4 mai 2020 - Une nouvelle manifestation du Sars-CoV-2 : le syndrome des pieds dans le tapis
Correspondance : Emmanuel Andrès
Service de médecine interne, diabète et maladies métaboliques, Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, France
EA 3072 Mitochondrie, stress oxydant et protection musculaire, Faculté de médecine de Strasbourg, France
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Voici plusieurs mois maintenant que le Sars-CoV-2 accapare sans partage toutes nos attentions. Il a envahi l’espace de nos discussions, familiales, amicales et professionnelles (virtuelles, bien entendu), des réseaux sociaux, des médias – notamment à travers les reportages ou la presse grand public – et des politiques. Il est devenu un intime et une préoccupation de notre quotidien. Les experts autoproclamés de la Covid-19 et les prétendues élites rivalisent de petites phrases et de grandes formules, où la grandiloquence le dispute au péremptoire, porteuses de messages choc à destination de la population et des citoyens.
Une expression a ainsi fait récemment son apparition : la « distanciation sociale » (ou sa variante, la « distanciation physique »). Née avec l’épidémie, elle a elle aussi abondamment prospéré au cours des dernières semaines, notamment à l’approche du 11 mai – date de la fin programmée du confinement et vraisemblablement appelée à passer à la postérité, pour le meilleur ou pour le pire –. Reprise partout en boucle, cette distanciation est présentée comme le Graal de la lutte contre la Covid-19. Il est vrai que, malgré les notables progrès réalisés dans la connaissance de l’histoire naturelle de la maladie, le traitement du Sars-cov-2 reste à ce jour relativement pauvre, limité aux mesures dites barrières : port du masque, hygiène des mains et respect des distances – assimilé à cette désormais fameuse « distanciation », sociale ou physique [1].
Pour autant, le terme « distanciation » préexistait à l’épidémie ; il avait alors pour sens « prendre du recul par rapport à une idée, à un événement – et par extension, du recul vis-à-vis d'une situation ». Le mot est notamment en usage dans le monde du théâtre, et plus particulièrement dans celui de Bertold Brecht. Dans ce cadre, la distanciation désigne la distance que l'acteur met avec le personnage qu'il interprète, en vue d'augmenter le poids du message, du texte joué [2]. Autrement dit, rien à voir avec l’usage qui en est fait depuis des mois par nos politiques, journalistes et autres intellectuels…
Celui qui voudrait désigner les mesures « barrières », authentiquement nécessaires dans la lutte contre la transmission de Sars-CoV-2, serait mieux avisé de parler de « distance sociale (ou physique) ».
Au regard de la cacophonie ambiante, faites d’ordres et de contre-ordres, d’affirmations péremptoires et de vérités d’un jour, qui n’en sont plus le lendemain, d’avis tranchés de tous bords (la méthode scientifique est brutalement tombée en désuétude, il y a peu [3]), de la sémiologie de la maladie qui s’hypertrophie chaque jour, il semble bien que c’est à l’apparition d’un nouveau syndrome, que nous assistons : le syndrome « je me suis mélangé les crayons », également appelé syndrome « des pieds dans le tapis ». Est-ce bien la date du 11 mai, que nous nous sommes donnée pour horizon – et non, anachroniquement, celle du 1er avril ?
Je vous propose d’élargir notre propos au-delà du seul monde médical, qui est le nôtre, et vraisemblablement aussi le vôtre, si vous lisez ces lignes. Après que nous avons enduré les néologismes aussi divers et variés qu’inutiles, l’indigestion chronique de termes importés de la langue anglaise, les acronymes à tout va, les rumeurs, les productions innombrables de la science de comptoir et de sa cousine, la médecine de plateau télé, voici que nous déclarons une nouvelle manifestation du Sars-CoV-2 : le mésusage du mot ou d’une expression. Voilà la nouvelle gangrène de la langue française. Molière, au secours ! (Nous te pardonnons Diafoirus.)
Le remède existe, pourtant, à cette vilaine lèpre. Il s’appelle le dictionnaire de la langue française, et il y a belle lurette qu’il a reçu l’onction de l’Académie.
Liens d’intérêt
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec cet article.
Références
2. https://www.universalis.fr/dictionnaire/distanciation/