11 mai 2020 – Le virus, le monde et moi – Suite
Correspondance : Mathilde Fournial
Médecin généraliste. Un pseudonyme est utilisé pour respecter le total anonymat des patients
Mots clés : confinement, COVID-19, médecine générale
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17 mars 2020 – Temps de guerre
Quel drôle de temps ! Dehors enfin les températures s’adoucissent, les nuages s’estompent, et aux arbres les bourgeons fleurissent. Et dedans ? Dedans, les gens se confinent et s’enferment, se cloîtrent. Les réactions sont étonnantes, mais aussi, comment ne pas s’étonner d’une chose qu’on n’a jamais vécue ? Le matin en allant au travail je me sens l’âme d’un fantassin, partant au combat. Après tout, Il nous a parlé de guerre. Je me sens aussi presque chanceuse : moi j’ai le droit de sortir ! et demain je me ferai une joie d’aller en visite à domicile de l’autre côté de Montaud, à pied, très lentement, en respirant l’air de la fin de journée.
Ce soir en partant du cabinet des idées incongrues me viennent à l’esprit. Tandis que je marche quasi seule dans la rue, dans le silence apaisant d’une ville morte, une voiture de la police municipale rôde. Puis trois flics en moto. Je me demande à quel moment ils vont me demander mon autorisation de sortie, mais j’ai mon talisman, tadam ! caducée ! 330 € de cotisation au controversé Conseil de l’Ordre finalement pas trop mal placés. Il faut donc une pandémie mondiale pour la justifier… Dans ma caboche, je râle d’avance contre ces pervenches qui me demanderont mon passe magique, et me dis qu’il faudrait presque un brassard bien visible pour pas qu’on m’ennuie. Un brassard… ben oui ! Tiens… Un brassard « Service Sanitaire » par exemple, un brassard SS. Terrible écho.
La situation me donne l’impression de revivre des temps de guerre, et pourtant, je n’en ai jamais vécu. On se rend compte alors de la richesse de sa vie d’antan, d’antan d’il y a une semaine encore. Ces sorties avec des amis, ces cinés, ces conférences. Les bières, les rires, les soirées à refaire le monde, les frites grasses de la Friterie, cuisinées par Momo et servies par Louise. Les lectures au parc, le théâtre avec les copains. Les virées dans le Pilat et les longues heures à traîner à la librairie et toucher tous les livres. Les embrassades entre potes, juste pour se dire bonjour. Toucher, toucher les gens, tout le temps.
Et au travail, toucher les gens, et se dire « mince, cette main sur l’épaule, pour adoucir sa peine, calmer son angoisse, lui dire qu’on est deux humains, c’est un vecteur du Virus, il faut pas ! » L’ambiance au cabinet aussi a bien changé. La secrétaire est partie en télétravail. Elle ne fait plus le café chaud du matin, et on ne râle plus ensemble sur les demandes bizarres de patients. Les chaises sont espacées dans la salle d’attente, qui est vide d’ailleurs, les malades viennent au compte-gouttes. Certains n’ont manifestement pas saisi les enjeux. Une dame de 80 ans vient me voir pour un problème de douleur aux pieds depuis un an. D’autres n’ont retenu que les messages alarmistes et ne dorment plus depuis une semaine parce que leur gorge les gratte. Aujourd’hui je prescris à deux personnes un anxiolytique, car ils pètent littéralement un câble.
Le Virus agit comme un révélateur. Dans les familles, les fragiles équilibres sont bousculés, les non-dits explosent et les vieilles rancœurs ressurgissent. Pour d’autres c’est l’inquiétude pour les siens qui envahit et dénature tout. Un climat de tension est là, tapi dans l’ombre, prêt à faire tout chavirer. Les rayons des magasins se vident en un rien de temps, les masques sont volés dans les hôpitaux. Les grands oubliés seront sûrement les SDF, les migrants, les fous et les alcoolos, les drogués, les cas soc’. Qu’advient-il d’eux en ce moment ? Le service minimum des acteurs du médico-social suffira-t-il ? Ce seront comme toujours les plus faibles du troupeau qui seront laissés de côté. Le pangolin et le reste des espèces en voie de disparition ont bien pensé la chose, finalement.
Et puis à côté de ça, de jolis effets. Des chaînes de solidarité, des entraides entre voisins. Des messages de soutien. On me propose des petits plats, des masques périmés, des masques cousus main, des mercis à tout va. On m’appelle pour savoir si je vais bien. Il y a aussi une émulation formidable au sein de la communauté des MG enseignants et chercheurs. Certains patients, ceux sous alprazolam, me disent qu’ils ne savent pas comment je fais pour « prendre ce risque ». Je les regarde avec des yeux ronds, mais en fait, vivre seule n’a jamais été aussi confortable : je rentre chez moi avec mon nouveau compagnon le Virus, prends quelques précautions bien sûr, lessive, douche et changement, mais, bon, ça va quoi. Peut-être le confinement sera long, car paradoxalement, après avoir vu des patients toute la journée, la solitude de l’appartement n’est pas réconfortante, mais au moins je suis seule avec toi, Virus, et je ne m’en fais pas.
18 mars – Résister
Et le soleil se leva sur J3
J’ouvre les yeux une heure avant le réveil. Mon cerveau est en état d’alerte permanent, je me sens fébrile, pas parce que je vis avec toi, Virus, mais parce que le flot d’informations te concernant me submerge, les injonctions paradoxales me déstabilisent, et finalement, je m’inquiète un peu. Pour mes proches, pour mes moins proches, mes connaissances et mes collègues, pour ma sœur infirmière en unité fermée de psychiatrie, sans masque, pour ma cousine assistante sociale, sans masque. Je m’inquiète aussi pour tous mes patients, les fragiles et ceux qui ne le sont pas. Les tout seuls. L’approche du pic épidémique me fait l’effet d’un bord de falaise ; j’ai le vertige.
Ce matin alors, après un café dont je n’avais pas besoin pour m’exciter plus, je pars au cabinet. De là-bas j’appelle un à un mes patients. Si je ne peux pas poser une main sur leur épaule, je peux au moins leur glisser quelques mots, et leur dire que je suis là. J’ai demandé à mes amis, mes merveilleux amis, leur aide : sont-ils d’accord pour apporter courses et médicaments à ceux que je me refuse à voir sortir ? Ils ont dit oui, bien sûr, puisqu’ils sont merveilleux ! La machine se met en branle, et le réseau s’active. Répartition des patients, explication des règles strictes d’hygiène. Catherine, qui vit seule, et a des poumons très fragiles, peu de moyens pour payer les livraisons, est plus que ravie que Benjamin puisse l’aider. Jeanne, qui a 85 ans et un mari insuffisant cardiaque très sévère, je la gronde gentiment, parce qu’elle va faire quelques courses tout de même. J’use de mon statut de médecin, et renfile ma blouse paternaliste, du haut de mes 31 ans : « Non Jeanne, je vous interdis de sortir ! Timothé viendra vous apporter le nécessaire ». Je me retrouve en plein centre-ville à redevenir le médecin de campagne, et cela me galvanise.
Quelques heures plus tard
Ce soir, la tension se fait physiquement sentir. D’une oreille j’entends des histoires de patients abandonnés par leurs aides à domicile apeurés, par des soignants qui craignent pour leur santé et celle de leur famille. De l’autre j’écoute les demandes de ceux qui sont contraints de travailler, dans l’alimentaire, les plateformes téléphoniques, à l’école, que sais-je… et à qui je fais des arrêts de travail de 14 jours à la moindre pharyngite. Comment savoir ?
En fin de journée, après avoir pourtant vu bien moins de patients que d’ordinaire, je suis épuisée, lessivée. L’adaptation permanente, les changements quotidiens de pratiques, le fait d’avancer à l’aveuglette, la crainte de se tromper, tout est éreintant. Mon cerveau est comme un ensemble de petits cubes vides le matin, qui au fil de la journée se remplissent de mélasse, ou de lessive, et ça mousse, et ça mousse, et ça déborde, et ça dégouline, et arrivé 20 h je me noie dans un verre d’eau.
Ce soir, j’ai senti ce que tu ferais de pire, Virus : tu sèmeras la zizanie. Ce soir j’ai appelé le 15 pour ma patiente, que j’ai vue à domicile (que j’ai vue bien sûr dans les règles d’asepsie et d’hygiène, en faisant léviter sac et stéthoscope, et mon stylo magique a rédigé seul mon courrier et apposé ma signature). Ma patiente, elle ne rentre dans aucune des cases. Elle a 71 ans et non 80. Elle est diabétique, mais n’a plus d’insuline. Elle a une cirrhose, mais seulement en stade A. Elle a une valve cardiaque qui fout un peu l’camp, mais pas d’insuffisance cardiaque ou respiratoire. M’enfin, y a pas besoin d’être docteur pour voir que c’est quelqu’un de fragile. Voilà huit jours qu’elle présente une pharyngite. Bon. Puis une toux fébrile. Bon. Il y a deux jours l’auscultation n’est pas belle, on dirait presque le diablotin qui fait des bulles dans les cubes de mon cerveau remplis d’eau savonneuse. Mais ma patiente respire correctement. Temporisation, surveillance et vigilance. Et ce soir c’est moins bien. Elle cherche son air, on dirait un dauphin sorti de l’eau qui ouvre grand la gueule pour choper un peu d’oxygène. Elle est épuisée. Et moi, inquiète. La saturation est bonne, mais pour combien de temps ? J’appelle donc le collègue du 15, je veux un conseil, et surtout l’état des lits à l’hôpital. Le collègue m’envoie bouler, me responsabilise, c’est moi le médecin face à la patiente c’est à moi de décider, puis me remet en question, avec une saturation à 99 % vous voulez l’hospitaliser, vraiment ? et enfin me culpabilise, vous savez que c’est mettre en danger un patient que de l’hospitaliser sans raison valable. Voilà Virus, voilà ce que tu fais. Ce collègue est probablement submergé d’appels, et perd patience, et se retourne contre moi. Tu nous empêches de communiquer calmement, Virus. Tu vas effilocher notre patience, tu vas user notre endurance.
Ce soir, j’essaie de me concentrer sur de jolies images. Je pense à ces amis qui souhaitent organiser du soutien scolaire aux enfants de Beaubrun, pour que, Virus, tu ne creuses pas plus les inégalités que tu ne le fais. Je revois ce pigeon (j’aimerais dire colombe, mais il faut regarder les choses en face, c’est un pigeon), qui niche dans un des cerisiers de la rue, laissé pour une fois tranquille par l’absence de circulation. Je réentends les voix, les blagues, l’humour que fait naître cette situation. Parce que ça, Virus, faut-il que tu me fasses tousser à étouffer, tu ne l’auras pas, mon rire !
19 mars – Une goutte d’eau
Alors qu’aujourd’hui je n’ai pas travaillé, non sans un tenace sentiment de culpabilité, la boule d’angoisse s’est installée ce soir. Est-ce la tension retombée des derniers jours ? Est-ce de me retrouver seule avec toi, Virus ? Mais ne pas travailler c’est aussi avoir le temps de lire ma centaine de mails en retard, traîner sur les réseaux sociaux, parcourir les témoignages postés sur une discussion de médecins. Sortir faire enfin ses courses et prendre la température ambiante : les regards se font méfiants, les pas pressés. La vendeuse surveille à l’entrée la friction rituelle des mains. C’est faire la liste des symptômes évocateurs et des tableaux cliniques, et repenser à chaque patient vu depuis deux semaines : me suis-je trompée ?
Les descriptions de cas graves s’accumulent. Le décompte des lits de réanimation qui restent a commencé. Les chiffres de Santé Publique France tombent et m’assomment : 112 morts aujourd’hui, la moitié des patients en réanimation qui ont moins de 60 ans. Le vertige revient. Je suis sonnée, et lentement le nœud se serre dans la gorge, à mesure que je réalise la gravité des choses. On me les a répétées pourtant, je les ai lues, entendues, j’en avais conscience, enfin je le croyais. Mais je ne mesurais pas encore l’étendue de mon impuissance.
Comment dès lors rassurer ceux qui accourent la peur au ventre ? Comment dénouer leur angoisse quand ma propre gorge est serrée, ma respiration retenue ?
Comment les soigner, comment ? Qu’aurai-je d’autre que mes deux mains, un peu de Ventoline et mon appel au 15 le moment venu ?
Comment choisir, comment prioriser, comment, ô terrible mot, trier ?
Quelques larmes accompagnent le ruissellement de la douche, et même là, nue et savonnée, tu t’insinues dans mes pensées, Virus : si ça se trouve t’es même dans l’eau de mes larmes, putain. L’angoisse cède ainsi la place à la colère, et si la première est tétanisante, la seconde me remet les idées en place. Je ferai comme d’habitude, je n’aurai pas moins ou plus de moyen, j’aurai les mêmes moyens. J’écouterai, j’accompagnerai, je soulagerai. Je ne suis ni Dieu ni l’un de ses acolytes, je suis une goutte d’eau parmi toutes celles de ma douche, je ne suis pas toute puissante, mais je ne suis pas impuissante.
Allez, à demain Virus. Demain je sens que je serai très en colère, tu verras.
20 mars – Revirement
Alors Virus, qu’est-ce que tu as fait de beau aujourd’hui ? Combien t’en a tué ? Quel score pour le 20 mars ? Et les laissés-pour-compte, de combien de kilomètres virtuels les as-tu encore éloignés des autres, de nous, de moi ?
Tandis que j’écris, j’écoute d’une oreille distraite les rumeurs de la ville. La nuit est tombée, et de mon sixième étage je surplombe les toits d’immeuble. La pénombre est douce et brillent comme des étoiles les fenêtres des foyers. Un enfant appelle à tue-tête une femme, « Madame ! Maaaaaadame ! », puis agite son castanet, « Tac tac tac tac ! ». En bas dans la rue, montent les bruits d’une dispute, ou plutôt la voix d’une femme qui raconte ce qui lui est arrivé, avec force d’insulte et de rage. Passe en courant une punk à chien, avec son chien. Les familles confinées au chaud, les cas soc’ qui errent. À 20 h les gens applaudissent les infirmiers et les médecins dans ma rue. Je ne peux m’empêcher d’être émue, et en même temps, comme Il dit, je suis révoltée qu’on n’applaudisse que les soignants, et pas les caissiers, les éboueurs, les camionneurs, les agriculteurs, les gens qui bossent à la centrale électrique, les travailleurs sociaux, les aides à domicile, les aides-soignants, tous.
Cet après-midi je suis tombée comme une mouche dans un profond sommeil. Je voulais profiter du beau temps pour planter des tomates et des fleurs sur mon balcon, et travailler un peu, lire, écrire, mais la fatigue m’a assommée. Je me réveille en sursaut, j’ai oublié d’appeler Matthieu ! Matthieu est confiné à domicile, avec ses clopes, son alcool, sa jambe bringuebalante depuis qu’il s’est pris, bourré, un tramway dans la tronche, sa neuropathie alcoolique, et ses cinquante tatouages. Matthieu a 31 ans, comme moi. Et j’aimerais bien qu’il ne sorte pas trop, avec ses poumons à moitié fonctionnels. On discute donc de son approvisionnement en alcool, il ne s’agirait pas de faire un syndrome de sevrage et de voir des éléphants roses maintenant, surtout que Matthieu vit seul, et l’éléphant rose finirait par lui marcher dessus et l’écraser. Alors que faire ? Benjamin, toujours aussi merveilleux, est d’accord pour lui faire ses courses, mais l’objectif est de limiter le passage à une fois par semaine. Matthieu en a conscience, et non, il reste à sa dose, il n’a pas augmenté, l’angoisse ne l’a pas gagné, d’ailleurs il a même regardé le film Contagion, tellement il est zen. Donc Benjamin lui apportera ses sept bouteilles de vodka hebdomadaires, et il n’augmentera pas sa consommation. La tournure que prend mon métier me laisse perplexe, tandis que mes collègues intubent, réaniment et sauvent des vies.
J’ai consulté ce matin à la PASS au CHU, en binôme avec Zaza. Géorgiens, tchétchènes, bulgares, guinéens, maliens, se sont succédés. Chez eux pas d’angoisse, pas de panique, en tout cas rien d’apparent. La tête est peut-être déjà trop pleine des traumatismes divers et variés, entre ce jeune de 16 ans passé par la Libye, dont le père est décédé on ne sait pas trop comment au Mali, et qui n’a aucune nouvelle de sa mère depuis un an ; ou ce Géorgien qui s’est fait péter la mâchoire à la barre à mine, électrocuter, et vient parce qu’il a mal au crâne. Je me replonge dans le soin, dans ma mission première, même si j’ai bien conscience que gérer ton arrivée, Virus, c’est aussi ma mission. J’apprends à dire douleur en russe, bol’no, et un peu, chu chu. Certes les consultations ont été adaptées, pour réduire le nombre de gens en salle d’attente, les soignants portent des masques, certains patients aussi, mais la vie ne tourne pas autour de toi, Virus, au contraire la vie continue de tourner. Et je retouche les patients, je remets ma main sur leur épaule, et ça me fait un bien fou.
21 mars – Le printemps
Aujourd’hui c’était le printemps. Alors je ne voulais pas écrire sur toi, Virus ; j’ai essayé de ne pas trop penser à toi. Mais voilà, ton nom est partout, et le monde qui ne tournait déjà pas bien rond, tourne autour de toi à toute berzingue. Difficile d’y échapper.
Je n’ai jamais pris autant de douches, ni fait autant de lessives, et pourtant je pue : je pue la peur. Le temps s’est suspendu, les soignants se sont organisés, et nous attendons. Le calme avant la tempête, tous le répètent. C’est cette fébrilité, ce trépignement, cette incertitude de ne pas savoir à quoi s’attendre, au contraire redouter que cela se passe comme ailleurs, qui me fait puer la peur.
Après la garde, où les heures se sont égrainées au même rythme que les patients, je suis allée courir dans les bois. J’ai tenté d’effacer l’image de Johanna, 20 ans, qui est arrivée dans mon bureau suante, haletante, palpitante, et les poumons aussi pleins qu’un œuf. Est-elle intubée à l’heure où j’écris ? J’ai tenté d’écarter son image, et de me laisser envahir par d’autres tableaux plus apaisants : les forsythias en fleurs, des moutons noirs dans un champ, une mésange à une branche, des vaches laitières en rang d’oignon. Un agriculteur descend de son tracteur après avoir déposé des kilos et des kilos de paille. Ici rien n’a changé. Je me demande simplement si le propriétaire de ces cinquante poules trouve preneur pour tous ses œufs. Et je repense aux poumons remplis comme un œuf de Johanna.
22 mars – C’est une maison jaune adossée au Pilat
« Moi, je vis d'amour et de danse
Je vis comme si j'étais en vacances
Je vis comme si j'étais éternelle
Comme si les nouvelles étaient sans problèmes… »
Une journée… pour moi. Rien que pour moi. Dans ta face, Virus ! Une journée qui a démarré pourtant dans les brumes et le ciel laiteux de Saint-Étienne. Je te mens peut-être un peu, Virus, parce qu’en fait, quand j’y pense, j’ai débuté la journée par un grand mug de café devant un article long comme un jour sans pain qui ne parlait que de toi. Mais après, juré, plus rien qui te concernait ! Ah si, quand même un passage au cabinet pour paramétrer à contrecœur le logiciel de téléconsultation. Ah, et aussi une petite vingtaine de mails… et puis des mails pas très réjouissants. On n’y parlait pas forcément de toi directement, mais de la profession, de ses brusques changements, de comment on la maltraite et la piétine, des traces indélébiles que laissera ton passage dans l’organisation de la médecine ambulatoire. Le spectre de cette téléconsultation rôde au-dessus des cabinets de médecine générale. La contagion l’impose un peu partout, à la va-vite, et les dérives des plateformes industrielles se profilent déjà à l’horizon.
Non mais non ! Tu n’as pas occupé tout l’espace, Virus, ce n’est pas vrai. Magali m’a appelée, on a longuement discuté de son travail, réalisé depuis la maison, de professeur de lettres dans le secondaire. Elle aussi, elle a appelé tous ses élèves un par un. Et Magali, qui souvent rayonne, m’a une nouvelle fois montré le déploiement de ses ondes positives : l’école s’en trouvera changée, et changée vers le bien. Quelle douceur que cette voix amicale, chargée de soleil, et qui disperse les nuages. Un peu plus tôt j’avais enfoncé mes doigts dans la terre des pots de fleurs, pour y piquer de la marjolaine et des capucines. Qu’y a-t-il de plus jolis que ces noms de plantes ? Marjolaine et capucine. J’ai ressorti des placards les vieilles boîtes à chaussure remplies de peinture, crayons, pastels et fusains. Sur le balcon aux murs blancs, je me suis installée à la table. Le vert des plantes et le carrelage en damier bleu me transportent presqu’en Grèce, en vacances.
Et j’ai dessiné la maison de mes rêves. Elle est petite, juste ce qu’il faut. La pierre jaune et chaude du Pilat s’est couverte d’une glycine dont les grappes mauves piquent la façade. La porte bleue est entrouverte, les volets laissent passer la chaleur dans la pénombre d’un intérieur silencieux. Une bouteille, deux verres et un livre ont été abandonnés sur la table ronde, dans la cour. La porte de l’atelier est grande ouverte, et manifestement on était en train de réparer un truc en métal, là-dedans. On ne les voit pas, mais des oiseaux piaillent dans le cerisier. À l’intérieur il y a sûrement une grande bibliothèque, une guitare, un accordéon, des fauteuils un peu défoncés mais tellement confortables, du bazar un peu partout, un opinel qui traîne à côté d’un reste de pain aux olives… et un peu plus loin une grande table en bois, pour accueillir les copains, tous les copains, plein de copains à la fois, qui s’embrasseront et boiront tous dans les mêmes verres sans crainte, simplement heureux de partager ce moment, et leurs inoffensifs microbes. Dans ta face, Virus.
23 mars – « Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants »
J’ai le dégoût d’écrire ce soir. L’annonce ministérielle de renforcement du confinement, avec limitation des déplacements pour raison médicale, me donne la nausée. Voilà, c’est officiellement dit, mon travail c’est du flan. Seules pourront se déplacer les suspicions de COVID, et puis les raisons graves, comme par exemple la dialyse, et uniquement sur convocation du médecin. Il faudra que je fasse comment, alors, pour Daniel, 62 ans, à qui l’on vient de découvrir un cancer invasif de la vessie ? Eh bien que diable, qu’il continue de vivre dans la folie ambiante avec sa petite tumeur, qui tout doucement pousse dans son ventre, dont tout le monde se fout bien, parce qu’on a d’autres chats à fouetter, et puis surtout, surtout, qu’il ne vienne surtout pas pleurer dans mon bureau parce que, misère, à lui seul il risquerait de décimer le pays ! Ou alors, quoi, je lui envoie une invitation personnalisée, sur papier à lettres fleuri ? On se fout de qui, là ? Qui va dépister les strabismes des nourrissons ? Qui va vacciner ? Qui va diagnostiquer les phlébites, les cystites, les ulcères, les hypertensions, les troubles du rythme, les anémies ? Qui va panser les anxiétés, les alcoolismes, les deuils, les chagrins, les burn-out ? T’es fortiche quand même, Virus, grâce à toi il semble qu’il n’y ait plus ni infarctus, ni cancer, ni AVC, ni suicide. Est-ce qu’on ne devrait pas te garder avec nous, Virus ?
Plus tôt, cet après-midi, je m’interrogeais sur le message d’une amie urgentiste. « Première limitation de soin, l’heure est venue de choisir ». Il s’agissait d’un homme de 83 ans. Oui il est mort. Oui c’est terrible, c’est une mort brutale, douloureuse et pas prévue. Mais est-ce vraiment une mort inattendue ? Quatre-vingts et trois ans de vie, la mort est-elle inattendue ? N’y-a-t-il pas là un déni de la mort, qui ne ferait pas partie de la vie ? Ne refuse-t-on pas cette dernière étape, pourtant naturelle, après huit décennies ? À 83 ans, est-ce injuste de mourir ? Et suis-je en train déjà de devenir un monstre de dureté ? Le confinement et la chappe d’angoisse qui m’assomme et m’empoisse ont-ils déjà raison de mon humanité ?
Pourtant, aujourd’hui, ça avait bien commencé. Je m’étais bêtement réjouie, au milieu de fastidieuses et fatigantes téléconsultations, d’avoir vu ce matin ce bébé de trois mois, si rose, si rond, qui gazouillait et me fixait sans ciller, moi l’étrange animal sans bouche, mi-peau mi-tissu. J’y avais vu un signe, une douceur, un apaisement. La vie qui continue et s’impose, se fraye un chemin dans les méandres d’un agenda médical bouleversé.
Je vais me coucher. Trou noir. Qu’arrive vite la tempête, pour qu’ensuite les enfants jouent dans les flaques en riant.
24 mars – Marche ou crève
Je pensais être plus forte, plus costaude. Moins tendue. Moins triste. Je pensais moins pleurnicher, moins manquer de ceux que j’aime. Être une femme solide et indépendante. Le moral fait les montagnes russes, et faut bien reconnaître que le wagon est plus souvent en bas du looping. Je sens autour de moi la lassitude grandissante de mes collègues. Pourtant le chemin qu’il reste à parcourir est long, et la difficile marche commence à peine.
Je ne sais plus qui croire, ni quoi penser. La journée, je la passe à rassurer les patients. Je réexplique calmement, je tente de remettre la perception du risque dans sa perspective individuelle. Le soir en rentrant je vois les chiffres, qui grossissent, deviennent des nombres, puis se changent en masses indénombrables. Je lis les témoignages de réanimateurs et urgentistes, le nombre d’intubations réalisées par jour. J’entends mes amis gériatres encaisser les limitations de soin sur le seul critère d’âge. J’apprends que des soignants sont en réa, ventilés, mourants. Suis-je à côté de mes pompes ? Dans mon cerveau les idées se battent en duel, mais il n’y a jamais personne qui gagne. Je rassure peut-être faussement mes patients, à tort, et ainsi je participe à la propagation du virus. Quelle est ma part de responsabilité dans tout ça ?
Il s’agissait encore aujourd’hui d’une étrange journée. Les téléconsultations ne fonctionnent pas et se transforment en appels téléphoniques sur mon portable. Et quand je téléphone, je fais des ronds dans la pièce comme un tigre au zoo. Peut-être qu’à la fin de l’épidémie il restera dans le parquet de mon bureau la trace de mes anxieux passages. Je fais encore des arrêts de travail qui me paraissent farfelus, d’autres moins. Une jeune femme présente plusieurs signes de Covid, je lui prescris quatorze jours d’arrêt : elle est caissière. Mais sa patronne lui a demandé si elle ne pouvait pas revenir au bout de huit jours. Sans fournir de masque. Ben oui tiens… brillante idée. J’inscris en noir sur blanc sur des ordonnances : « Couper la radio. Eteindre la télé. Ne pas ouvrir de pages Internet. Ne s’informer qu’une heure par jour, pas plus, et plutôt en fin de matinée ou début d’après-midi. Écouter des podcasts des Pieds sur terre, regarder des émissions sur la cuisine italienne, ou sur les oiseaux, ou bien sur les surfeurs en Australie ». Ça me fait sourire, ces ordonnances, et pourtant ce sont les meilleures que j’ai faites depuis quelques semaines.
Je ne trouve pas bien les mots ce soir. Je pense à ceux qui ont perdu un être cher. Je pense à leurs yeux qui se ferment sur un dernier rayon de lumière. Je pense à leurs rides au milieu du front qui se déplissent, à leurs mains de parchemin qui se desserrent. Je pense à tout ce qui a été accompli, ressenti et vécu, aux souvenirs importants, aux détails qui n’en sont pas. Je pense à leur vie remplie de joies et de peines, de combats du quotidien, de rires d’enfants, de verres brisés et de bouteilles qui les remplissent, de milliers de couchers de soleil et de milliers d’aurores. Je pense à leur âme, partie doucement ajouter une note à une symphonie de Mozart.
26 mars – Big Brother et ses acolytes
Pour la première fois depuis dix jours, hier, je me suis maquillée pour aller au travail. Oh, pas pour toi Virus ! Enfin pas contre toi non plus, hein. Ce n’est pas une ligne de cils passés au mascara qui va t’arrêter. Et puis après tout tu n’y peux rien, Virus. Tu n’es qu’un assemblage de protéines et de nucléotides, sans âme et sans volonté propre, et même si je te parle tous les jours, ça fait à peine de toi un être vivant. Des chercheurs de l’Illinois disent de toi et de tes congénères que vous êtes issus d’une cellule voici 2,45 milliards d’années. Je vis avec un vieillard. Loin d’être cacochyme, tu m’as l’air au contraire en pleine possession de tes moyens, quand je vois l’état des lits de réanimation aux hôpitaux civils de Lyon. Je ne t’en veux pas.
Ma colère vise ceux qui nous dirigent, et elle va grandissante. Hier un mail de la préfecture et du conseil de l’ordre de la Loire, mes deux instances préférées, nous interdisait de recevoir nos patients sauf « pathologies instables, aiguës ou chroniques ». Je reviens à Matthieu encore, mais, boire un litre de vodka par jour dilué dans un ou deux autres litres de bière, est-ce instable ? Après tout, il fait ça tous les jours. Les pestiférés ne sont pas que les covid+. Quel crâne de piaf a-t-il imaginé que la catastrophe sanitaire ne se jouait qu’au présent, dans l’immédiateté ? Ma colère va grandissante. Mais c’est surtout l’injonction à « envoyer par voie électronique une convocation pour le rendez-vous médical » qui m’a fait pleurer de rage. En haut de quelle tour d’ivoire vivent ces gens ? Abdel Kerim a appelé notre secrétaire aujourd’hui pour sa fille de 8 ans, malade : comment faire autrement que de les faire venir au cabinet, sans convocation ? Impossible de lui expliquer par téléphone qu’il doit surveiller Zohra et me rappeler dans deux jours. Abdel Kerim, du haut de son mètre vingt-quatre d’achondroplase, venu trouver ici des soins, parle français un peu, le lit un peu, a une OQTF au cul depuis six semaines, et devrait à l’heure qu’il est être dans un charter pour l’Algérie. Alors ça tu vois, Virus, bien joué, ah ah ! Ma colère va grandissante. Je lis ici qu’on félicite les Coréens d’avoir tracé grâce aux smartphones les déplacements des personnes covid+, pour ensuite dépister les sujets contacts. Enfin sujet, objet contact, devrait-on dire : à partir de quand de personne devient-on chiffre et statistique ? On réfléchit en haut lieu à appliquer cette stratégie en France. Quelles seront les séquelles de cette folie ambiante ? Ma colère va grandissante. Anne-Claire est inquiète d’avoir contracté le virus, car elle a vu sa maman quinze jours avant que celle-ci ne déclare la maladie. En grattant légèrement la couche superficielle d’inquiétude je découvre surtout un profond désespoir. Elle ne pourra pas être aux côtés de sa mère le moment venu. Des sanglots étranglent sa voix. Elle ne pourra pas être là, parce qu’il n’y a ni blouse, ni masque, ni lunettes de protection, rien, en quantité suffisante qui permette de protéger ceux qui veulent dire au revoir. Ma colère va grandissante.
Alors hier matin, comme un pied de nez, je me suis maquillée. C’est bête, c’est un détail futile, mais ma journée s’en est trouvée changée, comme si j’avais revêtu une armure qui me rende plus combattive.
Sur le sol du hall d’immeuble, je ramasse un citron échappé d’un sac de course, morceau d’or qui illumine la paume de ma main. Quelques mètres plus loin je lève les yeux : le gros pigeon est toujours dans son nid, on le voit à peine au milieu des fleurs du cerisier. Avec un peu de chance, ce confinement durera si longtemps que je verrai les œufs éclore et entendrai le chant des oisillons…
27 mars – La tête haute et le crâne à l’air
Plus que cinq lundis, peut-être, avant la fin de ce confinement. Depuis hier, je me sens plus calme. J’ai compris que peu de choses étaient en mon pouvoir, là, tout de suite. Angoisser et imaginer le pire étaient contre-productif, terrifiant, m’usait d’avance. Nous nous sommes organisés ; nous sommes prêts. Le pire arrivera peut-être, oui, ce sera terrible, oui, mais nous ferons du mieux que nous pourrons. La colère n’est pas oubliée, je la garde tapie dans un coin, prête à bondir dès que tout sera fini. Pour l’heure, je reprends le contrôle.
Et d’abord, je reprends le contrôle sur mon corps : je me rase la tête. La boule à z’, Virus. Tu t’en fiches, mais moi ça me fait un bien fou. Les patients ont tellement peur de toi qu’ils ne seront probablement pas inquiétés d’une médecin chauve, s’ils le remarquent. Ensuite, je reprends le contrôle de mes journées chômées : pas de soin certes, mais du travail de fac. Je relis des thèses, les corrige, appelle des internes, prépare leur soutenance. Ça me remplit la tête d’autres choses, qui jusque-là me paraissaient futiles, insensées, et qui maintenant, au contraire, me permettent de croire à un lendemain.
Il n’y a pas de douleur illégitime. Chacun de mes amis a mal, pour des raisons différentes mais quand même toujours un peu à cause de toi, Virus. Tu trempes dans toutes ces peines. Et chacun d’entre eux s’en veut de souffrir, en pensant à tous ceux « pour qui c’est pire ». Pourtant, il n’y a pas de douleur illégitime. Chaque larme qui coule en est une de moins qui gonfle leur cœur, et pour tous, j’aimerais être là pour les toucher, car leur chagrin me touche. Je vis suspendue à cette image heureuse des retrouvailles, à ces baisers, ces embrassades, qui agit comme un fil tendu vers demain, et qui me fait avancer, droite.
Et parce que je me sens mieux ce matin, je comprends que je ne dois pas culpabiliser de ne pas être tous les jours en poste. Pour soigner bien, il faut que j’aille bien. Cette vérité ne m’a jamais paru aussi limpide, tandis que ce matin j’ai la niaque, je suis prête à bouffer un lion, à gravir une montagne. Mes convictions se dressent en moi et me font relever la tête. L’ennemi ce n’est pas toi, Virus. C’est la Peur l’ennemie. Et toi la Peur, va crécher ailleurs, tu n’es pas la bienvenue sous mon toit.
28 mars – Se souvenir pour exister, donner, aimer
Se concentrer sur autre chose, garder la tête froide, penser aux petits bonheurs du quotidien. Sentir le soleil sur mes joues et l’air frais sur mon crâne. Ecrire ces petits bonheurs plutôt que le reste. Se souvenir de la sieste de septembre sous le cerisier, avec les copines, qui s’endormaient tranquillement pendant que je leur faisais la lecture de Sorcières à haute voix. Se rappeler l’ivresse des pintes aux reflets dorés sur la terrasse du Méliès, en plein après-midi, et des rires un peu gênés mais déjà complices. Revivre ce plaisir d’apprendre et d’échanger, sur les bancs de la fac de Montpellier, ou au bureau de Saint-Etienne les jeudi midi.
En sortant du travail cette semaine, je suis allée au monop’ faire quelques courses. Envie de manger quelque chose de gras, de sucré, de pas comme il faut et surtout, de pas comme Santé Publique France dit de faire. Je croise en chemin une famille bien connue des habitués du marché du samedi matin, un couple et deux enfants, qui mendient chaque week-end. Le père traîne une poussette vide à laquelle sont accrochés de multiples sacs plastiques plus ou moins remplis. L’enfant est dans les bras de sa mère. Un gamin à la mèche décolorée avec de l’eau oxygénée les accompagne. La dame me demande de la monnaie, que je n’ai pas. Elle insiste pour que je prenne quelque chose pour eux au supermarché : un saucisson et du pain. Finalement, après une discussion plus ou moins linéaire, où l’on ne se comprend pas toujours mais où l’essentiel transparait, elle vient avec moi au monop’. Notre équipée est regardée d’un œil méfiant par le vigile à l’entrée, mais comme elle m’accompagne et que j’ai une tête comme il faut (je n’ai pas encore la boule à z), il ne dit trop rien. Simplement un « faites attention avec vos enfants madame, faut pas les emmener partout comme ça ». Il n’a pas l’air de trop croire à ce qu’il dit cet apôtre, et se doute de la vérité, comment pourrait-elle faire autrement, alors qu’elle est censée se confiner dans un squat où doivent loger une quarantaine d’autres personnes. Nous parcourons les rayons tous les quatre. La dame ne s’arrête plus et me tend en souriant un paquet de pâtes, du pain sans gluten parce qu’il ne reste que ça, des tomates qui ne sont pas de saison, de la lessive, des pommes de terre, de la faisselle. David, le matru, me demande si on peut prendre ça, en me montrant six petits suisses au nesquick. Nous échangeons des regards entendus, la mère et moi, et j’ai pendant un instant l’impression d’être en famille en train de faire mes courses hebdomadaires. À la caisse je redistribue les paquets et les boîtes. La dame se presse, je crois qu’elle a un peu la trouille de se faire virer. Le vigile de l’entrée les regarde ne plus avoir assez de mains pour tout porter. Et, dans un moment de grâce, il décroche du présentoir un sac en papier et prend des mains de l’enfant les articles, les dépose dans le sac, lui tend le sac. La famille file en vitesse, tandis que je finis d’empaqueter mes propres commissions. Je m’aperçois qu’ils ont oublié au milieu des olives et du fromage le saucisson et ce foutu pain sans gluten.
Observer le rouge-gorge sur le muret. Écouter la musique le regard un peu perdu, sans penser à rien d’autre. Se souvenir des étés à Saint-Mandrier, du cri des mouettes, du sable dans les chaussures et des épaules qui cuisent, brûlées par le soleil. Penser à mamie Annie qui nous installait ma sœur et moi sur la table en plastique blanc du jardin, la petite pour les enfants, et nous servait dans des assiettes bleues où voguait un bateau des bouchées de pain tartinées généreusement de beurre, recouvertes d’un morceau de jambon.
Je cuisine des samoussas. Il faut d’abord préparer la farce, avec des échalotes, de l’ail, du bœuf haché et de la chair à saucisse. Je malaxe la viande à la main, j’en ai partout, ça colle et c’est froid. Ces sensations me transportent en décembre, quand on a « fait un cochon » dans les Monts du Lyonnais. Tu existais déjà, Virus, mais à l’époque tu ne faisais pas partie de mon monde. À l’époque je découvrais une bande de joyeux drilles qui gueulaient des chansons de Brassens dans une cave en préparant des saucissons. Le café-gnôle nous avait bien échauffés. Autour d’une table rectangulaire, des équipes s’étaient formées. Il y avait ceux qui pétrissaient de grosses boules de chair et les faisaient passer d’une main à l’autre, avec force, pour les tasser et faire disparaître les bulles d’air. Puis le grand Cyprien attrapait ces grosses boules et les lançait de toutes ses forces dans l’embosseuse, en s’essuyant les doigts sur son tablier plus très blanc. On appliquait un boyau, future peau d’sauc’, sur l’embout de l’embosseuse, et Daniel, celui qui avait le visage tanné par le soleil, tournait la manivelle : le boyau se remplissait de chair. À l’autre bout quelqu’un réceptionnait le saucisson, en veillant à ce que le fragile assemblage ne se déchire pas. Enfin les préposés aux ficelles nouaient le saucisson et le déposaient sur des chiffons humides. Toutes nos mains sales touchaient sans crainte cette nourriture, les verres de vin passaient de bouche en bouche, parfois un petit morceau de cochon tombait de la table sur le sol en terre battue puis retournait dans la bassine de chair à boule. Plus tard d’autres ateliers s’activaient : l’atelier gratton, où les filles faisaient fondre et frire dans une petite cage grillagée des morceaux de gras. L’atelier boudin, où une bande de garçons éméchés, sous un nuage épais de fumée de cigarettes, s’étaient appliqués sur les joues des peintures de guerre avec la flaque de sang rouge étalée sur la table. Nous étions quinze dans une cave humide et non aérée de sept mètres carrés, et nos miasmes se mélangeaient, en toute innocence, sans peur, savourant la fête d’être ensemble. Vivement le prochain cochon.
29 mars – La faille
Un vent de panique souffle sur moi ce soir, aussi fort que celui qui secoue dehors les branches de l’amandier et du bouleau. Demain, il faudra y retourner. Je ne veux pas, je ne veux pas. Je veux rester ici, à l’écart, à l’abri, je veux rester dans mon lit, et attendre que la tempête passe. Peut-être que si je t’attrapais, Virus, si tu m’infectais vraiment plutôt que vivre à côté de moi, peut-être que si moi aussi je ne sentais plus les odeurs, si moi aussi je voyais les chiffres du thermomètre s’afficher en rouge, peut-être que si à mon tour je ressentais cette oppression sur la poitrine, décrite avec la main ouverte sur le sternum, alors peut-être je pourrais rester en quarantaine, et échapper à tout ça. Ce soir je n’arrive à te laisser sur le seuil de ma maison, Peur. Tu t’empares de moi et serres ma gorge, je sens ton nœud coulant qui l’entoure, je sens les battements de mon cœur qui s’accélèrent. Je ne veux pas y retourner.
Pour essayer de me calmer, je me replonge dans les informations que j’ai collectées, les algorithmes, les descriptions cliniques, les recommandations. Je relis les protocoles de prise en charge de dyspnée aiguë, en quête d’un peu de certitude comme un camé à la recherche de sa dose. Pitié donnez-moi des cases, de jolies cases bien carrées qui me disent quoi faire. Mais je sais bien que rien n’aura d’angle, que les limites de toute chose seront floues et qu’il faudra prendre des décisions, plein de décisions, dans l’incertitude, sans savoir, sans être sûre. Il faudra paraître confiante et garder pour moi tout cela, être rassurante, montrer aux patients qu’ils peuvent compter sur leur médecin. L’organisation du cabinet me semble dérisoire. Le manque de pluriprofessionnalité dans notre fonctionnement est criant et me pèse. Le tri téléphonique effectué par le secrétaire m’inquiète. Il faut que demain je vérifie les dates de péremption de mes ampoules de morphine et de diazépam. Il faut que demain je rappelle ces patients seuls qui n’auront pas le réflexe de consulter. À côté de combien de pneumopathies vais-je passer en téléconsultant ? Et de toute façon, ces protocoles que je regarde, que je surligne et annote, quelle valeur ont-ils ? Des collègues ont critiqué les doses indiquées, d’autres ont au contraire validé les prescriptions. Qui croire, que croire, donnez-moi des cases…
La vague arrive, et je la regarde, depuis la plage. J’essaye d’enfoncer mes pieds bien profondément dans le sable pour m’y ancrer, ne pas être balayée. Demain j’y retournerai.
31 mars – Une routine dissonante
Un début de semaine comme un autre. Finalement, oui, un lundi presque comme les autres, un mardi pas tout à fait pareil que les autres, mais pas si différent.
Le matin dans la cuisine je retrouve mes collègues et d’un regard nous comprenons que nous sommes toutes ici la boule au ventre, dans la lumière triste du ciel enneigé. Eclat de rire complice et nerveux. Allez, au boulot. La journée défile à toute allure, les téléconsultations s’enchainent, ainsi que les coups de fil aux patients. Pour plusieurs d’entre eux je décide de les faire venir au cabinet, peut-être à tort. Mais Souleyman, qui est arrivé du Nigéria il n’y a pas un an, et moi, nous avons bien du mal à nous entendre par téléphone, et j’aimerais l’avoir en face de moi pour qu’on se comprenne, sinon tout ça ne rimera vraiment à rien.
Je suis épuisée, mais contrairement aux semaines précédentes, la fatigue est saine. Être dans l’action plutôt que dans l’attente, voilà de quoi endormir un peu mes peurs. Voilà aussi de quoi m’enlever les phrases du bout des doigts, quand le soir à 21 heures je rentre lessivée, en ayant laissé un petit bout de moi au cabinet. Il a fallu garder le sourire, être patiente, expliquer les mêmes choses vingt-cinq fois, de vingt-cinq manières différentes, parce que les vingt-cinq personnes à qui je m’adressais n’étaient pas pareilles. Ça ressemble à un lundi habituel parce que je cours partout, oublie de faire pipi, mais comme j’oublie de boire aussi, ce n’est pas très grave. Le lundi soir je me sens vidée, hors service, comme souvent, mais pas à cause de toi, Virus. Les problèmes de surcharge de travail n’ont pas démarré avec toi, faut croire.
Mais les consultations reprennent enfin un peu de sens. Tu n’es plus toujours au centre de la conversation, Virus. Parfois, il y a Yvonne, sous anticoagulant, qui s’est réveillée avec le sein et le bras gauche d’une jolie teinte violine rappelant les taches de vin sur la nappe, après y avoir déposé une couche absorbante de sel. À d’autres moments, il y a Lisa, qui a presque dix ans et les seins qui poussent, ça lui fait mal, et ça l’inquiète. Pour la rassurer sa mère lui a pris rendez-vous en téléconsultation. Se déroule cette étrange et dérangeante scène où une enfant se déshabille de l’autre côté d’un écran et me montre ses boutons mammaires naissants. Je me sens voyeuse. Ce métier prend vraiment une drôle de tournure. Pourtant, Virus, tu vois, la vie continue et les enfants grandissent. Je décide d’aller rendre visite à quelques patientes âgées qui ne peuvent pas se déplacer. Je prends les précautions nécessaires, bien sûr, mais je ne peux m’empêcher de culpabiliser. Suis-je le vecteur de la mort ? Est-ce que je te transporte partout avec moi, sous mes ongles, entre les fils de mon pull, le long de mes avant-bras ? Mes mains sont brûlées par les produits désinfectants, presqu’aussi rêches que celles d’un charpentier.
Je décide aussi de recevoir Daniel, que je n’avais toujours pas revu depuis que l’urologue lui avait annoncé qu’une tumeur se logeait dans sa vessie, et qu’il fallait lui enlever, les deux, tumeur et vessie. Daniel bute sur les mots, parce qu’il a aussi fait un AVC il y a moins d’un an. On parle technique, chimio et chirurgie, on parle moral, sommeil, et tabac. Il raconte que son compagnon est d’un grand soutien, et lui fait plein de gâteaux. On rigole ensemble, c’est marrant, ce décalage, et touchant. Je lui donne quelques masques pour qu’il sorte marcher trois fois par semaine. Il est ravi. Moi, je ne veux pas qu’il déprime, lui, il ne veut pas devenir gros.
2 avril – Maria
Vous aviez 87 ans, Maria, et six enfants. Vous aviez cette voix chaude et rocailleuse, un peu râpeuse, que j’aimais entendre. Quand j’arrivais chez vous c’est Jean, votre fils, qui m’ouvrait la porte. Il me saluait d’un regard où un œil dit merde à l’autre, et déversait sur moi ses mille inquiétudes. Jean n’est pas tout à fait comme tout le monde, avec son handicap mental. J’entrais ensuite dans le salon, où la télé toujours gueulait à fond, et vous étiez là, assise bien droite dans votre fauteuil, les mains croisées sur vos genoux serrés. Vous me disiez : « Ah bonjour, ça fait longtemps que je ne vous avais pas vue ! ça me fait plaisir ! », en roulant les mots, et cela même si je venais chaque mois, même si j’étais venue la veille. Faut dire que la maladie d’Alzheimer vous perdait un peu, mais n’enlevait pas votre sourire.
Ce matin à cinq heures, vous vous en êtes allée, Maria. Je ne sais pas si c’est à cause de toi Virus, et d’ailleurs aujourd’hui je n’ai même pas envie de te parler. Aujourd’hui je veux parler aux vivants, à Maria, qui bien que morte restera toujours si vivante dans ma tête.
Maria a été hospitalisée au troisième jour du confinement, pour une infection pulmonaire. Le prélèvement covid était négatif. Réalisé trop tôt ? Je m’en fous un peu. Au scanner on a découvert que son foie était plein de tumeurs. En discutant avec le médecin qui s’occupe d’elle à la clinique, nous décidons que je gérerais les explorations et cette prise en charge en ambulatoire. J’en discute avec une de ses filles, qui est d’accord. Maria est sortie dix jours plus tard et rentrée à la maison. Mardi, son infirmière m’appelle, car elle la trouve très fatiguée, même si ça va encore. Nous prévoyons une prise de sang et une visite à domicile le lendemain.
Quand j’arrive chez vous hier, Maria, il n’y a rien comme d’habitude. Enfin si, la télé hurle, Jean me saute dessus. Je lui demande de mettre une chaise en plastique à l’entrée pour que les soignants qui passent y posent leurs affaires contaminées et contaminantes. Mais dans le salon, votre fauteuil est vide. Vous êtes allongée sur le clic-clac, sous deux couvertures, les yeux fermés. À l’intérieur de moi, les signaux d’alerte se mettent à tourner à plein régime. Vous me répondez, vous ouvrez les yeux, mais vous avez froid, très froid. Votre tension n’est pas très haute, la température non plus. Votre saturation en oxygène pas si mal, pour vous qui souffrez d’un asthme sévère. Vous n’êtes pas essoufflée, mais vous vous plaignez de la tête. Vos poumons c’est le bazar, ça ronfle, ça siffle, mais à peine plus que d’habitude. Surtout votre bras gauche est comme mort : vous ne me serrez pas cette main, vous ne tenez pas le bras en l’air. Je vous examine assise sur le canapé, en soulevant les couvertures, ce qui vous fait râler un peu. Vous gardez les yeux fermés, c’est fatigant cette lumière, c’est fatigant ce monde qui tourne à l’envers. Je passe mes doigts sur vos deux bras et vous demande si vous sentez pareil des deux côtés, et vous Maria, vous me souriez yeux fermés et me dites « oh c’est bien ces caresses, j’aime bien ». Je ris malgré la sirène qui hurle dans ma tête.
S’ensuit toute une organisation à mettre en place : j’appelle votre fille, lui dis que je suis très inquiète, que vous risquez de mourir dans les jours à venir, qu’il faut décider entre un énième retour à l’hôpital, ou l’hôpital qui vienne à la maison. Je lui explique qu’entre l’infection ou l’AVC, ou une tumeur cérébrale qui saigne, je ne sais pas ce que vous avez Maria, mais je sais que vous allez mourir. Justine éclate en sanglots, s’en excuse, me demande un moment pour appeler ses frères.
De retour au cabinet j’essaie de gérer à la fois les consultations et cette organisation. J’obtiens un scanner en urgence, d’un radiologue compréhensif qui est d’accord pour vous recevoir, pas pour changer la prise en charge, mais pour que votre famille sache ce qui vous arrive, et moi aussi. Justine me rappelle : on va mettre en place l’hospitalisation à domicile. Formulaire, dossier, fax, appels. Je reviendrai ce soir. Au milieu de tout ça, j’essaie un peu de me concentrer lors des consultations, heureusement il y en a peu. Au milieu de tout ça, il y a des baumes sur mon petit cœur, comme ce sms d’un patient de longue date, inquiet pour moi, ou ce mail d’une famille qui a cousu des calots pour notre cabinet.
En parallèle l’infirmière d’une autre patiente, Claude, qui la surveille à domicile pour un très probable covid me dit que la situation se dégrade : Claude est tombée, désature, est fatiguée. Dix coups de fil plus tard avant d’avoir le bon interlocuteur, dans une scène digne d’une pièce de Ionesco, j’obtiens enfin l’ambulance covid. Il est 18 heures, j’allais repartir chez vous, Maria. Mais Claude ne répond pas au téléphone. Comme elle habite à cent mètres du cabinet je cours chez elle : que lui est-il arrivé, seule dans son appartement au dernier étage de son immeuble ? À l’interphone elle ne répond pas non plus ; un voisin m’ouvre. Sa porte habituellement jamais verrouillée est, bien sûr, fermée à double tour ce jour-là. C’est vraiment un 1er avril, le sort me fait des blagues, et vraiment, je n’ai pas d’humour. Je tambourine pendant des minutes qui me paraissent une éternité. Claude finit par m’ouvrir, chancelante. Je me retiens de lui passer un savon à la manière d’un parent qui gronde son matru. S’ensuit une longue négociation entre Claude, sa fille et moi pour qu’elle accepte l’hospitalisation. « Claude, vous seriez une vieille mémé en mauvaise forme, je ne vous casserais pas les pieds, mais vous êtes jeune, vous avez 77 ans, vous allez super bien, vous faites votre vie tranquillement ici avec Félix le chat, vous allez à la mer l’été avec votre fille, excusez-moi d’être vulgaire, mais ça serait vraiment trop con ! ». Au-dessus de son masque bleu, ses yeux clairs me fixent. Ça y est, elle cède. Ça tombe bien, car les ambulanciers sont là. Le cosmonaute lui prend la saturation, lui redonne un masque, me pose à nouveau les mille questions auxquelles j’ai mille fois répondu. Au moment de passer le pas de la porte, Claude étrangle un sanglot en me regardant. Je lis sur son visage la panique, la tristesse de laisser Félix le chat, la peur de ne jamais revenir. Je l’accompagne jusqu’au brancard je lui dis au revoir, à bientôt, à vite. Je ne sais pas trop si je suis en train de broder un mensonge.
Je repars en courant au cabinet. Votre infirmière, Maria, m’a appelée. La situation s’est dégradée : vous mourrez. Je chope au vol ma morphine et j’arrive. Moi qui comptais marcher dans le soleil du soir, je prends la voiture pour aller plus vite. J’ai l’impression de fermer un tiroir, le tiroir Claude, de clore le chapitre, et de rouvrir le vôtre, Maria. Je me demande en roulant si je suis insensible, ou simplement professionnelle, ou peut-être en survie.
Clémence, votre infirmière, et moi restons deux heures avec vous. Elle a appelé son mari pour le prévenir qu’elle rentrerait tard. Votre visage est bouffi par l’œdème, vos lèvres bleues, et vos joues parsemées de petits vaisseaux éclatés. Vous respirez rapidement, avec le ventre, et vos lèvres gonflées laissent passer l’air en ballotant. Vous avez froid. Nous appelons vos enfants, pour qu’ils viennent, vite. Justine s’excuse encore de pleurer au téléphone. C’est si brutal. Oui, tout va si vite. L’HAD ne pourra pas venir avant demain matin, médico-légalement ils n’ont pas le droit d’intervenir sans admission, et l’admission que j’ai faite l’après-midi n’est pas encore validée. Vos autres fils arrivent, ils sont trois à vos côtés. Les autres ne pourront pas venir, l’une est hospitalisée, deux sont greffés. Les hommes pleurent, sauf un, qui me dit que lui, il n’arrive jamais à pleurer.
Je concocte dans la cuisine un peu de bain de bouche dans un mug violet, en touillant la poudre de bicarbonate et l’eau, en écoutant Jean répéter des trucs pas très cohérents. Clémence vous injecte la morphine pour calmer votre respiration. Nous préparons ensemble une perfusion de morphine pour la nuit, de sérum salé parce que nous n’avons pas de glucosé, sur une épicrânienne, parce que nous n’avons pas de cathéter. Comment faire tenir la perfusion ? Il faut décrocher Marie et le petit Jésus au-dessus de votre lit pour faire tenir le flacon accroché au clou. Je demande quand même à vos fils s’ils sont d’accord, faudrait pas que vous mourriez sans Dieu et ses saints, vous qui êtes si croyante. Clémence me dit en riant que c’est vraiment de la médecine de guerre qu’on est en train de faire. C’est vrai, et je ris aussi, ça fait du bien de rire.
En partant Clémence et moi vous disons au revoir, à bientôt, à vite. Je sais que je brode un mensonge, Maria.
Je suis rentrée à la maison. En bas dans la rue j’aurais voulu prendre Clémence dans mes bras, pour se consoler un peu et la remercier, car finalement dans cette apocalypse familiale, j’ai le sentiment qu’ensemble nous avons fait ce que nous avons pu, du mieux possible, et j’ai la satisfaction du travail bien fait, de la mission accomplie. En me couchant j’avais froid, très froid, comme vous Maria. Emmitouflée dans mes couvertures je peinais à me réchauffer, et me suis endormie en pensant à votre beau sourire qui m’accueillait toujours.
Ce matin votre fils m’a appelée. Ce matin à cinq heures, vous vous en êtes allée, Maria.