17 avril 2020 - Covid-19 et thérapie antivirale par remdésivir : une efficacité probante…
Correspondance : Daniel Letonturier
Service de médecine gériatrique aiguë (unité Covid), hôpital gériatrique de l’Isle-Adam Parmain, France
Mots clés : coronavirus, Covid-19, remdésivir, antirétroviral
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Le remdésivir est un produit antiviral à large spectre, précurseur analogue nucléosidique de l’adénosine, possédant une activité in vitro contre divers de virus tels que Ebola, Marburg, Mers-Cov, Sars-Cov, le virus respiratoire syncitial, ou encore les virus Nipah et Hendra [1]. Le remdésivir agit lors de la terminaison précoce de la transcription de l’ARN ; il est en effet métabolisé, à l’intérieur de la cellule, en un analogue de l’adénoside triphosphate (ATP) doté de propriétés inhibitrices sur les ARN polymérases virales [2]. Son utilisation améliore les symptômes de la pathologie virale et réduit la charge virale chez la souris infectée par le Sars-Cov [2]. Il est également efficace sur Mers-Cov, chez le macaque rhésus, tant en utilisation prophylactique (prévention de la maladie virale avant inoculation en administrant le produit 24 h avant) que thérapeutique (inhibition de la réplication virale dans les tissus respiratoires et prévention de la formation de lésions pulmonaires après inoculation) [3].
La prise en charge de la Covid-19 chez l’humain, en l’absence de traitement dont l’efficacité aurait été prouvée, consiste en des soins de support gradués, incluant l’oxygénothérapie, l’antibiothérapie, la ventilation mécanique – invasive ou non selon l’état de dégradation respiratoire du patient – jusqu’à l’oxygénation membranaire extracorporelle [4]. Certains services de soins intensifs, de réanimation ou unités médicales aiguës Covid recourent à des thérapeutiques n’ayant pas d’autorisation de mise sur le marché : des traitements à base d’antirétroviraux, d’agents antiparasitaires, d’anti-inflammatoires et de plasma de convalescent ont été administrées. Les pharmacodynamies et les rapports efficacité/tolérance observés sont, pour certains d’entre eux, positifs, suggérant un effet sur la symptomatologie et le risque de morbimortalité. Qu’en est-il à ce jour de l’efficacité du remdésivir chez le patient infecté par le Sars-Cov-2 ou Covid-19 ?
L’étude de Grein et al. dans le contexte actuel de la maladie Covid-19 [4]
Cette étude concerne une série 61 patients ayant reçu au moins une dose de remdésivir, dans le cadre d’une autorisation temporaire d’utilisation (ATU), tous atteints de la maladie Covid-19. Huit patients ont dû être écartés, car ne répondant pas aux données ou critères exigibles de l’étude, à savoir l’amélioration du mode d’oxygénation au dix-huitième jour (J18) et la mortalité globale à J28. L’un d’entre eux avait en outre reçu, par erreur, une dose non protocolaire du produit. Le protocole, mené sur 10 jours, consistait en l’administration intraveineuse d’une dose de charge de 200 mg de l’antiviral, à J1, suivie de 100 mg/j durant neuf jours. L’étude s’est déroulée du 25 janvier au 7 mars 2020. Il s’agissait d’une étude internationale ouverte et multicentrique, ayant inclus 22 patients américains, 22 européens ou canadiens et neuf japonais. Pour être inclus, les patients devaient avoir une clearance de la créatinine > 30 mL/min, et un taux de transaminases < cinq fois la limite supérieure de l’écart normal. Sur le plan clinique, les patients avaient présenté une symptomatologie virale de 12 jours en moyenne avant que le remdésivir soit débuté – sans différence entre ceux nécessitant la ventilation invasive et ceux n’en ayant pas besoin. Les pateints ne devaient recevoir aucun autre traitement dirigé contre la Covid-19. Les données recueillies dans le suivi quotidien protocolaire de J1 à J10, puis de réévaluation à J18 et J28 sont le changement de mode ventilatoire ou d’oxygénation, la créatininémie et le taux des aspartame et alanine aminotransférases (ALAT et ASAT). Les critères d’amélioration recherchés sont le jour de sortie d’hospitalisation et une chute d’au moins deux points sur une échelle ordinale modifiée recommandée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui comporte les six catégories de points suivants :
– 1. sujet non hospitalisé,
– 2. sujet hospitalisé ne nécessitant pas d’oxygénothérapie (O2),
– 3. sujet hospitalisé requérant l’O2,
– 4. sujet hospitalisé requérant un fort débit d’O2,
– 5. sujet hospitalisé dépendant de la ventilation mécanique invasive ou de l’oxygénation membranaire extracorporelle (ECMO) ou des deux,
– 6. la mort.
L’analyse statistique utilise à la fois la méthode de Kaplan-Meier, qui permet de décrire les critères d’amélioration clinique et de mortalité, et le modèle de régression de Cox des risques proportionnels afin d’évaluer les associations entre les caractéristiques des patients avant traitement et ces événements (amélioration clinique et mortalité).
Les résultats de l’étude font envisager une efficacité notable : après un suivi médian de 18 jours, l’amélioration clinique est observée dans 68 % des cas (sur les 53 patients analysés) et la morbimortalité concerne 13 % des cas (soit sept patients sur les 53). Les patients qui se sont améliorés sont ceux dont le mode de ventilation s’est normalisé, témoignant d’échanges gazeux corrigés :
– l’ensemble des patients n’ayant pas initialement eu besoin de ventilation invasive se sont rétablis,
– 57 % des patients ventilés mécaniquement ont bénéficié de l’extubation,
– 75 % des patients traités par ECMO (trois sur les quatre) n’en sont plus dépendants.
La majorité des patients améliorés ou guéris sont des hommes (à 75 %), âgés de plus de 60 ans et présentant des comorbidités (hypertension, diabète, hyperlipidémie et asthme). La dégradation clinique concernait davantage les sujets de plus de 70 ans sous ventilation invasive. Au final, l’incidence cumulée d’amélioration clinique définie par une réduction d’au moins deux points à l’échelle ordinale de l’OMS décrite plus haut est de 84 %, dans un délai de suivi de 28 jours, ce qui est très satisfaisant. À J18, 47 % des patients étaient déjà sortis de l’hôpital, notamment 89 % de ceux recevant un mode ventilatoire non invasif et 24 % de ceux ayant requis une ventilation invasive.
Le profil de tolérance est acceptable ; 23 % des patients ont cependant présenté des effets indésirables : défaillance multiviscérale, insuffisance rénale aiguë, choc septique et hypovolémie. Il s’agissait de patients placés sous ventilation mécanique invasive. Une néphrotoxicité et une hépatotoxicité iatrogènes ne sont pas à exclure, malgré l’intrication de l’atteinte virale de la Covid-19.
Pour la pratique dans le contexte actuel de la Covid-19
Aucune thérapeutique n’a pu montrer une efficacité, validée scientifiquement, contre la Covid-19. Ce protocole préliminaire décrit l’évolution clinique d’une petite cohorte de patients gravement atteints, placés sous traitement par remdésivir. Les auteurs remarquent que le taux de mortalité globale (13 %) est moindre que celui observé dans un essai récent randomisé contrôlé, basé sur l’association des antiviraux lopinavir + ritonavir, qui était de 22 % [5]. Les limites de l’étude de Grein et al. sont sa cohorte de petite taille, la durée relativement courte de suivi et certainement l’absence de randomisation avec un groupe de contrôle. La confirmation du rapport efficacité/innocuité du remdésivir ne pourra s’établir qu’avec les résultats des études randomisées contrôlées par placebo en cours : essais cliniques Discovery de l’Inserm et Solidarity de l’OMS.
Liens d’intérêt
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec cet article.
Références
1. Wang M, Cao R, Zhang L, et al. remdésivir and chloroquine effectively inhibit the recently emerged novel coronavirus (2019-nCoV) in vitro. Cell Research 2020; 30: 1-3.
2. Ko W.-C, Rolain J.-M, Lee N.-Y, et al. Arguments in favour of remdésivir for treating SARS-CoV-2 infections. Int J Antimicrob Agents March 16, 2020 ; 7-11.
3. de Wit E, Feldmann F, Cronin J, et al. Prophylactic and therapeutic remdésivir treatment in the rhésus macaque model of MERS-Cov infection. Proc Natl Acad Sci USA 2020; 117: 6771-6.
4. Grein J, Ohmagari N, Shin D, et al. Compassionate use of remdésivir for patients with severe Covid-19. N Engl J Med, April 10, 2020. https://doi:10.1056/NEJMoa2007016
5. Cao B, Wang Y, Wen D, Liu W, Wang C, et al. A trial of lopinavir-ritonavir in adults hospitalized with severe Covid-19. N Engl J Med March 18, 2020. DOI: 10.1056/NEJMoa2001282