29 octobre 2020 - L’approche « One Health » à l’épreuve de la Covid-19
Correspondance : François Meurens
Professeur Viro-Immunologie, Inrae, Oniris, Bioepar, 44300 Nantes, France
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La pandémie causée par le Severe Acute Respiratory Syndrome Coronavirus 2 (SARS-CoV-2) fera date dans l’histoire de l’humanité avec des conséquences économiques, sociales et sanitaires de premier ordre. Parti de Chine fin 2019, ce betacoronavirus émergent a rapidement diffusé vers les autres continents en empruntant les grands couloirs d’une mondialisation effrénée. À ce jour, le bilan humain dépasse 1 million de victimes [1] et il est fort probable qu’il s’alourdisse dans les mois à venir avec le retour des frimas hivernaux sur l’hémisphère nord et les regroupements qui en découlent inévitablement. La crise du SARS-CoV-2 a, comme beaucoup de crises, mis en exergue la nécessité de mettre en œuvre des approches holistiques telles que celle prônée par le concept « One Health » [2-4]. En effet, il est maintenant clair que le virus a une origine animale avec l’identification de coronavirus phylogénétiquement proches chez des chauves-souris asiatiques du genre Rhinolophus et plus particulièrement l’espèce Rhinolophus affinis [5, 6]. Ainsi la séquence nucléotidique de la souche RaTG13, isolée chez une de ces chauves-souris en 2013 dans la province du Yunnan, est à 96,3 % identique à celle du SARS-CoV-2 et celle du RmYNO2 est même encore plus proche dans certaines zones du génome. Par contre, RaTG13 et RmYNO2 divergent nettement du SARS-CoV-2 au niveau de la séquence nucléotidique du gène codant la protéine S. Cela a pour conséquences des différences importantes de séquences en acides aminés pour la protéine S dans son ensemble, le receptor binding domain (RBD) de la sous-unité S1 et la zone se situant à proximité du site S2’ de clivage entre virus analysés. En ce qui concerne le ou les potentiels hôtes intermédiaires, les pangolins – et plus particulièrement Manis javinaca – ont beaucoup fait parler d’eux [7]. Ces petits mammifères extrêmement braconnés et vulnérables sont les hôtes de nombreux coronavirus dont un, ressemblant au SARS-CoV-2, a montré un motif RBD de la sous-unité S1 quasi identique à celui du coronavirus sévissant dans les populations humaines. Le génome de ce coronavirus de pangolins, Pan-CoV-GD, isolé dans la province de Guangdong était à 91,2 % identique à celui du SARS-CoV-2. Les motifs RBD du SARS-CoV-2 et du Pan-CoV présentaient 97,4 % d’identité en ce qui concerne la séquence en acides aminés. Encore plus intéressant était le fait que les 6 acides aminés critiques du RBD et leurs positions étaient identiques à ceux du SARS-CoV-2. Ainsi le Pan-CoV-GD et le SARS-CoV-2 montrent des RBDs fonctionnellement identiques. Une telle proximité en termes de séquences et fonctions n’a par contre pas pu être mise en évidence avec les coronavirus de chauves-souris préalablement mentionnés, le RaTG13 et le RmYNO2. Les pangolins présentent ainsi un coronavirus proche de celui du SARS-CoV-2 et de manière générale sont comme les chauves-souris des hôtes importants pour cette famille virale bien présente dans le monde animal. Cela étant dit, nous n’avons pas actuellement de preuve irréfutable (nous n’en aurons d’ailleurs peut-être jamais) du potentiel rôle d’hôte intermédiaire du pangolin même si pangolins et chauves-souris peuvent partager de mêmes niches écologiques [7] favorisant le passage de virus d’une espèce à l’autre. D’autres hôtes intermédiaires potentiels pourraient aussi faire parler d’eux en plus du pangolin (civette masquée, Paguma larvata et chien viverrin, Nyctereutes procyonoides, entre autres).
L’origine du SARS-CoV-2 étant animale, nous avons donc affaire à un agent zoonotique. Dès lors, la gestion de la crise SARS-CoV-2 aurait dû impliquer plus largement tous les professionnels de la santé animale, humaine et même, plus largement, des écosystèmes. Cela n’a pas été assez le cas en France contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres pays. En Allemagne, par exemple, le Dr Lothar H. Wieler du Robert Koch Institut qui a été formé à la médecine vétérinaire à l’université Ludwig-Maximilians de Munich et à l’Université libre de Berlin, a efficacement géré la crise sanitaire mettant l’Allemagne dans une situation plus confortable que celle des pays voisins. Toujours en Allemagne mais également en Belgique, au Pays-Bas, en Italie, en Espagne, au Canada et dans d’autres pays, les laboratoires vétérinaires (diagnostic et recherche, public et privé) ont rapidement été sollicités pour participer à l’effort diagnostic et à la recherche sur le SARS-CoV-2. Le constat d’une plus grande étanchéité entre disciplines de la santé en France que dans d’autres pays est donc manifeste. Cette « séparation » disciplinaire peut paraître bien surprenante dans un pays dont la très glorieuse histoire scientifique est jalonnée d’avancées scientifiques majeures réalisées par des scientifiques complets qui passaient allègrement des agents pathogènes animaux aux agents pathogènes humains, de la recherche sur le ver à soie à l’étude la fermentation des vins d’Arbois... Les noms de Louis Pasteur, Jean-Baptiste Auguste Chauveau, Gaston Ramon, Alexandre Yersin, Louis Thuillier, et j’en passe, nous sont familiers. Ces biologistes, vétérinaires et médecins appréhendaient le monde de la microbiologie de façon large et sautaient joyeusement d’une discipline à l’autre. Ces pionniers faisaient déjà vivre le concept One Health avant sa formalisation au début des années 2000 dans le monde anglo-saxon suite aux travaux du Dr Brinster et des docteurs Doherty, un vétérinaire, et Zinkernagel. Le Dr Brinster (université de Pennsylvanie, USA) a été à l’origine de travaux majeurs dans les années 1960 sur le transfert d’embryons et les Docteurs Doherty et Zinkernagel ont reçu le prix Nobel de médecine 1996 pour de remarquables travaux en immunologie sur le complexe majeur d'histocompatibilité.
Dès lors, comment expliquer la gestion très administrative et médico-médicale de la crise de la Covid-19 en France ? Plusieurs hypothèses peuvent être avancées. Une des plus pertinentes me semble-t-il est l’éclatement des santés animale et humaine entre de trop nombreux ministères qui n’ont pas assez coutume de travailler ensemble. La santé animale est ainsi présente sur le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation qui, historiquement, s’occupait plus particulièrement des animaux d’élevage et du monde végétal (en oubliant parfois encore un peu les animaux de compagnie), le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (animaux de laboratoire), le ministère de la Transition écologique (faune sauvage, biodiversité et écosystèmes) et même le ministère de l’Intérieur (animaux de cirque). La santé humaine est quant à elle concentrée sur le ministère des Solidarités et de la Santé. Ne serait-il pas opportun d’avoir une représentation transversale, interministérielle, de l’animal et de sa santé, envisagée globalement pouvant œuvrer de concert avec son pendant humain ? Certains parlementaires dont le député des Alpes-Maritimes, Loïc Dombreval, y travaillent. Un autre écueil réside dans la formation de nos professionnels de la santé. En effet, les écoles vétérinaires depuis leurs origines sont séparées des facultés de médecine humaine sauf lors des soutenances de thèse de fin d’études vétérinaires où le président de jury doit obligatoirement être issu d’une faculté de médecine humaine. Cette interaction, tardive, limitée et non réciproque, est révélatrice d’une certaine hiérarchisation des médecines. La séparation des médecines n’est certes pas propre à la France mais dans plusieurs pays, dont la Belgique et le Danemark entre autres, un rapprochement des écoles ou facultés vétérinaires avec leurs homologues de médecine humaine a été entrepris il y a de nombreuses années déjà. La structuration de l’enseignement « des médecines » et plus généralement des sciences du vivant en France ne facilite pas la mise en place d’une approche globale de la santé. Il y a un réel besoin d’échanges entre les facultés et les écoles sous forme de cours communs de premier et deuxième cycles et d’échanges d’enseignants. En ce qui concerne la recherche, il est aussi nécessaire de décloisonner et de mettre sur pied de véritables unités de recherche mixtes à l’instar de ce qui a été fait par exemple à l’université de Liège en Belgique avec le Centre interdisciplinaire de recherche biomédicale (GIGA) qui a été et est encore très investi dans la lutte contre la Covid-19 avec de beaux succès. S’ajoute ensuite le millefeuilles administratif français et ses règles toujours plus nombreuses qui rendent urgent la simplification administrative prônée déjà depuis plusieurs années. L’implication des laboratoires départementaux vétérinaires dans la mise en place des tests de diagnostic et de dépistage de la Covid-19 a été lente en raison de trop nombreux verrous et de longues procédures. Cela est d’autant plus regrettable que les nombreux laboratoires vétérinaires français, habitués à travailler efficacement avec les équipes des CHU pour certains (voir le témoignage du Pr Astrid Vabret, qui dirige un laboratoire spécialisé dans l’étude des coronavirus, sur son excellente collaboration avec le Labéo Frank Duncombe) [8], sont plus à même de gérer de grands nombres d’échantillons par PCR et autres approches diagnostiques. Dès le mois d’avril, les laboratoires vétérinaires ont été autorisés à analyser des échantillons humains (les laboratoires vétérinaires n’ayant en situation normale pas le droit de réaliser les analyses microbiologiques sur des prélèvements humains depuis la loi du 30 mai 2013 portant sur la réforme de la biologie médicale dans le respect des dispositions du code de la Santé publique – articles L. 6211-18 et L. 6211-19). Toutefois, la validation des résultats a toujours dépendu de biologistes médicaux de médecine humaine contrairement à ce qui se fait dans certains pays voisins. Notre organisation scientifique et éducationnelle (instituts, grandes écoles, agences, universités…) est très complexe et parfois difficilement lisible pour nos partenaires internationaux. Une simplification et une adaptation aux enjeux actuels seraient, au-delà de l’unique recherche de bonnes positions dans les classements internationaux de Shanghai et autres, certainement aptes à mieux nous préparer à la gestion des crises de demain.
Un autre aspect à considérer dans cette crise de la Covid-19 est le versant préventif de la gestion des crises sanitaires affectant l’homme encore insuffisamment développé. Ainsi, si la situation dégradée des hôpitaux français et le besoin de nouveaux investissements matériels et humains ont été bien évoqués pendant la crise, l’anticipation et la prévention des émergences virales potentiellement dramatiques l’ont été beaucoup moins. N’est-il pas tout aussi important d’avoir des écologues, vétérinaires et médecins sur le terrain aux quatre coins du monde pour monitorer les populations virales dans les espèces réservoirs que d’avoir des lits et respirateurs en nombre suffisant dans nos hôpitaux ? Une collaboration large entre toutes les disciplines de la santé animale, humaine et végétale apparaît absolument indispensable pour identifier et traiter les futures émergences. Une approche holistique de la santé n’a pas pour but de remplacer les approches disciplinaires strictes qui resteront nécessaires mais de les compléter et de les transcender. Le vétérinaire, habitué à travailler avec les coronavirus de nos espèces domestiques peut aider le médecin humain à mieux connaître cette famille virale dont les membres affectant l’homme étaient pour la plupart assez anecdotiques jusqu’à présent à l’exception des SARS-CoV et Middle East respiratory syndrome CoV (MERS-CoV) dont l’impact a été heureusement assez limité. Cela permettrait, entre autres, de ne plus entendre certains infectiologues ou des ultracrépidariens de service annoncer sur les ondes que des vaccins contre des coronavirus n’ont jamais été développés en effrayant encore un peu plus les populations en attente de la solution vaccinale. Le SARS-CoV-2, virus zoonotique venant des chiroptères avec un passage vraisemblable chez un ou plusieurs hôtes intermédiaires après des épisodes de recombinaison génétique, n’a pas eu à ce jour d’impact important en santé animale à l’exception notable des fermes à vison où sa circulation s’est accompagnée de conséquences sanitaires et économiques importantes [9]. Il est maintenant crucial de mieux comprendre les sauts entre espèces du virus et les mécanismes contrôlant son adaptation à certaines espèces cibles. Le virus, n’ayant cure de la sectorisation par espèce, s’est montré capable d’infecter plusieurs espèces animales dont les félins comme le chat domestique (Felis silvestris catus, expérimentalement et naturellement), le furet (Mustela putorius furo, expérimentalement), le vison (Neovison vison, naturellement), le chien viverrin (Nyctereutes procyonoides, expérimentalement), le hamster doré (Mesocricetus auratus, expérimentalement), quelques chiroptères, petits mammifères arboricoles et des primates (expérimentalement) avec pour certains d’entre eux des signes cliniques clairs [10-13]. Il convient maintenant d’éviter que le virus n’acquière un ou des réservoirs animaux stables rendant les efforts de maîtrise de l’infection humaine encore plus complexes. Pour ce faire, il est crucial que tous les acteurs de la santé travaillent ensemble en bonne intelligence en disposant de ressources matérielles et humaines adaptées. Une autre histoire concernant les coronavirus du monde animal, bien connue des vétérinaires prend une résonnance particulière dans la crise de la Covid-19… C’est celle du virus de la gastro-entérite transmissible du porc (Transmissible gastro-enteritis virus, TGEV), probablement issu du coronavirus canin (Canine Coronavirus, CCoV), qui consécutivement à une perte de séquence génétique affectant le gène de la protéine Spike est passé d’un tropisme digestif à un tropisme respiratoire transformant une maladie grave en une affection peu sévère. Suite à la diffusion massive du virus respiratoire, une vaccination naturelle contre la forme digestive est survenue dans les populations porcines [4, 14, 15].
Rappelons-nous collectivement de scientifiques et inventeurs majeurs comme Léonardo da Vinci au xvie siècle, chers à nos cœurs des deux côtés des Alpes et dans le reste du monde qui avait su si bien allier de nombreuses disciplines, de l’animal à l’homme en passant par des machines diverses et variées. Réinvestir dans le secteur de la santé humaine est important. Revaloriser la recherche en préservant nos écosystèmes l’est tout autant, si ce n’est plus, car comme le dit l’adage, ne vaut-il pas mieux prévenir que guérir ?
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Références
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2. Meurens F. Lutte contre le coronavirus : mais où sont passés les vétérinaires ? Available online: http://theconversation.com/lutte-contre-le-coronavirus-mais-ou-sont-passes-les-veterinaires-137279 (accessed on Sep 26, 2020).
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