12 mai 2020 - Le rôle émergent de la vitamine D comme un traitement inespéré de la Covid-19
Correspondance : Daniel Letonturier
Service de médecine gériatrique aiguë (unité Covid), hôpital gériatrique de l’Isle-Adam Parmain, France
Mots clés : vitamine D, calcitriol, coronavirus, maladie Covid-19, infection respiratoire aiguë, cathélicidine, ACE2
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La littérature scientifique concernant la Covid-19 s’accroît d’heure en heure. Ainsi savons-nous aujourd’hui que la pathogénie de la maladie procède d’un syndrome inflammatoire aigu systémique, de la survenue d’une pneumonie et d’une éventuelle décompensation d’organes avec sepsis, et d’un syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA), aggravés par les éventuelles comorbidités telles que l’insuffisance cardiaque, le diabète, l’hypertension ou l’obésité, surtout avec l’avancée en âge [1]. Un dérèglement rapide du système immunitaire en lien avec une production accrue de cytokines pro-inflammatoires serait à l’origine de cette décompensation en cascade pouvant aboutir à une défaillance multiviscérale à taux de létalité élevé. L’hyperactivation des cellules effectrices des systèmes immunitaires inné puis adaptatif pourrait quant à elle causer la pneumonie Covid par la constitution de lésions alvéolaires ou alvéolites expliquées par les réactions inflammatoires locales initiales [1,3,6,8]. C’est dans le contexte de choc septique en rapport avec un emballement du système immunitaire, appelé « orage cytokinique », qu’un syndrome respiratoire aigu sévère se manifeste [8]. Malgré la diversité des profils cliniques évolutifs observés dans les populations infectées par la Covid-19, et notamment quant à la réponse immunitaire, un rôle protecteur de la vitamine D se fait jour [1], et des doses prophylactiques ou de supplémentation pourraient réprimer voire abolir les effecteurs immunitaires responsables de l’hyperactivation immunologique inappropriée [1,3,7-10]. Une revue de la littérature réalisée par Grant et al. suggère ainsi qu’une supplémentation vitaminique D pourrait réduire les risques d’infections par le virus de la grippe, Influenza, et le Sars-CoV-2, ainsi que la mortalité [7].
Généralités sur la vitamine D
Les capacités de synthèse endogène de la vitamine D de l’organisme humain sont réduites avec l’avancée en âge, mais aussi et surtout durant la période hivernale. Les apports extérieurs en vitamine D deviennent alors essentiels pour le fonctionnement normal et l’homéostasie de l’organisme [2,4]. Quel que soit l’âge, la prophylaxie cible les conditions délétères en rapport avec une carence vitaminique D favorisant l’émergence des morbidités telles que le rachitisme, l’ostéoporose, le cancer, les pathologies cardiovasculaires, la faiblesse musculaire, les chutes chez le sujet âgé, etc. La vitamine possède en effet un potentiel d’effets antioxydants, immunomodulateurs et anti-infectieux bien identifié par la plupart des études scientifiques [2-5]. L’organisme humain se trouve ainsi dans un besoin permanent, tout au long de sa vie, de disposer de sources alimentaires apportant au moins 600 UI/j de vitaminique D, afin d’assurer une concentration sérique minimale de 20 ng/mL, en vue d’assurer la prévention de ces maladies [7,9]. Chez certaines populations à risque (femme enceinte, sujet à peau noire, âge avancé, patient avec comorbidités acquises telles que diabète, pathologie cardiovasculaire, immunodépression, insuffisance rénale chronique, cancer, etc.), le maintien du taux sérique à des valeurs beaucoup plus importantes, de l’ordre de 30 à 60 ng/mL, est nécessaire, afin de limiter le risque de survenue ou d’aggravation des pathologies [7]. Le rôle protecteur de la vitamine D se réalisant en particulier par son action antimicrobienne, il se manifeste chez ces populations fragiles pas une réduction des risques d’infection bactérienne, virale, fungique et parasitaire, autant en fréquence qu’en intensité de virulence [1-10].
Comprendre la vitamine D comme un facteur immunomodulateur
L’impact de la vitamine D sur le fonctionnement immunitaire s’expliquerait par ses propriétés immunomodulatrices, celles-ci s’exerçant sur les immunités innée et adaptative ou acquise [2,4-7]. Le plein exercice de ce mécanisme de défense demande qu’une concentration basale sérique soit acquise ou atteinte régulièrement [7]. Plusieurs expérimentations ont d’ailleurs montré qu’une carence induite en vitamine D réduit les réponses immunes cellulaires et humorales, et des études cliniques ont prouvé que le traitement substitutif de sujets sains stimule l’activité [2,4-7] :
– des cellules natural killer (NK), des macrophages et des monocytes, pour ce qui est de l’immunité innée,
– des lymphocytes T et B, ainsi que leur prolifération en lymphocytes auxiliaires ou T helpers (Th) et leur chimiotactisme, pour ce qui est de l’immunité adaptative.
Ces cellules jouent un rôle majeur dans l’élimination des agents pathogènes tels que les virus.
La vitamine D intensifie notamment l’immunité innée par l’induction de peptides antimicrobiens dont la cathélicidine (LL-37) et les défensines. Ces peptides ont en effet la capacité d’altérer les membranes des virus, enveloppés ou pas. Concernant l’immunité adaptative, la vitamine D la renforce en réduisant l’« orage cytokinique » généré initialement par le système inné en réponse à l’agression virale. Par cela, elle réduit la production excessive de cytokines pro-inflammatoires telles que le facteur de nécrose tumorale α (TNF-α) et l’interféron γ (IFN-γ). Ces mécanismes sont à la base des effets modulateurs que la 1,25 dihydroxycholécalciférol, notée 1,25(OH)2D, c’est-à-dire la forme active de la vitamine D dans le sang, exerce sur l’immunité adaptative [2,4-7] :
– les réponses médiées par les lymphocytes Th1 sont inhibées, permettant une répression de la production de cytokines inflammatoires,
– celles médiées par les lymphocytes Th2 sont renforcées, permettant indirectement la suppression des Th1 par l’intermédiaire des cellules T régulatrices suppresseurs.
Ainsi une manière de « conflit de cytokines » émerge-t-elle, entre cytokines pro-inflammatoires générées par l’immunité innée (réprimée par la vitamine D) et anti-inflammatoires, produites par l’immunité adaptative, renforcée par la vitamine D. IL en résultera du moins en théorie, une atténuation, voire une inhibition du processus d’hyperinflammation aigu systémique, qui persistera tant que le taux sérique en vitamine D se maintiendra à des valeurs suffisantes.
Comprendre la vitamine D comme un facteur anti-infectieux
La forme active de la vitamine D, la 1,25(OH)2D, connue sous le nom de calcitriol, est une hormone stéroïde exerçant un rôle modulateur sur le système immunitaire, via une modération de l’expression des cytokines inflammatoires et une activation de la fonction des macrophages [2,4-7]. Elle induit en outre l’expression de puissants peptides antimicrobiens qui sont présents dans les cellules NK, les monocytes, les polynucléaires neutrophiles et les cellules de la muqueuse épithéliale de l’arbre respiratoire. La fonction immunomodulatrice de la vitamine D au cours des infections respiratoires d’origine virale est induite par plusieurs mécanismes [6] :
– augmentation du niveau des lymphocytes T CD8+ spécifiques au virus,
– induction, dans l’épithélium respiratoire, de la protéine 10, aussi appelée chimiokine 10 à motif C-X-C (CXCL10) et d’IFN-γ,
– recrutement de cellules immunitaires sur le site de l’infection,
– réduction de la réplication virale,
– effet de surrégulation sur la cathélicidine LL-37 et sur la β défensine 2 chez les virus enveloppés, permettant la rupture de l’enveloppe lipidique virale occasionnant probablement des effets antiviraux (figure 1).
Figure 1
Les effets immunomodulateurs de la vitamine D dans les infections respiratoires d’origine virale, d’après [6].
Comprendre la vitamine D comme un facteur endocrinien régulateur du système rénine-angiotensine
La pathogenèse des lésions pulmonaires aiguës survenant dans la Covid-19 implique une stimulation de la production de rénine, d’enzyme de conversion (ACE), d’angiotensine II et du récepteur de l’angiotensine II de type 1 (AT1R), ainsi qu’une inhibition de la synthèse d’ACE2, une autre enzyme de conversion membranaire ayant une forte similitude avec l’ACE [6]. Or, il a été découvert que la pénétration du Sars-CoV2 dans les cellules humaines s’effectue grâce à cette ACE2, qui agit en tant qu’exopeptidase permettant la conversion de l’angiotensine I en angiotensine 1-9, un nonapeptide inactif.
L’ACE2 est exprimée dans l’épithélium du tractus respiratoire, les pneumocytes et la muqueuse orale, qui constituent ainsi des portes d’entrée pour le Sars-CoV2. Son expression est également constatée sur les lymphocytes des muqueuses orale et digestive. La vitamine D pourrait ainsi atténuer les lésions pulmonaires aiguës en induisant l’expression de l’ACE2 et de l’angiotensine 1-7 et en inhibant la sécrétion de rénine et la cascade ACE/angiotensine II/AT1R (figure 2). Angiotensines I et II sont clivées par l’enzyme de conversion ACE. Dans l’organisme, la liaison de l’angiotensine II avec l’AT1R induit vasoconstriction artérielle, inflammation aiguë et apoptose. L’angiotensine 1-7 est antagoniste des effets de l’angiotensine II, et exerce ainsi des effets anti-inflammatoires et vasodilatateurs, et s’oppose au remodelage vasculaire. Le rapport angiotensine II/angiotensine 1-7 est déterminé par l’équilibre entre les niveaux de l’ACE et de l’ACE2. Des niveaux élevés d’ACE/angiotensine II et des niveaux bas d’ACE2/angiotensine 1-7 sont impliqués dans la pathogénie des lésions pulmonaires aiguës. Une surexpression de l’ACE2 et du récepteur de la vitamine D serait protectrice vis-à-vis des lésions d’alvéolite.
Figure 2
L’ACE2, le système rénine-angiotensine et la vitamine D, d’après [6].
La vitamine D pourrait intervenir à ce niveau, en inhibant la sécrétion de rénine et en surexprimant l’ACE2, ce qui a pour effet de réprimer l’activité du système rénine angiotensine, avec régulation de la pression artérielle, pour la normaliser, et diminution des résistances vasculaires systémiques afin de contrecarrer la vasoconstriction.
Les études épidémiologiques ont mis en évidence une probabilité plus importante d’aggravation de la pathologie Covid-19 et de la mortalité afférente chez les patients atteints de comorbidités telles qu’obésité, diabète, hypertension, pathologies cardiovasculaires et respiratoires chroniques ou cancers, et chez les sujets âgés. De nombreuses études ont par ailleurs rapporté un lien entre la fatalité d’évolution clinique (case-fatality rates) et la carence vitaminique D qui prédomine chez ces patients. Une carence prolongée pourrait ainsi être considérée comme un facteur de risque cardiovasculaire indépendant, potentialisant le risque de sévérité cardiorespiratoire chez les sujets fragiles infectés par le Sars-CoV2 et par lequel une décompensation en cascade des comorbidités est redoutée en raison de l’inflammation aiguë systémique potentiellement induite par une suractivation du système rénine-angiotensine (figure 3).
Figure 3
La carence vitaminique D et les conséquences sur les principales comorbidités en contexte d’infection Covid-19, d’après [6].
À l’appui de cette hypothèse, une récente étude observationnelle multicentrique (trois hôpitaux d’Asie du sud) et rétrospective a démontré l’importance d’un taux sérique vitaminique D suffisant pour limiter le risque de sévérité de la Covid-19, et a ainsi conduit à discuter de l’option thérapeutique d’une supplémentation en vitamine D pour prévenir une aggravation potentiellement induite par une carence initiale [9].
L’étude d’Alipio en contexte de pandémie de Covid-19
Cette étude récente, observationnelle et rétrospective [9], a utilisé la régression logistique multinomiale afin d’étudier l’association entre le niveau sérique de vitamine D et les événements cliniques chez 212 cas de patients infectés par le Sars-CoV2. Quatre profils cliniques sont ainsi définis, parallèlement à trois niveaux de taux sérique de la vitamine D :
– cas léger ou paucisymptomatique sans signes de pneumonie,
– cas classique de pneumonie diagnostiqué par le scanner thoracique avec fièvre et signes respiratoires,
– cas sévère du fait d’une hypoxie (saturation en oxygène < 93 % et gazométrie altérée) avec des signes de détresse respiratoire,
– cas critique en rapport avec une insuffisance respiratoire aiguë nécessitant la ventilation mécanique.
Les trois niveaux du taux sérique vitaminique sont définis selon les normes consensuelles internationales, à savoir :
– normalité, avec un taux de 1,25(OH)2D > 30 ng/mL,
– insuffisance, pour un taux compris entre 21 et 29 ng/mL,
– carence avec un taux < 20 ng/mL.
À des fins descriptives, le dosage sérique vitaminique D est effectué trois fois chez les cas légers, quatre chez les cas classiques, six chez les cas sévères et sept chez les cas critiques. Pour s’assurer de l’absence de différences entre ces points de repère, une analyse de variance avec mesures répétées (Anova) a permis de conclure en l’absence de différences significatives du niveau sérique vitaminique D vérifié chez les 212 cas. Autrement dit, c’est bien le niveau sérique durant la survenue des manifestations cliniques qui était mesuré. Les résultats (tableau 1 et figure 4) révèlent une relation inverse entre la concentration plasmatique en vitamine D et la sévérité clinique de la Covid-19. Les résultats de l’analyse par régression logistique multinomiale, en termes d’odds ratio (OR),mettent en évidence la force de l’association entre le taux sérique vitaminique D et la survenue des évènements cliniques, traduits par le degré de sévérité de l’infection. Les OR de sévérité dans les groupes critique, sévère, et classique sont plus élevés que dans le groupe léger ou paucisymptomatique, dans des proportions respectives de :
– 19,61 (OR = 0,051, p < 0,001),
– 7,94 (OR = 0,126, p < 0,001),
– 1,63 (OR = 0,614, p = 0,007).
Cette étude suggère ainsi qu’une supplémentation en vitamine D pourrait avoir un rôle thérapeutique valable en faisant augmenter le taux sérique de 1,25(OH)2D. Des études randomisées contrôlées doivent être menées, pour évaluer si une supplémentation est susceptible d’augmenter plus encore les OR afin d’espérer une évolution clinique de l’infection vers le stade léger lorsque le niveau sérique vitaminique D est rehaussé.
Tableau 1
Résultats des données d’analyse (statistique de variance ANOVA) de l’étude classant les patients en 4 profils cliniques selon la sévérité de l’infection Covid-19 en parallèle avec 3 niveaux sériques du taux vitaminique D, d’après [9].
Figure 4
Histogramme de l’étude selon le tableau de Alipio classant les patients en quatre profils de sévérité clinique en parallèle avec les trois niveaux du taux sérique vitaminique D mesuré lors de la pathologie Covid-19, d’après [9].
En conclusion
La vitamine D intervient probablement dans le cours évolutif de la Covid-19 en atténuant le processus d’emballement inflammatoire au niveau du système rénine-angiotensine et en affectant le système immunitaire [7,8]. Grâce à ses propriétés anti-infectieuses et immunomodulatrices, la supplémentation systématique devrait constituer une alternative thérapeutique intéressante en tant que stratégie antivirale à visée prophylactique et curative [7,8,10]. Des études randomisées contrôlées de large ampleur, en termes de taille et de typage clinique des populations, sont à mener afin de déterminer dans quelle mesure la gestion de la pandémie à Sars-CoV2 pourrait passer par celle de la carence vitaminique D, qui existe de façon continuelle dans la plupart des pays du globe. Explorer l’utilisation thérapeutique de la vitamine D dans la prévention de l’hyperactivation inflammatoire de la pathologie Covid-19, et obtenir une meilleure compréhension des effets de la vitamine D, à la fois pro-oxydants sur le système immunitaire et antioxydants sur les cellules pulmonaires, seraient les objectifs premiers à atteindre de ces études.
Liens d’intérêt
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec cet article.
Références
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