14 avril 2020 - Impact du COVID-19 sur nos organisations de soins
Correspondance : Guillaume Bonnaud
Président du sCREGG, Clinique Ambroise Paré, 387 route de Saint Simon, 31000 Toulouse
⇐ Retour au dossier "Actualités COVID-19"
Introduction
L'augmentation rapide du nombre de nouveaux cas de COVID-19 en France, principalement dans les régions Est et Ile-de-France, a conduit le gouvernement à décider du confinement de la population le 17 mars 2020, limitant fortement toutes les activités publiques, en particulier les rassemblements, et à recommander de rester chez soi sauf pour les activités urgentes et nécessaires aux fonctions vitales comme s’alimenter et faire un exercice physique minimum. Au-delà de limiter le déplacement des patients et afin de prioriser les ressources médicales à la prise en charge de la « vague COVID+ » redoutée, ordre a été donné aux praticiens notamment les hépato-gastroentérologues (HGE) de ne prendre en charge que les urgences. Ce même message a été répercuté à la population par les médias. De telles décisions ont forcé les médecins à s’adapter rapidement en restructurant l’organisation des soins. Les médecins ont aussitôt souligné la nécessité de prendre en charge les patients souffrant de maladies hors COVID par des procédures dégradées dans le contexte afin de limiter les « dégâts collatéraux de la guerre contre le SRAS-Cov-2 ».
Organisation des soins hospitaliers
Dans un délai très court, les structures hospitalières publiques et privées ont dû organiser des circuits dédiés à la prise des patients COVID-19, prenant en compte l’intensité de l’épidémie au niveau régional et la nécessité de réorienter des praticiens et personnels soignants vers les malades infectés. Plusieurs stratégies ont été mises en place afin de maintenir la qualité des soins en hépato-gastroentérologie dans un tel contexte :
– Toute activité élective de soins endoscopiques et chirurgicaux a été reportée. Seuls les cas urgents ou ceux dont le report entraînerait un risque de perte de chance (oncologie digestive) ont été maintenus. Une adaptation organisationnelle des unités d’endoscopie a été nécessaire compte tenu de la contagiosité importante pour les soignants et patients par aérosolisation et transmission fécale du SRAS-CoV-2.
– Dans les unités de perfusions et de recherche clinique, les malades ont été contactés avant leur venue pour détecter les cas potentiels de COVID-19 et des règles de distanciation entre les patients ont été mises en place [2].
– Une activité hors COVID-19 pour les maladies digestives aiguës (complication des cancers, pancréatite, angiocholite, poussées de MICI…) a été maintenue.
– Une évaluation a été réalisée à l’entrée de la structure de soin pour prendre la température corporelle et chercher les signes d’infection par COVID-19, puis pour fournir au patient un équipement de protection individuelle (EPI) avec port de masque dans la structure.
– L’équipement de toute l'équipe de soins en EPI a été réalisé selon les recommandations de l'OMS pour éviter toute contamination [1].
Organisation de la prise en charge en ambulatoire
Le confinement a aussitôt conduit à modifier la prise en charge pour les consultations programmées ou urgentes. Ainsi, la plupart des consultations programmées ont été basculées en téléconsultations y compris certaines consultations d’urgence afin de mieux sélectionner qui voir en consultation physique. Dans une étude récente réalisée chez les malades atteints de MICI en dehors du contexte du COVID-19, il était estimé que seuls 1,3 % des rendez-vous nécessitaient une évaluation en consultation traditionnelle [3]. Les outils sont désormais nombreux avec des facilités de transmission sécurisée de documents entre soignants et patients. Ce lien thérapeutique, associé à une attitude holistique dans la prise en charge, est capital en période de confinement où les malades se trouvent plus isolés que jamais.
Organiser une communication proactive et réactive vers les patients
Dans ce contexte, les malades ont plus que jamais besoin d'être orientés et rassurés. Beaucoup craignent de venir en structure hospitalière au risque d’y être contaminés et renoncent de fait à leur prise en charge. Les nombreuses rumeurs et fausses informations circulant notamment sur les réseaux sociaux viennent nourrir ces inquiétudes. C’est pourquoi il est important de diffuser des informations scientifiquement valides (sociétés savantes SNFGE, SFED, GETAID… et associations de patients comme l’AFA).
Il faut clarifier les modalités d’assistance pour répondre aux patients par téléphone par messagerie sécurisée (stop aux mails hors RGPD !), ou newsletters par e-mail. Le déploiement de logiciels capables de sélectionner des groupes de patients selon leurs risques permettrait de leur envoyer des messages personnalisés par messageries sécurisées. Il est également important de profiter du temps imposé par le confinement pour inciter les patients à utiliser les outils digitaux d’accompagnement thérapeutique qui existent déjà dans le domaine des MICI ou du syndrome de l’intestin irritable.
Organisation des entreprises libérales
Il est nécessaire tout d’abord de rappeler que c’est collectivement, quel que soit le secteur d’activité public ou privé ou de statut salarié ou libéral, que les HGE pourront assumer leurs responsabilités. La coopération public-privé est apparue sous son meilleur jour avec la crise actuelle, faisant naitre de nouvelles organisations territoriales de soins, équilibrées selon des missions, des compétences et des tâches.
Il faut également insister sur l’impact néfaste du COVID-19 sur le secteur privé pour les praticiens libéraux dont l’activité a été profondément désorganisée, car très mal adaptée aux possibilités de télétravail. Aussi, en raison de la baisse majeure d’activité, les effectifs d’assistantes et de secrétaires ont dû être réduits. Actuellement, nombre de cabinets fonctionnent de manière dégradée pour ne pas dire chaotique, ce qui est de nature à augmenter le risque de perte de chances des patients.
Et demain…
En conclusion, la pandémie de COVID-19 a un impact majeur sur la vie quotidienne de tout un chacun, des patients comme des professionnels de la santé. Les HGE ont dû très rapidement adapter les priorités et les stratégies de soins pour garantir la qualité des soins et limiter les pertes de chance. La collaboration et la communication entre les professionnels de la santé en équipe et les patients est plus fondamentale que jamais. La prise en charge des maladies digestives dans ce contexte doit être maintenue en privilégiant de nouvelles technologies de connexion à distance.
La crise COVID-19 ne doit pas faire oublier les réformes engagées et indispensables dans le domaine de la médecine de proximité, de la prévention, de l’éducation thérapeutique et de la délégation des tâches. Enfin, l’essor de la télémédecine au cours de ces dernières semaines est une chance pour modifier profondément nos pratiques de manière à moins déplacer les patients et adapter leur prise en charge. De la même manière, la réorganisation d’activités au sein des équipes de soin pour favoriser le télétravail quand il est possible passera par la diffusion d’outils connectés, à condition qu’ils soient sécurisés et soutenus par les institutions.
Take home messages
Considérer le contexte actuel comme une opportunité pour réformer, adapter nos pratiques dans l’intérêt des patients.
Maintenir le lien essentiel pour continuer à soigner les maladies digestives hors COVID-19 sans exposer les patients et les soignants à un risque d'infection.
Poursuivre la prise en charge de maladies digestives et nécessitant une hospitalisation.
Favoriser la télémédecine en basculant la plupart des consultations programmées.
Liens d’intérêts
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.
Références
1. World Health Organization. Q&A on Coronaviruses [COVID-19]. 2020. https://www.who.int/news-room/q-a-detail/q-a-coronaviruses. Accessed March 10, 2020.
2. Fiorino G, Allocca M, Furfaro F, et al. Inflammatory Bowel Disease Care in the COVID-19 Pandemic Era: The Humanitas, Milan, Experience. J Crohns Colitis. 2020 Mar 24. pii : jjaa058. doi : 10.1093/ecco-jcc/jjaa058. [Epub ahead of print]. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/32211765
3. Ruf B, Jenkinson P, Armour D, Fraser M, Watson AJ. Videoconference clinics improve efficiency of inflammatory bowel disease care in a remote and rural setting. J Telemed Telecare. 2019 Jun 5:1357633X19849280. doi : 10.1177/1357633X19849280. [Epub ahead of print] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/?term=Videoconference+clinics+improve+efficiency+of+inflammatory+bowel+disease+care+in+a+remote+and+rural+setting