30 mars 2020 - Plaidoyer pour des essais méthodologiquement rigoureux
Correspondance : Philippe Casassus
PU-PH émérite de Thérapeutique, Université Sorbonne-Paris Nord
Mots clés : COVID-19 ; essai clinique [COVID-19 ; clinical trial]
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Introduction
Le docteur Kalil, infectiologue au centre hospitalier de l’université du Nebraska, vient d’écrire un éditorial [1] qui est un plaidoyer pour ne pas abandonner, au cours des pandémies, notre rigueur méthodologique malgré l’ambiance stressante amplifiée par le monde médiatique.
L’étude
Il est rappelé que, par exemple, au cours de la maladie à virus Ébola, de nombreuses thérapeutiques ont été testées, telles : la chloroquine et l’hydroxychloroquine, des antiviraux comme le favipiravir et le brincidofovir, des anticorps monoclonaux et un ARN anti-sens, de même que du plasma de convalescent. Aucun traitement n’a fait ses preuves. Quelles en sont les raisons ? Une d’elles est sûrement qu’il n’y a eu aucune étude comparative permettant d’apporter une conclusion définitive d’efficacité ou de tolérance. L’auteur rapporte qu’au cours de cette épidémie une seule étude comparative randomisée a pu être lancée sous l’égide du NIH, l’agence nationale de santé américaine, et que, malheureusement, elle n’a pas pu être terminée !
De nouveau, au cours de l’épidémie actuelle, il remarque que dans tous les pays les premiers atteints, on a observé l’usage hors de toute étude du même type de molécules : chloroquine, hydroxychloroquine, azithromycine, lopinavir-ritonavir, favipiravir, remdesivir, ribavirine, interféron, plasma de convalescent, corticoïdes et anti-IL-6, sans preuve ni étude comparative. Contrairement à ce qu’on croit souvent, ce n’est pas parce qu’une molécule s’avère efficace in vitro qu’elle le confirmera in vivo et l’administrer sans étude comparative est une erreur. De même est erronée l’idée répandue qu’on peut toujours la donner en situation extrême à titre « compassionnel », avec cette apparente certitude qui est que si le malade meurt malgré tout, c’est à cause de la maladie… et pas du traitement !
Un exemple, avec les manifestations cardiaques. Elles semblent non rares en phase d’aggravation du COVID-19 et les sujets âgés les plus à risque ont souvent des antécédents de cardiopathies. Or, chloroquine/hydroxychloroquine, azithromycine et lopinavir-ritonavir ont une toxicité cardiaque.
De même, les corticoïdes, qui restent encore prescrits parfois pour leur effet anti-inflammatoire, sont aujourd’hui considérés avec prudence : ils retardent l’élimination du virus, comme dans la grippe. Leur utilisation ne devrait donc se concevoir que dans une étude comparative. Et, contrairement à ce qu’on voit exprimer parfois dans une telle pathologie où aujourd’hui aucun traitement n’a encore fait sa preuve, non seulement un bras placebo est éthique mais il est probablement le plus sûr car n’apportant que les soins conventionnels donnés à tous sans risque de toxicité supplémentaire !
L'administration de médicaments hors AMM, de façon compassionnelle, en plus du risque de nuire aux patients sans même pouvoir détecter l'ampleur du préjudice et les études non contrôlées pendant une pandémie peuvent aussi décourager les patients et les cliniciens de participer aux essais cliniques comparatifs, gênant toute connaissance qui pourrait être acquise sur les effets du médicament testé : on en voit aujourd’hui les conséquences avec l’échec des expériences précédentes !
Pour la pratique
Nous venons de voir que quelques essais d’envergure commencent aujourd’hui à se lancer. Il y en a un autre aux États-Unis [2] qui sera comparatif, mais pragmatique : il part sur l’idée de comparer contre un bras placebo un groupe de malades recevant un antiviral, le remdesivir. C’est un protocole dit « adaptatif », car d’autres bras pourront être ajoutés en fonction des observations et travaux qui se multiplient partout, et dès que l’un d’entre eux montrera une preuve d’efficacité, il sera pris comme bras de référence (supprimant de facto le bras placebo).
L’utilité de ces études ne l’est pas seulement pour l’épidémie actuelle, elle l’est aussi pour les prochaines !
Liens d’intérêts
L'auteur déclare n’avoir aucun lien d'intérêt en rapport avec l’article.
Références
1. Kalil AC. Treating COVID-19-Off label drug use, compassionate use, and randomized clinical trials during pandemics. JAMA 2020, March 24. doi:10.1001/jama.2020.4742 (online). https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/?term=10.1001%2Fjama.2020.4742
2. Adaptive COVID-19 Treatment Trial. ClinicalTrials.gov identifier: NCT04280705. Posted February 21, 2020. Accessed March 19, 2020. https://clinicaltrials.gov/ct2/show/NCT04280705? term=remdesivir&cond=covid-19&draw=2&rank=5.