’échantillons sanguins peut être réalisée dans les laboratoires d’analyses classiques, ou à domicile par une infirmière qualifiée, et ne mobiliserait donc pas non plus de personnel hospitalier supplémentaire.
Cette stratégie nécessiterait d’être évaluée concrètement, mais nous pensons que, utilisée conjointement avec le testing PCR massif annoncé, elle permettrait d’accélérer le retour sécurisé à la normale avec un déconfinement progressif.
Liens d’intérêts :
les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts en rapport avec l’article.
Références
2. https://www.ecdc.europa.eu/en/2019-ncov-background-disease
4. https://link.springer.com/article/10.1007/s12098-020-03263-6
5. https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.03.17.20037713v1