27 avril 2020 - Persistance du SARS-CoV-2 infectieux sur les surfaces inertes et transmission par les mains
Correspondance : Denis Gerlier1 et Sandra Martin-Latil2, membres du Comité scientifique de la Société Française de Virologie
1 Centre International de Recherche en Infectiologie, CIRI, Univ Lyon, Inserm, U1111, CNRS, UMR5308, Université Cl. Bernard Lyon 1, ENS de Lyon, Lyon, France
2 Université Paris-Est, Anses, Laboratory for Food Safety, 14 rue Pierre et Marie Curie, F-94701 Maisons-Alfort cedex, France
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L’épidémie de SARS-CoV-2 se propage de manière exponentielle avec un impact majeur sur la santé publique. Elle est le reflet d’une transmission particulièrement efficace et pernicieuse entre les humains car la contagiosité des personnes infectées commence quelques jours avant l’apparition de signes cliniques [1]. En outre, les premières données épidémiologiques indiquent l’existence de personnes infectées qui restent asymptomatiques dans une proportion d’au moins quelques pourcents [2-5] et les personnes restent contagieuses pendant deux semaines environ après l’apparition des symptômes [6, 7].
Le Covid-19 est avant tout une maladie de tout l’arbre respiratoire avec infection de la trachée aux alvéoles pulmonaires par le virus responsable, SARS-CoV-2. L’infection des cellules pulmonaires qui assurent les indispensables échanges gazeux (oxygénation et élimination de CO2) explique les problèmes respiratoires parfois dramatiques observés chez les malades. Pour atteindre sa cible, le virus utilise donc la voie aérienne en passant par la bouche, le nez et la muqueuse oro- et/ou naso-pharyngée. Deux sources de contamination sont bien identifiées. La première est l’aérosol (qui constitue la buée bien visible en période de froid) émis lors de l’expiration du porteur de virus (avec ou sans symptômes) ou lors de la conversation ou du chant (postillons), émission quantitativement amplifiée par l’effort physique intense (hyperventilation), la toux, les éternuements et les crachats avec en outre, dans ce cas, un accroissement considérable de la distance de projection. La seconde est représentée par les mains, qu’elles soient contaminées par un contact direct avec les divers aérosols et liquides émis par un porteur de virus ou par une surface inerte ayant été elle-même contaminée par le même type d’aérosols provenant de personnes infectées ou lors d’un contact avec un mouchoir contaminé. Le virus peut se transmettre de la main contaminée à l’arbre respiratoire selon deux mécanismes, lors d’un contact avec les muqueuses du nez (lorsque l’on se le gratte) ou de la bouche (lorsque l’on porte sa main à la bouche). Il ne faut pas oublier que dans chacun des cas, nous inspirons inconsciemment ou non et donc « aspirons » la surface de nos doigts à la manière d’un aspirateur. L’autre mécanisme est par contact d’un doigt contaminé avec la muqueuse conjonctive de l’œil, comme cela a été observé expérimentalement dans le cas du Covid-19 [8], et bien documenté pour l’ensemble des virus respiratoires [9]. En effet, les canaux naso-lacrymaux constituent une voie anatomique permettant au virus d’atteindre l’arbre respiratoire. Inconsciemment ou non, nous portons en moyenne notre main au visage plus d’une vingtaine de fois par heure dont ~1/3 à la bouche, ~1/3 au nez et ~1/3 à l’œil… [10]. L’ensemble de ces voies décrites ci-dessus explique l’efficacité du portage manuel de virus dans la propagation d’une épidémie.
Avant de traiter les moyens et gestes à adopter pour éviter la contamination interhumaine, quelques informations sur le virus. L’agent de la maladie Covid-19, le SARS-CoV-2, est un virus de la famille des Coronaviridae. Il est composé d’un « cœur » relativement compact associant de la nucléoprotéine et son génome viral (long ARN – acide ribonucléique). Ce « cœur » nucléoprotéique contient de l’eau formant un gel qui est entouré et protégé par une enveloppe de composition chimique assez semblable à la membrane d’une cellule. En effet, elle est composée d’une bicouche de phospholipides dans laquelle est enchâssée en particulier la glycoprotéine S (« Spike » ou pointe). L’agencement très compact et régulier de cette glycoprotéine S est responsable de la forme sphérique en couronne du virus telle qu’on peut l’observer au microscope électronique. Cette protéine joue un rôle clé (i) dans l’attachement du virus à la membrane plasmique de la cellule cible via un récepteur cellulaire et (ii) dans la fusion après internalisation (endocytose) entre l’enveloppe virale et la membrane interne de la cellule sous l’influence de protéases cellulaires [11].
Que sait-on de la persistance des particules infectieuses du SARS-CoV-2, des autres coronavirus et des virus enveloppés en général sur les surfaces ? Tout d’abord, rappelons qu’un virus ne peut ni se répliquer, ni se multiplier sur une surface inerte : il ne peut le faire que dans un de ses hôtes vivants. À l’heure de la rédaction de cet article, deux études traitent de la stabilité du SARS-CoV-2 dans les aérosols et sur les surfaces inertes [12, 13]. Le SARS-CoV-2 en suspension dans du milieu de culture vaporisé et maintenu en aérosol dans un « tambour de Golberd » [14] reste infectieux plusieurs heures avec une demi-vie de ~66 min (c’est-à-dire le temps nécessaire pour perdre la moitié des particules infectieuses). Déposé sur une surface inerte, sa demi-vie varie selon le support, ~50 min sur du cuivre, ~3,5 h sur du carton, ~5,6 h sur de l’acier et ~6,8 h sur du plastique. Cette décroissance moyenne comporte en fait deux phases, une phase de décroissance rapide et une phase plus lente. À température ambiante, on peut donc considérer que du SARS-CoV-2 déposé sur une surface en grande quantité (par ex. ~1 million de particules virales, valeur compatible avec une contamination via un aérosol émis par un patient infecté) peut rester infectieux jusqu’à 3 heures sur du papier, 8 heures sur du cuivre, 3-7 jours sur de l’acier, du verre ou du plastique : cela signifie qu’il faudra attendre au moins ces durées mesurées pour que la surface n’héberge plus de virus infectieux. Dans une maison, l’inactivation naturelle totale du virus du Covid-19 sur la quasi-totalité des surfaces qui seraient très contaminées (par un éternuement d’une personne infectée par exemple) pourrait prendre quelques jours, d’où l’intérêt de se laver fréquemment les mains et de désinfecter les objets touchés avec les mains (poignées de porte et interrupteurs par ex.). Ces données de persistance sont comparables à celles observées pour d’autres coronavirus [15] alors qu’elles sont plus faibles pour d’autres virus enveloppés réputés plus « fragiles » comme le virus de la grippe [16, 17]. Comme autre évidence d’une persistance de virus sur des supports inertes, de l’ARN viral (sans savoir s’il reflète un virus infectieux ou naturellement inactivé) a été retrouvé 17 jours après le départ des vacanciers sur les poignées et le mobilier de paquebots hébergeurs d’une épidémie Covid-19 [18]. S’il a été montré que les coronavirus (SARS-CoV-2 y compris) restent infectieux sur une surface inerte pendant plus de deux semaines à 4 °C, leur inactivation est plus rapide lorsque la température augmente [12, 13, 15]. Le chauffage permet d’inactiver une forte charge virale de SARS-CoV-2 (6,8 log10) présent dans un milieu simple au bout de 30 minutes à 56 °C et 5 minutes à 70 °C.
Mais qu’en est-il de la survie du virus sur les mains ? Le virus de la grippe qui semble plus « fragile », reste infectieux sur un doigt avec une demi-vie de ~5 min [16]. Rapporté au SARS-CoV-2 plus résistant et à la fréquence avec laquelle nous portons nos mains au visage, la probabilité de s’infecter par voie orale, nasale ou oculaire via nos mains contaminées quelques dizaines de minutes auparavant est donc sérieuse.
Quelles mesures de prophylaxie adopter ? Les gestes barrières découlent logiquement des observations factuelles mentionnées ci-dessus.
1) L’évitement du contact associant :
- le port de masque, de lunettes et la distanciation interpersonnelle ;
- le confinement de chaque porteur de virus confirmé ou suspecté comme tel après une exposition à risque (car « les porteurs « sains » ne portent pas d’auréole permettant de les reconnaître ! ») ;
- le confinement de la population.
2) L’évitement de la diffusion par les porteurs de virus en respectant les gestes barrières (tousser ou éternuer dans son coude ou dans un mouchoir jetable et son élimination dans un sac hermétique puis une poubelle).
3) L’élimination du virus qui peut être possible avec l’un des procédés inactivant le virus : eau savonneuse qui rompt l’enveloppe lipidique (graisseuse) du virus, l’éthanol à 70 % qui dénature les protéines virales [19] et la chaleur qui dénature les protéines virales et déstructure le virus :
- sur les mains : lavage fréquent des mains, soit à l’eau savonneuse, soit avec une solution hydro-alcoolique, qui doit être systématique avant et après manipulation d’objets ou lors d’un contact avec une surface possiblement contaminée (denrées et paquets en magasin, surfaces des cuisines, carte bancaire, smartphones et téléphones, télécommandes, clavier, poignées de portes, etc.) ;
- sur les surfaces inertes dont les paquets enveloppés sous plastique avant déballage : nettoyage avec un chiffon imprégné d’eau savonneuse ou additionnée d’un détergent ménager, ou de l’alcool à 70 % ;
- sur les produits alimentaires :
- i. lavage à l’eau potable (uniquement !) des légumes et fruits consommés crus,
- ii. épluchage des autres légumes,
- iii. cuisson des aliments : cf. https://www.anses.fr/fr/content/coronavirus-alimentation-courses-nettoyage-les-recommandations-de-l%E2%80%99anses pour recommandations détaillées.
En conclusion, la maîtrise de la flambée épidémique de Covid-19 repose sur la mise en œuvre par chacune et chacun des contre-mesures simples et d’autant plus efficaces qu’elles seront respectées par tou.te.s, à savoir : essentiellement la distanciation interpersonnelle, le port d’un masque dans toute zone publique fréquentée, le lavage des mains très fréquent et l’hygiène des surfaces sur le lieu de travail et à la maison et, pour les malades ou personnes suspectes d’être infectées, une hygiène rigoureuse et, dans la mesure du possible un confinement vis-à-vis de ses proches dans une pièce séparée pendant une période de 15 jours.
Remerciements
Denis Gerlier remercie Pascale Gerlier pour sa contribution imagée.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts en rapport avec l’article.
Références
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2. Day M.Covid-19: identifying and isolating asymptomatic people helped eliminate virus in Italian village. BMJ 2020 ; 368 : m1165.
3. Kimball A, Hatfield KM, Arons M, James A, Taylor J, Spicer K, et al. Asymptomatic and Presymptomatic SARS-CoV-2 Infections in Residents of a Long-Term Care Skilled Nursing Facility - King County, Washington, March 2020. MMWR Morb Mortal Wkly Rep 2020 ; 69 : 377-81.
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