30 mars 2020 - Les dérivés de la quinine et le COVID-19
Correspondance : Philippe Casassus
PU-PH émérite de Thérapeutique, Université Sorbonne-Paris Nord
Mots clés : COVID-19 ; chloroquine ; hydroxychloroquine ; charge virale [COVID-19 ; chloroquine ; hydroxychloroquine ; viral load]
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Introduction
Les Chinois ont commencé à étudier les dérivés de la quinine [1] qui, expérimentalement, sur des cellules de rein de singe, montrent une nette diminution de la pénétration des cellules par le virus. Ils craignent cependant une trop grande toxicité avec la chloroquine : c’est la raison pour laquelle, ils suggèrent d’utiliser plutôt l’hydroxychloroquine et sont favorables à ce que des essais cliniques comparatifs l’évaluent [2] : au moins deux essais cliniques de phase III, dont un européen testant, outre l’hydroxychloroquine, deux types d’antiviraux, avec l’objectif d’inclure environ 3 200 sujets, débutent ainsi actuellement. L’Institut Hospitalo-Universitaire (IHU) Méditerranée de Marseille, dirigé par le Pr. D. Raoult, vient de rendre publique, dans une ambiance polémique, dans la revue Int J Antimicrob Agents (dont le rédacteur en chef est un des co-auteurs) les résultats d’une étude préliminaire sur une petite série [3] dont nous faisons ici l’analyse.
L’étude
Son objet était d’évaluer la baisse de la charge virale 6 jours après le début d’un traitement par hydroxychloroquine, qui a été administrée à 26 malades d’âge moyen 51,2 ans (± 18,7) à la dose de 600 mg par jour pendant 10 jours. L’espoir est donc avec ce traitement de réduire à la fois le risque évolutif de la maladie chez le patient et sa contagiosité. Ces malades ont été comparés avec 16 malades ne recevant pas le traitement, suivis dans 3 autres centres (Avignon, Nice, Briançon), ainsi qu’à Marseille (il s’agissait alors de sujets refusant le traitement ou ayant une contre-indication). Il n’y a pas eu de randomisation. L’âge moyen des sujets « témoins » était un peu plus jeune (37,3 ± 24,0 ans ; p = 0,06). La recherche virale était répétée à J4, J7 (en fait plutôt J6) et J14. L’objectif fixé était d’obtenir à J7 une amélioration de 50 % de la charge virale, les calculs de l’essai (pour un protocole randomisé) impliquant alors au moins 24 patients dans chaque bras.
À J6, le nombre de personnes avec une charge virale en dessous du seuil de détection est de 14/20 chez les traités analysés et de 2/16 chez les non-traités analysés par un test exact de Fisher avec un degré de signification de 0,001. Le résultat était encore meilleur avec l’association avec l’azithromycine (ajouté chez 6 malades) qui obtenait 100 % de négativation virale à J6 chez les patients traités par les deux molécules contre 57,1 % sous hydroxychloroquine seule, et 12,5 % sans traitement (p < 0,001).
En dehors du manque de comparabilité initiale des groupes, parmi les autres problèmes méthodologiques que soulève cette étude, on observe que sur les 26 traités, 6 patients ont été perdus de vue, exclus de l'analyse et leurs caractéristiques initiales ne sont pas décrites : 3 pour passage en réanimation à J2, J3 et J4 ; 1 décédé à J2 ; 1 qui est sorti de l'hôpital (décision du patient) à J3 et un arrêt de traitement pour évènement indésirable (nausée) à J3. Il n’en est pas tenu compte comme « échecs » dans l’évaluation, comme cela est la règle dans ce genre d’analyse comme par exemple dans les traitements du VIH. En revanche, dans le groupe non traité, 11 personnes sur 16 ont été prélevées et 5 ne l'ont pas été et sont comptées comme positives ! Et dans le groupe traité, un participant n'a pas été prélevé et 19 l'ont été, et le patient non prélevé a été compté comme négatif. Une analyse destinée à favoriser le groupe traitement…
Si on exclut les patients non prélevés, on doit comparer alors 2/11 versus 13/19 (p = 0,021) et dans l'hypothèse la pire, inverse de celle choisie par les auteurs (manquant = négatif chez les non traités et manquant = positif chez les traités), cela deviendrait 7/16 versus 13/20 (p = 0,313). On voit donc que cette étude, qui se veut préliminaire en testant un critère biologique (la négativation virale au septième jour), dessert un peu son objectif par des défauts méthodologiques regrettables.
Une étude assez proche vient d’être publiée par les Chinois [4] et n’objective pas d’efficacité de l’hydroxychloroquine (H) dans une étude randomisée incluant 30 sujets (tirage au sort 1/1) par rapport à un groupe témoin traité conventionnellement (T). Le critère de jugement était le même que pour l’équipe de Raoult (présence du virus au septième jour), mais la dose de H plus basse (400 mg/j pendant 5 jours). Dans les deux groupes, la négativation a été très forte, mais identique : 13/15 (86,7 %) cas dans le groupe H, mais 14/15 (93,3 %) dans le groupe T. Il n’y avait pas de différence significative non plus en ce qui concerne la durée d’hospitalisation, le nombre de jours moyen avant obtention de l’apyrexie (1 jour dans les deux groupes), la progression des images au scanner, les effets secondaires et, finalement, la guérison (100 % dans les deux groupes).
Certes, on peut remarquer que les doses ne sont pas les mêmes, mais dans cette étude qui a le mérite d’être plus fiable avec des groupes initialement comparables, il se confirme que la charge virale s’effondre spontanément au septième jour même sans traitement. Ceci n’exclut pas l’utilité d’une molécule telle que H pour éviter des complications retardées, mais, à l’évidence, cela justifie de le prouver par une étude rigoureuse.
Pour la pratique
Attendons avec intérêt le résultat des essais multicentriques testant l’hydroxychloroquine (et divers antiviraux) dans le COVID-19. La mobilisation actuelle fait penser qu’un effet nettement positif pourrait découler vite d’analyses intermédiaires.
En revanche, on peut regretter que l’agitation induite par l’étude marseillaise méthodologiquement imparfaite ait provoqué des effets néfastes (produit plus disponible pour des patients traités au long cours pour un lupus ou une pathologie rhumatismale, pharmaciens cambriolés…).
Faut-il insister sur l’importance de la rigueur scientifique et que le « trop vite » est l’ennemi du « bien » ?
Liens d’intérêts
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d'intérêt en rapport avec l’article.
Références
1. Jia Liu, Ruiyuan Cao, Mingyue Xu, Xi Wang, Hydroxychloroquine, a less toxic derivative of chloroquine, is effective in inhibiting SARS-CoV-2 infection in vitro. Cell Discovery 2020 ; 6 : 16. https://doi.org/10.1038/s41421-020-0156-0
2. Zhou D, Dai SM, Tong Q. COVID-19: a recommendation to examine the effect of hydroxychloroquine in preventing infection and progression. J Antimicrob Chemother. 2020 pii : dkaa114. doi: 10.1093/jac/dkaa114. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/32196083
3. Gautret, Lagier JC, Parola P, Hoang VT, et al. Hydroxychloroquine and azithromycin as a treatment of COVID-19: results of an open-label non-randomized clinical trial. Int J Antimicrob Agents 2020 Mar 20 : 105949. doi: 10.1016/j.ijantimicag.2020.105949. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/?term=10.1016%2Fj.ijantimicag.2020.105949
4. Chen Jun, Liu D, Liu L, Liu P, et al, A pilot study of hydroxychloroquine in treatment of patients with common coronavirus disease-19 (COVID-19). J Zhejiang Univ (Med Sci) 2020 ; 49(1). www.zjujournals.com/EN/abstract/abstract41137.shtml