8 avril 2020 - Macrolides et Covid-19 ou l’hypothèse d’un potentiel virucide d’une famille d’antibiotiques qui reste rigoureusement à démontrer…
Correspondance : Daniel Letonturier
Service de médecine gériatrique aiguë, unité Covid, hôpital gériatrique de l’Isle-Adam, Parmain, France
Mots clés : coronavirus, Covid-19, Mers-Cov, macrolides
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Les macrolides sont des antibiotiques à visée bactériostatique reconnus pour leur large spectre d’activité antibactérienne ciblant les souches à Gram positif et des espèces atypiques telles que les Legionella, Chlamydia et les mycoplasmes responsables d’infections respiratoires basses ou de pneumonies atypiques. En parallèle de leurs effets antibactériens directs, leurs effets anti-inflammatoires et modulateurs, à partir de la réponse immune de l’individu, ne sont plus à démontrer. Or, la morbidité et la mortalité causées par l’infection virale à coronavirus sont surtout engendrées par une sécrétion excessive de cytokines en relation directe avec un dérèglement aigu du système immunitaire de l’hôte. Face à diverses infections respiratoires virales, dont l’Influenza et le MERS (pour Middle-East respiratory syndrome), les macrolides (azithromycine, clarithromycine, érythromycine, fidaxomicine, télithromycine) ont été étudiés, afin d’examiner leurs propriétés :
– d’une part de régulation à la baisse des réponses d’emballement des immunités humorale et cellulaire,
– d’autre part de réduction des complications des infections pulmonaires virales.
Comme l’a montré l’équipe japonaise de Tran et al. [1] au sujet du virus de la grippe Influenza A, l’azithromycine a la faculté d’abolir l’activité endocytaire (ou le cycle de réplication) de ces virus en bloquant leur internalisation dans les cellules hôtes durant la phase précoce de l’infection ou de l’invasion virale. Cela n’a été démontré jusqu’à présent qu’in vitro et in vivo chez la souris, avec une extrapolation vers l’Influenza humain. Qu’en est-il du Coranavirus, autre virus enveloppé à développement intracellulaire épithélial bronchique ?
L’étude de Arabi et al. dans le contexte du MERS-Cov
Dans le contexte de l’épidémie à MERS Coronavirus qui a sévi dans le Moyen-Orient dans la période 2012-2018, l’étude saoudienne rétrospective de Arabi et al. [2] a examiné deux associations :
– entre l’utilisation d’un macrolide à visée thérapeutique et la mortalité toutes causes à 90 jours,
– entre ce traitement et l’élimination de la charge virale dans le nasopharynx des patients atteints de manière critique par le MERS.
Elle s’est faite à partir d’une cohorte multicentrique incluant 14 hôpitaux de soins de troisième ligne avec une bonne méthodologie statistique ayant fait appel :
– à l’analyse de régression logistique multivariée pour la relation entre la mortalité à 90 jours et l’utilisation des macrolides,
– au modèle proportionnel de Cox pour le lien entre la thérapie par macrolides et l’élimination de la charge d’ARN viral du MERS-Cov.
L’étude a inclus un total de 349 patients gravement atteints du MERS, et admis en unité de soins intensifs en vue d’une ventilation artificielle, invasive ou non. Un groupe de 136 malades sur les 349 (soit 39 %) ont reçu l’antibiotique macrolide, soit juste avant cette admission (37,5 % des 136 patients), soit dès le premier jour (39 % des 136 patients). Les caractéristiques les deux groupes de patients (ceux recevant l’antibiotique et ceux n’en recevant), sont comparables quant aux critères démographiques et quant au score clinique d’évaluation séquentielle de la défaillance organique (SOFA). Les résultats de cette étude montrent que l’antibiothérapie par macrolide n’était pas indépendamment associée de façon significative à la mortalité à 90 jours (odds ratio [OR] ajusté : 0,84 ; IC95% : 0,47-1,51 ; p = 0,56) ni à l’élimination de la charge virale (OR : 0,88 ; IC95% : 0,47-1,64 ; p = 0,68).
Pour la pratique dans le contexte actuel de la maladie Covid-19
Face aux signes respiratoires d’une pneumopathie atypique marqués par des signes généraux et l’apparition d’une toux, d’expectorations voire d’une dyspnée d’effort, il devient licite à ce jour de prescrire un macrolide. Pour le moment, il ne s’agit pas d’une recommandation scientifique validée ni d’un consensus d’experts. La prudence est cependant de mise avec une surveillance continue du rapport bénéfice/risque notamment chez la personne âgée infectée dont la fréquence des pathologies cardiovasculaires et de la polymédication est élevée. Le risque d’interactions médicamenteuses est à prendre en compte du fait de l’éventuel cumul de produits favorisant l’allongement de l’intervalle QT à l’électrocardiogramme (inhibiteurs de recapture de la sérotonine, dont le citalopram et l’escitalopram, les antiarythmiques de classe Ia [quinidine, hydroquinidine et disopyramide] et de classe III [amiodarone, sotalol, dofétilide et ibutilide], l’ensemble des neuroleptiques classiques et même les atypiques [tiapride], certaines fluoroquilones telles que la lévofloxacine et la moxifloxacine, certains antiémétiques [dompéridone], certains antiparasitaires [halofantrine, luméfantrine et pentamidine], l’opioïde analgésique méthadone, les digitaliques, l’antihistaminique H1 hydoxyzine, les anticholinestérasiques et la mémantine). Face au risque de torsades de pointe et/ou d’arythmie ventriculaire, et donc de mort subite, toute hypokaliémie devra être recherchée pour être compensée, surtout en cas de diarrhée, de vomissements et de prise de diurétiques hypokaliémiants. De plus, comme le précise le dictionnaire Vidal 2019 [3], il existe un risque de déséquilibre de l’INR chez le sujet traité par antivitamine K dans le contexte fréquent de syndrome infectieux, de dénutrition, de déshydratation et d’insuffisance rénale en population gériatrique.
À ce jour, face à la maladie Covid-19, la pertinence de la prescription des macrolides devrait procéder d’une activité antivirale démontrée par des essais cliniques randomisés en double aveugle. L’indication devra urgemment tenir compte à la fois des résultats des études cliniques attendues et de la place de cette famille d’antibiotiques dans l’éventail des produits antiviraux actuellement disponibles. L’étude marseillaise, récente, de Gautret et al. [4] par laquelle une efficacité de l’association d’hydroxyquinine et d’azithromycine serait reconnue dans le traitement de formes sévères de la maladie Covid-19 n’a pas été investiguée rigoureusement au niveau méthodologique : essai non randomisé dans lequel seulement six patients sur 20 sujets sous hydroxychloroquine ont reçu l’azithromycine, absence de puissance statistique, sélection hétérogène des patients quant au degré de sévérité clinique. Un essai clinique multicentrique randomisé contrôlé à trois bras (hydroxychloroquine versus hydroxychloroquine + azithromycine versus sujets contrôle) reste idéalement à valider après mise en œuvre sur un large panel de population infectée.
Liens d’intérêt
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec cet article.
Références
1. Tran D-H, Sugamata R, Hirose T, et al. Azithromycin, a 15-membered macrolide antibiotic, inhibits Influenza A (H1N1) pdmo9 infection by interfering with virus internalization process. J Antibiotic 2019; 72 (10): 759-68.
2. Arabi Y-M, Deeb A-M, Al-Hameed F, et al. For the Saudi Critical Care Trials group. Macrolides in critically ill patients with Middle East Respiratory Syndrome. Int J Infect Dis 2019; 81: 184-90.
3. Dictionnaire Vidal 2019.
4. Gautret Ph, Lagier J-C, Parola Ph, et al. Hydroxychloroquine and azithromycin as a treatement of COVID-19: results of an open label non-randomized clinical trial. Int J Antimicrob Agents. In press 17 March 2020.