27 mars 2020 - Où sont les antiviraux dont la France a besoin ?*
Correspondance : Bernard Meunier
Directeur de recherche émérite au CNRS,
membre de l’Académie des sciences et de l’Académie nationale de pharmacie
⇐ Retour au dossier "Actualités COVID-19"
* Cet article est déjà paru dans Les Echos. Meunier B. Où sont les antiviraux dont la France a besoin ? Idées et débats. Les Echos, 27 mars 2020.
Avec le virus Covid-19, appelé aussi SRAS-CoV-2, nous avons à affronter une pandémie. L’épisode de SRAS de 2003 était resté cantonné à l’Asie. En 2009-2010, l’épidémie du virus grippal H1N1 avait peu touché l’Europe. En France, la campagne massive de vaccination contre ce dernier virus avait donné lieu à de nombreux commentaires sur la classe politique qui avait réagi, trop pour certains, sous la pression du principe de précaution, nouvelle épée de Damoclès. Ces deux épisodes récents pouvaient laisser penser que la France et l’Europe étaient à l’écart des invasions virales, et que le virus actuel allait rester en Asie. Il n’en est rien, la contagiosité du Covid-19 ne laisse aucun pays à l’écart de la pandémie.
Pendant ces dix dernières années, nous avons oublié les virus, préoccupés par d’autres débats, plus ou moins importants. Qu’avions-nous à faire pour faire face à une pandémie virale ? Fabriquer des stocks stratégiques de masques ? Idée abandonnée en 2011, alors que la quasi-disparition de notre industrie textile ne nous permet plus de les produire en masse. Faire des stocks de gels hydroalcooliques ? Les faits montrent que nous avons du mal à mettre en place une production adaptée à une épidémie. Assurer la sécurité sanitaire d’un pays n’est pas chose facile. Surtout à une époque où l’opinion publique est peu réceptive à la prise de décision impliquant le long terme, comme l’anticipation d’épidémies.
Nous avons peu d’antiviraux efficaces contre les coronavirus. Faut-il en créer de nouveaux ? Quelques-uns y travaillent discrètement, sans le soutien qu’il faudrait. Alors, nous en sommes à reprendre des essais faits par d’autres, avec des molécules conçues par d’autres. L’hydroxychloroquine, un dérivé de la chloroquine connu depuis 1950 et parfois utilisé pour traiter le lupus érythémateux et l’arthrite rhumatoïde, est en cours d’essais cliniques sur des patients atteints par le Covid-19 en Chine et en France. D’autres essais cliniques sont en cours un peu partout avec le remdésivir, une molécule élaborée par une société américaine pour traiter le virus d’Ebola, ou le favipiravir, produit par une société japonaise.
Il sera important, dès que la pandémie sera éteinte, de réfléchir sérieusement à soutenir la recherche sur les antiviraux et autres maladies infectieuses délaissées par de nombreux groupes pharmaceutiques. Depuis plus de deux décennies, les efforts de recherche des grandes sociétés pharmaceutiques ont porté sur la cancérologie et les maladies orphelines, davantage que sur les maladies communes, en particulier infectieuses, celles qui peuvent toucher des millions de personnes en même temps.
Lorsque les coûts de traitement de certains cancers ou de maladies rares atteignent parfois des centaines de milliers d’euros, pourquoi développer des antibactériens ou des antiviraux qui seraient vendus à quelques dizaines d’euros la boîte ?
Par ailleurs, pourquoi et comment créer des antiviraux chimiques bon marché, à un moment où tout le monde est persuadé que la chimie fait partie des fléaux modernes. Il était, il est toujours, bien plus facile de dénigrer la chimie que de se rendre compte qu’une pharmacie d’officine vend essentiellement deux catégories de produits : des vaccins et des médicaments produits par synthèse chimique. On a donc laissé croire que les « médicaments chimiques » avaient disparu. Sans remords, on a laissé se transférer la synthèse des précurseurs de médicaments chimiques en Asie. Finalement, nous voilà fort dépourvus avec une pandémie virale : des choses aussi simples que les masques et les gels de désinfection manquent et les anti-coronavirus sont absents.
Ni la France, ni l’Europe n’ont cherché à soutenir de manière significative la recherche dans le domaine des antiviraux chimiques. A l’époque des « biopharmaceutiques », on a oublié que 60 à 70 % des nouveaux médicaments validés chaque année par l’Agence américaine des médicaments (la Food and Drug Administration, FDA) sont des médicaments d’origine chimique.
Certains d’entre nous ont essayé d’alerter les pouvoirs publics sur l’importance et le caractère stratégique de ce domaine scientifique, mais les experts capables de porter cette flamme ont été écartés des « strates décisionnelles » et des comités de projets.
La France a été un pays créateur de nombreux médicaments au temps des Trente Glorieuses. N’oublions pas que le savoir-faire et la volonté de faire peuvent se perdre.