30 mars 2020 - Un essai clinique testant le tocilizumab (anti-interleukine 6) débute en Italie
Correspondance : Philippe Casassus
PU-PH émérite de Thérapeutique, Université Sorbonne-Paris Nord
Mots clés : COVID-19 ; tocilizumab ; essai clinique [COVID-19 ; tocilizumab ; clinical trial]
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Introduction
Il existe plusieurs phases dans le COVID-19. Dans la première, existe une prolifération du virus où les « pointes de sa couronne » lui permettent de pénétrer dans les cellules de l’organisme. Bien sûr, l’usage d’un antiviral dans cette phase serait logiquement utile : l’essai Discovery en teste quelques-uns. Mais on sait maintenant que le virus n’est en général plus présent au bout d’une semaine, ce qui d’ailleurs diminue la portée de l’étude marseillaise, alors que la maladie peut s’aggraver à ce stade et entraîner le décès. On sait maintenant que c’est dû, en dehors de l’aggravation de comorbidités chez certains malades, à des réactions cytokininiques qui peuvent être délétères. C’est pour cela que dans Discovery un bras teste l’interféron bêta. C’est aussi le parti pris dans un essai italien testant un anti-IL6 avec le concours des Laboratoires Roche.
L’étude
L’interleukine 6 (IL-6) est l’un des médiateurs de l’inflammation qui suit la réponse immunitaire contre le virus dans les alvéoles pulmonaires. Le « choc cytokinique » engendre des dommages importants sur le parenchyme pulmonaire, avec une maladie interstitielle qui réduit significativement la fonction respiratoire. Une analyse chinoise des premiers cas montre qu’il existe une corrélation entre l’élévation des taux sériques de l’IL-6 (ainsi que du récepteur de l’IL-2, mais pas des principaux autres médiateurs) et la gravité de l’évolution [1]. Une deuxième étude [2] le confirme en montrant que, sur une série de 69 malades dont 5 sont décédés, ceux-ci étaient tous dans le groupe ayant une saturation en oxygène inférieure à 90 % et présentaient également un taux augmenté d’IL-6 et de la CRP.
Une étude chinoise [1] aurait montré des bénéfices cliniques et des modifications des biomarqueurs dans une étude de cas menée sur 21 patients chinois atteints d’une pneumonie sévère liée à COVID-19. C’est la raison pour laquelle l’agence italienne des médicaments (AIFA) a décidé de lancer un essai (de phase II) évaluant l’efficacité et la tolérance du tocilizumab, un anticorps monoclonal recombinant humanisé dirigé contre l’IL-6 (fourni par les Laboratoires Roche). Le critère de jugement principal est la mortalité à 1 mois.
Il y aura en fait deux parties dans cette étude. La première – véritable phase II – doit inclure 330 malades graves, hospitalisés pour une pneumonie liée au COVID 19 avec un retentissement respiratoire, voire intubés, mais depuis moins de 24 heures Son but est de vérifier la réduction de la mortalité à 1 mois.
La deuxième est une étude de cohorte observationnelle – à géométrie variable selon les résultats du premier groupe et l’évolution de la pandémie – et sera donc plus « pragmatique », proposant le même traitement chez des sujets non incluables dans l’étude princeps parce que plus graves (intubés depuis plus de 24 heures), ou ayant déjà reçu auparavant un traitement du même genre.
Le protocole prévoit l’administration intraveineuse (IV) de 8 mg/kg jusqu’à un maximum de 800 mg par dose, posologie autorisée par la FDA lors des traitements du « choc cytokinique » après les traitements par CAR-T cells en hématologie. Une deuxième dose peut être administrée après 12 heures si la fonction respiratoire n’est pas rétablie. Mais il faut en connaître l’éventuel risque de choc anaphylactique grave qui peut survenir après une deuxième perfusion ou davantage, d’autant que l’usage des corticoïdes n’est pas recommandé.
Cette étude peut éclairer la communauté scientifique sur l’intérêt de médicaments pouvant contrôler la phase cytokinique. Bien sûr, il ne s’agit que d’une phase II donc non comparative. Les laboratoires Roche ont de leur côté obtenu l’accord de la FDA (Food and Drug Administration – le pendant américain de notre Agence du médicament) pour lancer une étude internationale, de phase III cette fois, testant leur médicament dans la même indication sur également 330 patients. De même, les Laboratoires Sanofi et Regeneron vont lancer un autre essai de phase III testant une molécule proche, le sarilumab (Kevzara®), qui est un anticorps monoclonal dirigé, lui, contre un récepteur de l’IL-6.
Pour la pratique
Les caractéristiques particulières de l’infection par ce coronavirus font que le développement d’études testant d’autres pistes que la seule activité antivirale paraît pertinent. Elles partent de premières observations qui les justifient. Les Italiens étant dans une situation particulièrement alarmante ont opté pour une étude de phase II, donc plus « observationnelle ». Espérons que les études comparatives permettront sans trop tarder d’apporter des réponses objectives.
Liens d’intérêts
L'auteur déclare n’avoir aucun lien d'intérêt en rapport avec l’article.
Références
1. Chen L, Liu HG, Liu W, et al. [Analysis of clinical features of 29 patients with 2019 novel coronavirus pneumonia]. Zhonghua Jie He He Hu Xi Za Zhi 2020 ; 43 (3) : 203‑8. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/32164089
2. Wang Z, Yang B, Li Q, Wen L, Zhang R. Clinical features of 69 cases with coronavirus diseases 2019 in Wuhan, China. Clin Infect Dis, 2020 Mar, pii: ciaa272. doi: 10.1093/cid/ciaa272. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/32176772