27 avril 2020 - Sars-Cov-2 : une urgence sanitaire alimentaire et nutritive à bas bruit !
Correspondance : Emmanuel Andrès
Service de médecine interne, diabète et maladies métaboliques, Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, France
EA 3072 Mitochondrie, stress oxydant et protection musculaire, Faculté de médecine de Strasbourg, France
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Depuis plusieurs semaines, le Sars-Cov-2 s’est invité à notre table, notamment dans les pays européens à la gastronomie réputée comme l’Italie, l’Espagne et la France. Rassurons les plus inquiets : les pays anglo-saxons ont également été invités, plus récemment, à la table des festivités. Que l’on se rassure, l’acronyme Sars-Cov-2 ne désigne pas un ingrédient chimique, édulcorant ou colorant, mais un produit naturel, issu d’une culture préservant l’écologie de la planète, menée chez la chauve-souris.
La recette du « succès planétaire » de ce Sars-Cov-2 n’est hélas pas connue, et ce triomphe n’a pas été anticipé, malgré un frémissement perceptible en Chine dès la fin de 2019. La recette de la « potion Sars-Cov-2 » fait encore l’objet de conjectures et de controverses. Toutefois, la trajectoire de cet « aliment viral » semble suivre celle des boissons et autres mets qui se sont imposés dans tous les territoires et toutes les cultures, tels que les sodas Coca-Cola et les hamburgers McDonald’s, en nettement plus indigeste pour la santé et le portefeuille de nos sociétés.
Nos chefs les plus réputés se sont penchés sur la marmite, dans l’espoir d’en décrypter les ingrédients. C’est notamment le cas du barde phocéen, le professeur Raoultourix, le druide des callanques, qui l’a ajoutée, dans une recette toute personnelle, à la carte de son « établissement », au même titre qu’une illustre spécialité marseillaise, la bouillabaisse, mais avec un zest d’hydroxychloroquine et d’azithromycine [1]. Cette déclinaison marseillaise semble avoir particulièrement titillé les papilles d’hôtes illustres, puisque des convives comme le président Trump, le président Macron et un aréopage d’experts people en sciences culinaires s’en font l’écho [2].
Rassurons les plus tatillons, les docteurs ès science Gault et Millau et les râleurs impénitents (ils sont 66 millions dans notre beau pays) qui se demandent sans doute, à cet instant, pourquoi nous nous sommes imaginé de parler gastronomie, recette du chef et autres plats du jour dans Médecine Thérapeutique ? C’est qu’il y a un intérêt véritable, et même certain, à s’intéresser à l’alimentation, plus généralement à la nutrition, et plus précisément à la dénutrition, dans notre contexte de pandémie à Sars-Cov-2.
Comme on le sait maintenant, le profil des formes cliniques les plus graves de cette infection (pneumopathie hypoxémiante), inclut des populations bien spécifiques, ayant souvent des « rapports tendus » avec l’alimentation : sujets en surpoids et obèses, sujets hypertendus, sujets diabétiques et enfin sujets âgés (> 65 ans) avec comorbidités [3]. On objectera que ce n’est pas la population la plus atteinte par la malbouffe (généralisée depuis les années 1980). Certes, mais pas pour le Sars-Cov2, qui est responsable chez ces individus d’une « indigestion » majeure, parfois létale (comme celle qui sanctionne le péché de gourmandise, dans le film Seven).
D’autres formes de la maladie ont un impact négatif sur l’alimentation et l’homéostasie nutritionnelle de l’organisme humain, en induisant une dysgueusie invalidante, perdurant souvent plusieurs semaines, ou des diarrhées profuses, avec une perte de poids rapide et vraisemblablement un déficit des apports alimentaires, tant quantitativement, en calories, que qualitativement, en nutriments et oligo-éléments [3]. Les atteintes les plus graves de Sars-Cov-2, intéressant les patients de soins intensifs et de réanimation, sont à l’origine de problématiques médicales complexes, nécessitant une prise en charge très technique. Il existe, dans ce cadre, un intérêt certain pour la prévention de la malnutrition ou de la dénutrition de la part des cliniciens ; cette préoccupation est toutefois difficile à mettre en œuvre dans ce contexte tendu, surtout lorsque le pronostic vital des patients est engagé à très court terme. On voit ainsi apparaître des patients amaigris, parfois « décharnés » (les besoins étant du même ordre que ceux des grands brûlés), avec une sarcopénie majeure et une neuropathie dite de réanimation dans laquelle les carences nutritionnelles tiennent une part significative.
Et le reste de la population, demandera-t-on ? Le Sars-Cov-2 y fait également des ravages sur le plan nutritionnel. C’est le cas notamment des individus présentant un isolement social ou des difficultés financières. Dans ces populations, on voit ainsi apparaître des problèmes de dénutrition calorique et qualitative (oligoéléments, vitamines, etc.) favorisés par la pénurie de certains aliments, l’augmentation des prix de l’alimentation et la difficulté d’accès aux commerces… Ces perturbations ne touchent pas uniquement les sujets âgés, mais toutes les populations aux revenus et aux situations précaires, comme les étudiants, les sans-abri, les migrants, etc. Pour ne pas étendre notre examen jusqu’aux pays en développement, dans lesquels ces problèmes seront exacerbés et probablement à l’origine d’une grande partie des décès.
Il existe donc une urgence sanitaire alimentaire et nutritive liée au Sars-Cov-2 ! Dans ce contexte, même si demeurent beaucoup d’incertitudes (ces dernières bousculant les habitudes et les individus), il y a un intérêt certain à dépister, à corriger, à éduquer, à mettre en place des mesures correctives… et à faire un travail de recherche et d’évaluation. Il importe que les cliniciens, les chercheurs, les sociologues, les journalistes, les politiques s’approprient ce sujet.
Pour les praticiens, la Société francophone nutrition clinique et métabolique a édicté des recommandations pour la prise en charge nutritionnelle des patients Covid [4].
Liens d’intérêt
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec cet article.
Références
1. Hydroxychloroquine and azithromycin as a treatment of COVID-19: results of an open-label non-randomized clinical trial. https://www.mediterranee-infection.com/wp-content/uploads/2020/03/Hydroxychloroquine_final_DOI_IJAA.pdf; consulté le 17 mars 2020.
2. How Trump became obsessed with hydroxychloroquine. https://www.gq.com/story/trump-coronavirus-miracle-cure; consulté le 25 avril 2020.
3. Special Issue "COVID-19: From Pathophysiology to Clinical Practice. https://www.mdpi.com/journal/jcm/special_issues/COVID_19 consulté le 27 avril 2020.
4. Épidémie de Covid 19 - Avis d'experts. https://www.sfncm.org/1204-covid19-avis-experts; consulté le 20 avril 2020.