6 novembre 2021 - La difficile communication scientifique en période de crise
Correspondance : Yves Gaudin
Institut de biologie intégrative de la cellule (I2BC), CEA, CNRS, Université Paris-Saclay, Gif-sur-Yvette, France
⇐ Retour au dossier "Actualités COVID-19"
Nous vivons dans un pays dans lequel la culture littéraire est survalorisée par rapport à la culture scientifique. Dans les dîners en ville comme dans les bars de quartier, on ne parle que très rarement de science et il peut même être valorisant d’y souligner sa médiocrité en mathématiques. La crise pandémique a mis en évidence l’inquiétante absence de socle de connaissances dans la population ainsi que l’ignorance générale de la démarche scientifique. Elle a aussi révélé l’impact de cette situation sur le développement des thèses qualifiées de complotistes.
Cette inculture scientifique se retrouve aussi dans le milieu médiatique. Si tous les journalistes se doivent d’avoir de solides connaissances en histoire, géographie, art et sciences politiques, s’ils ont parfois une compréhension honorable de l’économie et de la sociologie, force est de constater que très peu d’entre eux ont des compétences solides dans le domaine des sciences plus dures (même s’il existe quelques talentueuses exceptions). Cela pose évidemment un problème quand il faut parler avec nuance et recul du réchauffement climatique, des énergies décarbonées ou de la crise pandémique.
De fait, dans les médias les plus généralistes, la place réservée à la science est réduite. Bien sûr, on y retrouve chaque année quelques pages consacrées aux prix Nobel (surtout quand l’un d’entre eux a le bon goût d’être français), on y parle régulièrement de la station spatiale internationale (surtout quand Thomas Pesquet s’y trouve) et, pour des raisons obscures, on y a fait de Physarum polycephalum (le blob) l’organisme emblématique de la recherche française en biologie. On notera quand même que la presse écrite, avec ses doubles pages de vulgarisation ou ses cahiers des sciences, s’en sort plutôt mieux que la radio et la télévision et leurs formats imposés qui permettent peu l’exposé de la complexité d’une problématique.
L’inculture scientifique de la population se double d’une ignorance de la démarche scientifique. Ainsi, on a trop souvent entendu l’antienne « les scientifiques ne sont pas d’accord entre eux » alors que la démarche scientifique, s’appuyant sur l’énoncé de conjectures réfutables, est indissociable de la controverse. Encore faut-il que cette controverse se déroule entre personnes suffisamment éduquées, i.e. suffisamment informées des tenants et des aboutissants de la question et comprenant les techniques utilisées (et leurs limites) pour y répondre. Elle ne peut donc avoir lieu sur les plateaux de télévision.
Il n’est donc pas surprenant que cette crise ait révélé une incompréhension profonde entre le monde des médias et celui de la recherche qui a conduit à de nombreuses frustrations des deux côtés mais aussi, parfois, à une mise en accusation de la science et des pratiques scientifiques.
Pourtant, la pandémie aurait pu être une formidable opportunité de jeter un peu de lumière sur la recherche (qu’elle soit fondamentale, médicale ou appliquée) et sur la façon dont elle est menée. Cela n’a pas été le cas et les confusions entre science (le socle des connaissances) et recherche (les pratiques visant à consolider ou agrandir ce socle), entre science et technologie, entre science et médecine ont été omniprésentes.
L’absence d’expertise dans les médias a souvent engendré la mise en avant d’aspects anecdotiques. À titre d’exemple, on mentionnera l’histoire largement reprise de ce lycéen de Tarbes touché trois fois en onze mois par la Covid-19 ou bien le très grand nombre de symptômes rares associés à la Covid-19 qui ont fait l’objet d’articles ou de reportages. Ainsi, l’expérience individuelle a souvent été mise en avant au détriment de l’approche statistique et populationnelle. Sur ce point, une autre antienne « les chiffres, on leur fait dire ce qu’on veut » a elle aussi fait des ravages.
Dans ce contexte, pour l’expert scientifique, expliquer – parfois en moins d’une minute – des notions complexes devient un exercice de haute voltige. Un des risques majeurs est celui d’une trop grande simplification du message avec le recours à des analogies plus ou moins fondées. Du coup, il n’est pas si étonnant que la compréhension par la population de ce qu’est un virus ne se soit pas vraiment améliorée durant ces 18 mois de crise.
Néanmoins, il serait trop facile d’accuser uniquement les médias. Dans un contexte généralisé de « chasse à l’expert », les milieux scientifiques et médicaux n’ont pas été irréprochables : les expertises de tout un chacun sont devenues floues et se sont étendues à des domaines plus ou moins connexes de son champ habituel de compétences. Pourtant, être scientifique ou médecin ne garantit pas une expertise solide en virologie ou en épidémiologie. De même, être virologue fondamental ne donne aucune compétence particulière concernant la prise en charge des malades dans les services de réanimation. Cette confusion a souvent fait que des thèses qui relevaient de la simple opinion (parfois à peine plus fondée que celle du profane) ont été énoncées avec le ton d’autorité de l’expert et ont favorisé l’émergence du doute vis-à-vis de la parole scientifique. Et ceci, d’autant plus que notre communauté n’a pas toujours su résister aux effets d’annonce dont les médias sont très friands. En de multiples occasions, on a proclamé l’identification de molécules efficaces contre l’infection sur la base de simples résultats obtenus en culture cellulaire. Pourtant, tout virologue sait la difficulté de confirmer in vivo l’action antivirale d’une molécule mise en évidence in vitro. Un peu plus d’humilité et de modestie auraient certainement été bienvenues sur ces sujets.
On notera aussi que la publication de presque 200 000 articles « scientifiques » sur la Covid-19 (référencés dans PubMed) en un peu plus de 18 mois n’est pas le fait des médias mais celui de notre communauté. On peut légitimement considérer que c’est l’indice d’une dérive et se demander si tous ces articles méritaient réellement qu’on passe du temps à les écrire. D’ailleurs, parmi tant de manuscrits, est-il encore possible d’extraire de l’information fiable et de distinguer les véritables pépites ? Si on cherche à rester un peu positif, cette crise aura au moins eu le mérite de mettre en évidence le comportement prédateur de certains éditeurs. Elle aura aussi révélé les limites du libre accès aux publications et des sites permettant la mise en ligne des preprints. D’une part, la lecture d’un article scientifique et l’évaluation de son intérêt demandent une éducation et une culture qui sont largement absentes dans la population. D’autre part, la mise à disposition de manuscrits, parfois farfelus, non encore validés par les pairs a fait des ravages et, une fois encore, a permis la propagation de thèses extravagantes.
Par ailleurs, dans cette crise, les biais cognitifs ont joué un rôle important. Dans la population, on mentionnera entre autres le biais de surconfiance (dit aussi effet Dunning-Kruger) qui a fait que, durant cette crise, en France, il y a eu bientôt plus de virologues experts que de sélectionneurs de l’équipe nationale de football (au nombre de 50 millions comme chacun sait). La communauté scientifique n’a pas été épargnée. Ainsi le biais d’engagement, qui consiste à énoncer une thèse et continuer à la soutenir même quand les faits et les résultats expérimentaux vont à son encontre, s’est souvent retrouvé associé au biais de supériorité. Tous ces biais, surtout quand ils sont détectés chez les autres, peuvent faire sourire. C’est oublier qu’ils rendent inaudible le discours logique et rationnel.
En conclusion, la pandémie de la Covid-19 a souligné la difficulté de la communication scientifique en période de crise à l’ère des réseaux sociaux et de la post-vérité. Elle a montré la nécessité de renforcer la culture scientifique dans la population afin d’éviter que ne se répandent des idées délétères. L’éducation dans le domaine devrait se poursuivre pendant toute la vie, bien après la sortie du système scolaire ou universitaire. Les scientifiques peuvent y contribuer activement à travers les opérations portes ouvertes dans les laboratoires, les bars des sciences ou les articles de vulgarisation. On peut aussi espérer que les milieux de la recherche et des médias auront appris à mieux se connaître et que la relation, nécessaire mais difficile, entre chercheurs et journalistes s’en trouvera améliorée. Il n’est néanmoins pas exclu qu’on oublie rapidement les leçons de cette crise lorsque la vie retrouvera son cours normal et que les scientifiques, redevenus inutiles, ne seront plus invités sur les plateaux.
Liens d’intérêts
L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet éditorial.